Validité du constat d’huissier (oui) - Identification de la personne assistant l’huissier
Contrefaçon de marque - Atteinte vraisemblable aux droits - Actes de contrefaçon commis sur un stand du marché aux puces - Responsabilité du commerçant exploitant (oui) - Responsabilité du propriétaire (oui) - Qualité d’intermédiaire - Injonctions - Droit de l’UE
L’existence d’atteintes vraisemblables aux droits de marque des sociétés demanderesses est établie. Les articles acquis sur un stand du marché aux puces de Saint-Ouen reproduisent leurs marques sur des produits de qualité très inférieure aux produits authentiques, revêtus d'étiquettes ne correspondant pas à celles utilisées pour ces produits, et sont vendus à des prix très inférieurs à ceux auxquels elles-mêmes commercialisent des produits équivalents.
Il est fait droit aux demandes de mesures provisoires dirigées contre le commerçant exploitant le stand sur lequel sont vendus les produits en cause. La vente d’articles vraisemblablement contrefaisants au sein du local commercial litigieux est détachable de ses fonctions de gérant de la société à laquelle le bail du local a été consenti et l’engagent personnellement.
Des mesures sont également prononcées à l’encontre du propriétaire du stand, en tant qu'intermédiaire, au sens de l'article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle, qui réalise la transposition en droit interne de l’article 11 de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Interprétant cette disposition, la Cour de justice de l’Union européenne1 a jugé que relève de la notion d'intermédiaire : « le locataire de halles de marché qui sous-loue les différents points de vente situés dans ces halles à des marchands, dont certains utilisent leur emplacement pour vendre des marchandises contrefaisantes de produits de marque. ». Elle a également précisé que les conditions auxquelles est subordonnée l’injonction adressée à cet intermédiaire sont identiques à celles relatives aux injonctions pouvant être adressées aux intermédiaires sur une place de marché en ligne, énoncées dans son arrêt l’Oréal2.
En l’espèce, le propriétaire du stand met ces locaux à la disposition d’un commerçant auteur des contrefaçons vraisemblables constatés. Il fournit bien un service de location utilisé en vue de proposer à la vente des articles apparaissant comme des contrefaçons vraisemblables. Il a donc la qualité d’intermédiaire au sens de l’article L. 716-6 précité, interprété à la lumière de la directive 2004/48 et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il lui est enjoint de communiquer à l'avocat des sociétés demanderesses le contrat de bail ou tout autre contrat ou document de nature à identifier le locataire exploitant et de justifier de la prise de toute mesure utile à l’encontre de son locataire propre à empêcher la poursuite des actes argués de contrefaçon.
TGI Paris, ord. réf., 18 nov. 2019, 2019/57403 (M20190368)
Givenchy SA, Kenzo SA, Lacoste SA et al., c. Kamel B et Jean-Pierre A
Les affaires traitées par les juridictions françaises concernant une demande de mesures provisoires formée à l’encontre d’intermédiaires dont les contrefacteurs utilisent les services pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur le fondement de l’article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle sont peu nombreuses.
La cour d’appel de Paris s’est ainsi prononcée sur des demandes de mesures provisoires contre des sociétés exploitant la plateforme de vente en ligne Alibaba (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 25 janv. 2019, Alibaba France et. al. c. Lafuma Mobilier SAS, 2017/22056, M20190020, PIBD 2019, 1116, III-230 avec NDLR). Le jugement au fond dans cette affaire est publié dans le présent numéro de PIBD p. III-4 (TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 10 janv. 2020, 2018/00171, M20200090).
Dans l’arrêt Tommy Hilfiger du 7 juillet 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’exploitant d’une place de marché physique sur laquelle sont constatés des actes de contrefaçon de marques peut aussi être considéré comme un intermédiaire contre lequel des injonctions peuvent être prononcées pour faire cesser la contrefaçon ou prendre des mesures visant à prévenir de nouvelles infractions. Il s’agissait en l’espèce du locataire d’une halle de marché qui sous-louait les différents points de vente situés dans ces halles à des marchands, dont certains utilisaient leur emplacement pour vendre des marchandises contrefaisantes.
La décision publiée ci-dessus est la première décision française, à notre connaissance, qui retient la responsabilité du bailleur d’un local physique dans lesquels sont commis des actes de contrefaçon, en tant qu’intermédiaire au sens de l’article L.716-6 du Code de la propriété intellectuelle.
Madeleine Bigoy
Rédactrice au PIBD
1 CJUE, 2e ch., 7 juill. 2016, Tommy Hilfiger Licensing LLC et. al. c. Delta Center AS, C-494/15, M20160310, PIBD 2016, 1055, III-655.
2 CJUE, gde ch., 12 juill. 2011, L’Oréal SA et al. c. eBay International AG et al., C-324/09, M20110535, PIBD 2011, 952, III-718.
3 Les sociétés Givenchy, Kenzo, Louis Vuitton Malletier, Lacoste et Nike ont intentée plusieurs actions conjointes contre des bailleurs des Puces de Saint Ouen et leurs locataires, ayant donné lieu à trois décisions similaires du Tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, ord. réf., 14 oct. 2019, Louis Vuitton Malletier SAS, Kenzo SA, Lacoste SA et Nike Innovate CV c. FG Avenue Michelet SCI, 2019/57383, M20190367 ; TGI Paris, ord. réf., 18 nov. 2019, Nike Innovate C.V., Louis Vuitton Malletier SA et Lacoste SA c. Yacine B, 2019/57461, M20190369 ; TGI Paris, ord. réf., 18 nov. 2019, Givenchy SA, Louis Vuitton Malletier SA et Kenzo SA c. Lattigo SL et Elysées Saint Honoré SNC, 2019/57407, M20190370).