Jurisprudence
Marques

Annonces sur une plateforme de vente en ligne reproduisant la marque LAFUMA – Responsabilité de l’hébergeur

PIBD 1138-III-3
TJ Paris, 10 janvier 2020

Action en contrefaçon et en responsabilité  sur le fondement de la LCEN - Demande de mise hors de cause -  Recevabilité (oui) -  Mise hors de cause (non) - Société responsable du site internet incriminé

Contrefaçon de marque (non) - Reproduction sur un site internet - Usage à titre de mot-clé - Usage dans la vie des affaires - Usage à titre de marque

Responsabilité de l’exploitant de la place de marché en ligne (oui) - Intermédiaire - Qualité d’hébergeur - Rôle passif - Régime spécifique de responsabilité - Connaissance de cause - Mise en demeure - Réaction prompte (non)

Concurrence déloyale (non) - Atteinte au nom commercial - Publicité trompeuse - Parasitisme - Mentions légales du site internet  

Préjudice - Cessation des actes incriminés

Texte

Une place de marché numérique qui permet à ses clients de faire apparaître, au sein d'annonces, des signes déposés, quand bien même elle serait rémunérée en contrepartie, ne fait pas une utilisation illicite du signe, ni un usage de celui-ci à titre de marque1. Il n’y a donc pas lieu, en l’espèce, de faire droit à la demande en contrefaçon à l’encontre des sociétés défenderesses du fait de la parution, sur leur site internet, d’annonces reproduisant les marques Lafuma invoquées.

Les sociétés défenderesses fournissent une plate-forme de transaction en ligne et des services auxiliaires (moteur de recherche, abonnement « Premium », publicité ciblée …). Elles tirent incontestablement profit de leurs activités en percevant des frais de services, des cotisations annuelles et des commissions sur les ventes. Toutefois, les services qui sont proposés, inhérents aux places de marché en ligne, n’ont qu'une finalité technique et logistique pour permettre le fonctionnement du site. Ils ne permettent pas d'établir un quelconque rôle actif de la plate-forme, dans la rédaction du libellé et le contenu des annonces, alors que les sociétés défenderesses ne sont pas partie aux contrats conclus entre les vendeurs et acheteurs mis en relation et n'interviennent aucunement dans la transaction qui se noue, que ce soit quant à la fixation du prix ou les modalités de remise du bien. En conséquence, leur responsabilité ne saurait être retenue en qualité d'éditeur du site, dès lors qu'il n'est pas démontré leur rôle éditorial, leur connaissance et leur contrôle du contenu des annonces.

En revanche, les sociétés défenderesses ont engagé leur responsabilité en leur qualité d'hébergeur, dès lors que les annonces illicites n’ont été retirées  que trois mois après la mise en demeure qui leur a été adressée par la société demanderesse et sous la pression d’une procédure en référé2 initiée par cette dernière. Il ne s'agit pas d’une prompte réponse au sens des dispositions de l'article 6-I-2 de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN). Il ne peut être reproché à la société demanderesse d'avoir sollicité la société française du groupe, qui constituait le seul interlocuteur possible, faute de mentions légales conformes sur le site.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 10 janvier 2020, 2018/00171 (M20200090)
Lafuma Mobilier c. Alibaba SAS, Alibaba Group Holding Ltd, Alibaba.com Hong Kong Ltd et al.

1À rapprocher de CJUE, gde ch., 12 juill. 2011, L’Oréal SA et al. c. eBay International AG et al., C-324/09, M20110535, PIBD 2011, 952, III-718.

Le juge des référés (TGI Paris, ord. réf., 21 nov. 2017, 2017/59485, M20170545) a considéré que les sociétés du groupe Alibaba avaient la qualité d'éditeur et leur a fait injonction de cesser tout usage du signe LAFUMA et de mettre en œuvre des mesures de blocage des annonces litigieuses. Il a relevé notamment qu’elles avaient un rôle actif dans le contenu du site, de nature à leur conférer une connaissance et un contrôle des données publiées. La cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 25 janv. 2019, M20190020, PIBD 2019, 1116, III-230  avec N.D.L.R.) a infirmé cette décision au motif de l'existence d'une contestation sérieuse. Elle a jugé que l’existence d’un tel contrôle sur le contenu des annonces par les sociétés Alibaba n’était pas manifeste et que leur responsabilité en qualité d’hébergeur n’était pas suffisamment vraisemblable.