Jurisprudence
Dessins et modèles

Annulation d’un modèle d’assiette représentant un cadran de montre - Divulgation par un partenaire commercial du déposant

PIBD 1198-III-7
CA Versailles, 15 décembre 2022

Action en contrefaçon de modèle - Recevabilité (oui) - Qualité et intérêt à agir - Titularité - État des inscriptions au registre national - Régularisation

Validité du modèle (non) - Nouveauté - Antériorité - Impression visuelle d’ensemble - Différences insignifiantes - Divulgation par un partenaire - Preuve - Connaissance par les professionnels de la Communauté européenne

Validité de la saisie-contrefaçon (non) - Délai laissé au saisi pour prendre connaissance de la requête et de l’ordonnance - Minute de l’ordonnance - Irrégularités de fond

Concurrence déloyale (non) - Force probante - Constat d’huissier sur Internet - Imitation du produit - Banalité - Risque de confusion - Circuits de distribution différents - Vente à prix inférieur - Parasitisme (non) - Volonté de se placer dans le sillage d’autrui et de profiter de ses investissements - Preuve de la renommée et des investissements

Texte
Modèle n° 20 156 308 de la société Astier de Villatte
Assiette de la collection « Vinter 2018 » commercialisée par la société Ikéa France - Source : Dossier de presse Ikéa
Texte

Le modèle invoqué à l’appui de l’action en contrefaçon, constitué d’une assiette à dessert sur laquelle est appliqué un chromo représentant un cadran de montre, est annulé pour défaut de nouveauté.

En effet, un modèle antérieur a été divulgué sur le site internet d’une société américaine avec laquelle la société demanderesse, titulaire du modèle invoqué, avait conclu un partenariat. Cette dernière ne peut prétendre que le monopole dont elle se prévaut pour son modèle, qui s’applique à une assiette à dessert, se limiterait aux « tasse, assiette plate, assiette à dessert, plat, soucoupe, théière, coupe sur pied, assiette, assiette creuse » (classe 07-01 de la classification de Locarno), et qu’il n’empièterait pas sur le domaine d’activité de son partenaire, qui fabrique des articles en verre décoratif dont notamment des « assiettes vide-poche ou à monnaie » (classe 19-02). Elle fait valoir, en particulier, que l’effet visuel des produits de ce dernier se distinguerait de son modèle. Or, la référence à la classification de Locarno, qui, selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, n’a qu'un caractère administratif et ne lie pas les pays contractants quant à la nature et à l’étendue de la protection du dessin et modèle dans ces pays, est inopérante au regard de l'antériorité. En outre, la nouveauté d’un modèle s'apprécie, non pas en fonction de l'usage que peut en faire le consommateur, mais au vu de ce qui est représenté sur le dépôt. Il importe donc peu, au regard de l'antériorité, que le modèle soit destiné à un usage décoratif (assiette murale) ou fonctionnel (vide-poche, presse-papier) ou encore qu’il soit utilisé sur un support de verre ou de faïence.

En l’espèce, les deux modèles sont quasi identiques. Notamment, les chiffres romains utilisés sont de mêmes typographie, épaisseur et taille, l’heure indiquée est la même et elle est marquée par des aiguilles de forme et dimension identiques. L’absence sur le modèle antérieur d’un socle de remontoir d’une montre à gousset et d’une charnière de fermoir figurant sur le modèle invoqué relève du détail insignifiant.

Il est établi une diffusion effective du modèle litigieux avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du modèle invoqué. Notamment, l’année de parution du catalogue dans lequel figure le modèle d'assiette antérieur est concomitante avec la conclusion d'un accord entre le titulaire du modèle invoqué et son partenaire américain, aux termes duquel le premier bénéficie d'une licence donnée par le second, lui permettant de fabriquer et commercialiser des produits à partir d'images de son fond d'archives constitué de réimpressions en couleur d'images des 18ème et 19ème siècles. Par ailleurs, le titulaire succombe à rapporter la preuve que l'antériorité qui lui est opposée n'a pu être raisonnablement connue des professionnels du secteur. En effet, l'existence de l’accord de licence démontre l'intérêt des professionnels en l’espèce le titulaire du modèle invoqué – agissant dans la Communauté européenne pour le design issu de créateurs nord-américains.

La demande subsidiaire en concurrence déloyale est rejetée. L'idée de décorer une assiette avec le cadran d'une montre ou d'une horloge est banale, d'application ancienne et d'une grande variété dans sa mise en œuvre. Dans cette profusion d'offres, la société demanderesse n'établit pas que le dessin reproduit sur l'assiette commercialisée par la société défenderesse s'inspire directement et nécessairement de celui figurant sur le modèle déposé. Les dessins en cause, appréciés dans leur ensemble, sont suffisamment distincts. Notamment, le dessin des aiguilles est différent et l’heure indiquée n’est pas la même. De plus, la société demanderesse a représenté une montre à gousset ouverte, dont le remontoir et la charnière du couvercle sont partiellement dessinés, alors que la société poursuivie s’est limitée au dessin d'un cadran horaire. Ces différences majeures et l'absence de reprise d'éléments dominants sont suffisantes pour éviter qu'un consommateur sensible à l'art décoratif n'opère de confusion entre les produits. De plus, les circuits de distribution sont différents. Ainsi, la société demanderesse fabrique artisanalement des céramiques selon un savoir-faire hérité de l'estampage manuel du 18ème siècle qu'elle commercialise dans ses propres boutiques, dans des magasins sélectionnés situés en centre-ville proposant des produits équivalents ou dans les espaces dédiés à ses produits dans les grands magasins (Londres, New-York...), alors que la société poursuivie, spécialisée dans le commerce de meubles, dispose de surfaces de vente importantes à son enseigne et généralement placées à l'extérieur des centres-villes.

Cour d’appel de Versailles, 12e ch., 15 décembre 2022, 21/00881 (D20220060)
Astier de Villatte SAS c. Meubles Ikéa France SAS
(Infirmation partielle TJ Nanterre, 1re ch., 10 déc. 2020, 19/00454)