Validité du brevet européen (non) - Annulation partielle - Revendications 1, 2 et 3 - Extension de l'objet au-delà du contenu de la demande initiale (oui) - Modification des revendications au cours de la procédure OEB - Généralisation intermédiaire - Adjonction de plusieurs caractéristiques - Combinaison - Suppression d’une caractéristique essentielle
Concurrence parasitaire (non) - Imitation du produit - Absence de droit privatif - Différences significatives - Détournement du savoir-faire par un ancien salarié (non) - Condamnation antérieure pour violation de la clause de non-concurrence - Procédure pénale en cours pour abus de confiance - Communication du rapport d’expertise
Dénigrement (oui) - Mise en garde adressée à la clientèle du défendeur
À peine de nullité, l'objet d'une demande de brevet ne peut être étendu au-delà du contenu de la demande initiale. Sont ainsi interdites les généralisations intermédiaires indues, comme la suppression des caractéristiques essentielles.
Est nulle, en application de l’article 123(2) de la CBE, la revendication principale 1 du brevet européen invoqué qui couvre un dispositif de sécurité destiné à récupérer les produits inflammables pouvant fuir d’un transformateur électrique et comportant un capot de sécurité afin d'éviter que ces produits ne prennent feu ou afin de les éteindre. Le brevet a en effet été modifié au cours de la procédure d’examen devant l’OEB, de sorte que son objet s’étend au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée.
La demande initiale du brevet comportait neuf revendications. Elle a été modifiée suite à une notification de l’examinateur objectant que les revendications 1 et 2 étaient dépourvues de nouveauté et les revendications 3 à 9, d’activité inventive. Le brevet, tel que délivré, comporte quatre revendications, la revendication principale ayant été largement modifiée en y intégrant, notamment, les caractéristiques des revendications 2 à 6.
Trois caractéristiques ont notamment été insérées dans la revendication 1. Elles étaient divulguées dans la demande initiale en lien avec une quatrième caractéristique, comme le montre la description de cette demande. La quatrième caractéristique n’a pas été reprise. Or, le fait d'extraire une caractéristique spécifique en l'isolant d'une combinaison de caractéristiques divulguées initialement, et de l'utiliser pour délimiter l'objet revendiqué, ne peut être autorisé, au sens de l'article 123(2), que s'il n'existe pas de liens structurels et fonctionnels entre les caractéristiques concernées.
En l'espèce, ces quatre caractéristiques, qui portent sur des moyens de support du transformateur constitués de deux poutrelles métalliques, visent à répondre au problème technique, notamment résolu par le brevet, de la transmission de la charge du transformateur vers le bac du capot de sécurité. La société titulaire du brevet soutient, en vain, que la quatrième caractéristique, relative à la solidarisation des poutrelles, n'est pas essentielle. Cette solidarisation avec les parois longitudinales ne fournit pas simplement un exemple de réalisation avec des moyens de solidarisation particulier, mais vise à résoudre le problème technique énoncé.
L'ensemble de ces caractéristiques présente un lien structurel et fonctionnel. Il vise en effet, comme il a été précisé, à résoudre le problème technique de la transmission du poids très important du transformateur électrique depuis les poutrelles jusqu'à la structure du bac, auquel participe la solidarisation des poutrelles aux parois longitudinales, et ne se limite pas à la coopération entre les poutrelles et les pieds du transformateur. La titulaire du brevet ne soutient pas utilement que ces caractéristiques sont décrites séparément et qu'elles sont juxtaposées, alors qu'elles sont présentées au sein d'un même paragraphe de la description pour indiquer les moyens de support du transformateur électrique. Cette société ne peut donc critiquer le jugement déféré qui a annulé la revendication 1 en raison de l'extension de l'objet du brevet par une généralisation intermédiaire indue, la quatrième caractéristique figurant dans la description n'ayant pas été reprise.
Par ailleurs, la titulaire du brevet a également modifié la revendication 1 en supprimant une caractéristique initialement prévue dans cette revendication. Or, il n'est satisfait aux exigences de l'article 123(2) de la CBE que si la substitution ou la suppression d'une caractéristique s'inscrit dans les limites de ce que l'homme du métier est objectivement en mesure, à la date de dépôt, de déduire directement et sans équivoque de l'ensemble des pièces de la demande, en se fondant sur ses connaissances générales. En l’espèce, la caractéristique qui consiste à prévoir des conduites aptes à mettre en communication les bacs a bien été supprimée. Elle n’a pas fait l’objet, comme la titulaire du brevet le prétend, de modifications procédant d'une simple mise en cohérence rédactionnelle. De plus, dans l'invention déposée initialement, la présence de ces conduites est présentée comme essentielle au regard de l'objectif recherché, qui est de répartir le fluide s'écoulant du transformateur dans les bacs en permettant la communication entre ceux-ci, tout en assurant leur étanchéité. Cette suppression d’une caractéristique essentielle est prohibée par l’article précité.
Les revendications dépendantes 2 et 3 doivent, elles aussi, être annulées en ce qu’elles souffrent du même grief que la revendication 1.
Les actes de dénigrement commis par la titulaire du brevet, à l'égard de la société poursuivie en contrefaçon, sont caractérisés. Si le breveté doit mettre en garde les contrefacteurs indirects contre une contrefaçon s'il veut rapporter leur mauvaise foi en application de l'article L. 615-1, al. 3, du CPI, il n'en demeure pas moins que cette mise en garde doit être exprimée en termes mesurés.
Or, les lettres incriminées, qui ont été adressées à deux clients de la défenderesse, comportent des propos allant au-delà d'une simple mise en garde d'un tiers susceptible d’être poursuivi pour contrefaçon. Dans ces lettres, la demanderesse invoque son brevet européen et vise la défenderesse en tant que fournisseur de produits reproduisant les revendications du brevet. Si elle s'adresse à son correspondant comme à « une victime d'une potentielle contrefaçon », elle poursuit dans des termes plus directs, parlant d'actes de contrefaçon auxquels celui-ci aurait pu contribuer de mauvaise foi, et sollicite sa collaboration à la fourniture d'informations concernant les faits reprochés, pour le relever de toute responsabilité.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 30 juin 2023, 21/14616 (B20230035)[1]
GMT SAS c. Sanergrid SAS et Sonec SAS
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 9 juill. 2021, 18/09547)
[1] Sur le dénigrement, voir notamment : Cass. com., 27 sept. 2023, Akiva SARL c. Gaiatrend SARL et al., 22-10.777 (M20230193 ; PIBD 2023, 1213, III-3 avec une note renvoyant à d’autres décisions en matière de brevets).