Jurisprudence
Marques

Annulation pour dépôt frauduleux de marques comprenant le nom de la commune de Laguiole

PIBD 1188-III-4
Cass. com., 1er juin 2022

Pratiques commerciales trompeuses - Usage du nom d’une collectivité territoriale - Référence au lieu géographique et à son histoire - Risque d’erreur sur l’origine des produits

Validité des marques - Dépôt frauduleux - Nom d’une collectivité territoriale - Mauvaise foi - Dépôts multiples - Volonté de priver autrui de l'usage d'un signe nécessaire à son activité

Préjudice résultant du dépôt frauduleux - Absence de préjudice économique

Texte

Doit être qualifiée de trompeuse une pratique qui, d'une part, contient des informations fausses ou est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, l'empêchant de faire un choix en connaissance de cause et donc de façon efficace et, d'autre part, est de nature à amener le consommateur à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.

La cour d’appel a rejeté les demandes formées au titre des pratiques commerciales trompeuses. Elle a notamment relevé que le texte publié sur le site internet de certains défendeurs, présentant les produits revêtus des marques utilisant le nom « Laguiole », faisait expressément référence à la ville de Laguiole. Elle a dit que le consommateur moyen, informé du fait que ces produits sont fabriqués aussi à l'étranger, ne croira pas qu’ils sont originaires de la ville de Laguiole, de sorte que ces références multiples, sur les catalogues et sur les sites internet litigieux, au nom « Laguiole », mais également au lieu, à l'histoire, à l'artisanat traditionnel, aux matériaux et plus généralement à l'environnement de cette commune, étaient insuffisantes pour caractériser de telles pratiques. C’est sans dénaturer le texte en cause que la cour d’appel, qui ne pouvait se borner à rechercher si le consommateur moyen serait amené à établir un lien entre des produits du seul fait de leur commercialisation sous le nom d’une commune, fut-elle connue de 47 % de la population française, a apprécié concrètement, au regard de l’ensemble des éléments pertinents de l’espèce, s’il existait un risque d’erreur du consommateur sur l’origine du produit.

La cour d’appel a annulé les marques comprenant le nom « Laguiole » pour dépôt frauduleux[1]. Suite à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances pertinentes du litige, elle a retenu, qu'à la date des multiples dépôts, les défendeurs avaient cherché à monopoliser le nom de la commune pour désigner de nombreux produits et services, sans lien de rattachement avec celle-ci, et que ces dépôts s'inscrivaient dans une stratégie commerciale visant à priver celle-ci ou ses habitants, actuels ou futurs, de l'usage de ce nom nécessaire à leur activité. Par ces motifs, suffisant à caractériser la mauvaise foi des déposants, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

La cour d’appel a retenu, concernant la réparation du préjudice subi à la suite du dépôt frauduleux des marques, que la commune de Laguiole se bornait à invoquer une entrave à son action dans ses projets économiques et sociaux ainsi qu'une économie de frais de développement et d'investissements réalisée par les déposants, par l'appropriation de son image et de sa notoriété. Elle a exactement retenu que la commune, faute de justifier avoir été empêchée d'exercer une activité qui lui aurait procuré un gain, ne démontrait pas la réalité du préjudice économique allégué.

Cour de cassation, ch. com., 1er juin 2022, 19-17.778 (M20220172)
Commune de Laguiole c.
M. [I] [A], M. [J] [A], Laguiole SAS et al.
(Rejet pourvois c. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 5 mars 2019, 17/04510, M20190052, PIBD 2019, 1114, III-193, L'Essentiel, mai 2019, p. 5, note de J.-P. Clavier, Propr. intell., 72, juil. 2019, p. 74, note de C. Le Goffic, D IP/IT, juill.-août 2019, p. 441, note de C. Le Goffic, Propr. industr., oct. 2019, p. 23, note de J. Larrieu ; rendu sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 2e ch., 4 avr. 2014, 12/20559, M20140155, PIBD 2014, 1008, III-502, Gaz Pal, 194-198, 13-17 juil. 2014, p. 16, note de L. Marino, Propr. intell., 52, juill. 2014, p. 295, note de J. Canlorbe ; Cass. com., 4 oct. 2016, 14-22.245, PIBD 2016, 1062, III-953,  RLDI, 131, nov. 2016, p. 13, note de L. Costes, Propr. industr., déc. 2016, p. 37, note de J. Larrieu, Gaz Pal, 6, 7 fév. 2017, p. 24, note de L. Marino)

[1] Sur ce point de droit, voir l’étude De la fraude à la mauvaise foi : un passage de relais ou une continuité en matière de nullité du dépôt d’une marque française ? de C. Martin, citant les décisions antérieures de la cour d'appel de renvoi et de la Cour de cassation dans cette affaire (PIBD 2022, 1175, II-1).