Jurisprudence
Marques

Caractère descriptif des marques GARUM et GARUM ARMORICUM pour désigner des produits pharmaceutiques, diététiques et alimentaires - Connaissance des termes latins par le public pertinent

PIBD 1166-III-4
Cass. com., 23 juin 2021

Validité des marques françaises et de l’Union européenne - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Langue morte - Combinaison de mots - Composition du produit - Provenance géographique - Connaissance par le public pertinent - Professionnel - Clientèle spécifique

Texte
Marque n° 1 384 517 de la société Compagnie Générale de Diététique
Marque n° 1 703 642 de la société Compagnie Générale de Diététique
Texte

La cour d’appel a annulé les marques française et de l’UE GARUM en ce qu’elles désignent les « produits pharmaceutiques, vétérinaires et hygiéniques, produits diététiques pour enfants et malades, emplâtres, matériel pour pansement, désinfectants, viande, poisson, volaille et gibier, extraits de viande, fruits et légumes conservés, séchés et cuits, gelées, confitures, huiles et graisses comestibles, ainsi que conserves, conserves de poissons, pickles ».

Elle a relevé que le terme latin « garum » était utilisé dans l'Antiquité pour désigner une préparation à base de poisson constituant une sauce à laquelle étaient reconnues des vertus médicinales, et qu’une étude de notoriété montrait que 3 % des pharmaciens interrogés connaissaient la définition du garum, qui ne figure pas dans les dictionnaires médicaux et pharmaceutiques, et que 2 % du public connaissait le terme « garum ». Elle a retenu, pour autant, que ce terme pouvait être utilisé pour désigner la caractéristique même des produits pharmaceutiques, diététiques pour enfants et malades ainsi que des emplâtres et matériel pour pansement. Elle a précisé que ces produits s'adressaient notamment à un public composé de pharmaciens qui, malgré une connaissance non assurée du latin, aura une certaine attention pour ces produits, du fait de la nécessité de conseiller les consommateurs finals. Elle a ensuite retenu que les produits notamment comestibles visés par les marques s'adressaient aussi à des professionnels de préparations de compléments alimentaires, soit un public ayant lui aussi une certaine connaissance des termes latins utilisés dans leur domaine d'intervention. Elle a enfin retenu qu'en matière de produits pharmaceutiques, diététiques et alimentaires, une partie du public était composée de consommateurs développant un intérêt particulier pour ce domaine et montrant une attention particulière s'agissant de produits liés à la santé et à l'alimentation.

La cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à établir qu'aux dates respectives de dépôt des marques en cause, les milieux intéressés, qui, à la date de l’étude de notoriété ignoraient dans leur grande majorité le sens du mot « garum », percevaient cette marque comme descriptive des produits en cause ou d'une de leurs caractéristiques, ou qu'il était raisonnable d'envisager que cela soit le cas dans l'avenir.

La cour d’appel a encore retenu que le garum ayant des effets bénéfiques sur la santé et étant utilisé soit comme condiment, soit comme complément alimentaire pour ses vertus médicinales, le terme « garum » servait à décrire la qualité essentielle des produits visés. En statuant ainsi, sans préciser en quoi ce terme était descriptif de chacun de ces produits, et alors qu'elle n'avait pas constaté que le garum était susceptible d'entrer dans leur composition, la cour d'appel n’a pas motivé sa décision.

La cour d’appel a également annulé les marques française et de l’UE GARUM ARMORICUM en ce qu’elles désignent les « produits cosmétiques et de beauté, parfumerie, huiles essentielles, lotions, savons, produits diététiques et de régime, produits alimentaires pour malades, produits pharmaceutiques, produits alimentaires à base de crustacés ou de mollusques et d'organes de ces crustacés ou mollusques ».

Elle a retenu que l'association de ces deux termes descriptifs ne saurait écarter l'absence de distinctivité de ces marques et sera comprise comme désignant du garum provenant de Bretagne. Dès lors, un tel signe, utilisé à titre de marque, ne permettait pas selon elle d'établir la distinction entre les produits protégés par les marques et les produits concurrents. Elle a ajouté que le caractère descriptif des termes « garum armoricum » ressortait également de leur utilisation dans le document de présentation du produit commercialisé par la société titulaire des marques, pour désigner un ingrédient de ce produit.

En déduisant le caractère descriptif des marques GARUM ARMORICUM, pour l'ensemble des produits en cause, à la fois du caractère descriptif des termes « garum » et « armoricum » et de l'utilisation de ces termes pour désigner un ingrédient d'un produit diététique commercialisé à une date inconnue par la société titulaire, la cour d'appel, pour les motifs de cassation précités, a privé sa décision de base légale.

Cour de cassation, ch. com., 23 juin 2021, W 18-20.170 (M20210151)[1]
Compagnie Générale de Diététique SAS c. Clavis SRL
(Cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 12 déc. 2017, 16/03473 ; M20170529 ; PIBD 2018, 1088, III-131 ; PA, 105, 25 mai 2018, p. 16, note de P. Mouron)

 

[1] La marque de l'UE verbale GARUM, objet du présent litige, avait été, dans un premier temps, refusée par l'examinateur de l'OHMI sur le fondement de l’article 7, § 1, b) du règlement n° 40/94, pour absence de caractère distinctif pour désigner du poisson et des conserves de poisson. Le TPICE (3e ch., 12 mars 2008, Compagnie Générale de Diététique SAS c. OHMI, T-341/06) a annulé la décision de la chambre de recours qui avait rejeté le recours contre cette décision de refus d’enregistrement. Il a jugé que la marque était distinctive au regard des produits alimentaires concernés. Ainsi, il a estimé qu’il n’était pas établi, d’une part, que le public pertinent, qui comprend le consommateur moyen et le public spécialisé et professionnel des restaurateurs, associe au terme « garum » un produit particulier ou des caractéristiques de produits concrètes et, d’autre part, que ce public ne sera pas en mesure de distinguer les produits à base de poisson ou les conserves de poisson portant la marque GARUM d’autres produits.

L’arrêt ci-dessus publié peut être rapproché d’un arrêt d’appel (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 sept. 2013, Asia Food Co SAS c. INPI, 13/03904 ; M20130491 ; PIBD 2013, 995, III-1598) relatif à une demande d’enregistrement d’une marque composée d’un mot en langue arabe renvoyant à une préparation culinaire d’Afrique du Nord. Dans cette affaire, la cour d’appel a rejeté le recours contre la décision du directeur général de l’INPI de refus d’enregistrement à titre de marque du signe verbal « Mhajeb (se prononce indifféremment M'hadjeb, Mhadjeb, Mhadjab, M'hadjab) » pour désigner des crêpes, galettes feuilletées fourrées, de la farine et des préparations faites de céréales. L'INPI avait notamment estimé que le signe Mhajeb, sous ses diverses prononciations possibles, était descriptif pour désigner ces produits dont il indique l'une des caractéristiques à savoir la nature ou la destination, et n'était pas apte, en conséquence, à satisfaire à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits marqués.

L’arrêt a souligné qu’il était d'usage de conserver, pour désigner les spécialités culinaires étrangères, la dénomination utilisée dans le pays d'origine (ex. pizza, sushi, hamburger, muffin, tacos) de sorte que, même si une telle dénomination, issue d'une langue étrangère, n'était pas connue ou n'était pas comprise d'une partie significative du public, elle constituait, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire de la spécialité culinaire concernée.

Il a jugé qu’en l'espèce, tant pour le consommateur que pour le professionnel de la restauration ou de la pâtisserie, seul le mot mhajeb était à même de décrire explicitement et spécifiquement la recette de crêpe fourrée telle que confectionnée dans les pays d'Afrique du Nord dont elle est originaire. Il s'ensuivait que l'appropriation du terme « mhajeb » à titre de marque était de nature à faire obstacle à l'activité concurrente des opérateurs économiques exerçant dans le même segment de marché en leur interdisant l'usage d'un terme nécessaire pour le déploiement de leur activité.