Jurisprudence
Marques

Caractère distinctif des marques CARBOLAM pour désigner des matériaux de construction non métalliques – Usage sérieux en France malgré une forte activité à l’export

PIBD 1200-III-5
CA Versailles, 19 janvier 2023

Demande en nullité des marques - Recevabilité (oui) - Prescription quinquennale (non) - Demande présentée par voie d’exception

Validité des marques (oui) - Caractère distinctif - Néologisme - Public pertinent - Professionnels - Caractère descriptif - Caractère évocateur - Fonction d’indication d’origine

Déchéance des marques (non) - Usage sérieux - Preuve - Exploitation sur le territoire français - Usage à titre de marque - Exploitation limitée - Secteur d’activité

Contrefaçon des marques (oui) - Similarité des produits - Nature - Clientèle identique - Reproduction - Usage à titre de marque - Risque de confusion

Préjudice - Absence de manque à gagner

Texte
Marque n° 3 517 582 de la société Epsilon Composite
Texte

Les marques verbales CARBOLAM sont distinctives pour désigner les « matériaux de construction non métalliques ». Si le public pertinent – constitué du consommateur moyen d’un degré d’attention plus élevé s’agissant de produits et services destinés à des professionnels d’un secteur – comprendra que le produit est constitué d'une lame de carbone, celle-ci n'apparaît pas en elle-même dans le libellé des produits pour lesquels les marques sont déposées. Il comprendra la première partie du néologisme « carbo » comme visant le matériau carbone qui entre dans la composition de certains matériaux de construction non métalliques. Il suffit, pour priver un terme de son caractère distinctif, qu’une de ses acceptions désigne les produits visés à l’enregistrement et que le signe serve à désigner l’une des caractéristiques de ces produits. Toutefois, en l’espèce, le terme « carbo » évoque le matériau carbone, soit la fibre de carbone ou matériau composite, et non le composé chimique pouvant entrer dans ce type de produits.

S'agissant de la seconde partie « lam », il évoque le mot « lame », soit la partie métallique d'un instrument ou d'un outil propre à couper, ou encore un morceau de métal ou d'une autre matière dure, plat et étroit. Au vu des produits visés à l’enregistrement, le suffixe « lam » ne peut être considéré comme descriptif alors que la lame est associée à l'idée de métal. Le signe contesté « Carbolam » ne peut servir à désigner la destination de ces produits. De plus, la société qui sollicite la nullité des marques ne peut se fonder sur la description des produits commercialisés sous ces marques pour apprécier leur caractère distinctif. En conséquence, l'association des termes « carbo » et « lam » – qui n'ont, considérés séparément, aucune signification propre – dans un néologisme, dénué lui aussi de sens en français, est arbitraire au regard des « matériaux de construction non métalliques » qu’elle peut évoquer, mais ne décrit pas, et apparaît ainsi distinctive et apte à remplir la fonction d'identification d'origine du produit.

Le titulaire n’encourt pas la déchéance de ses droits sur les marques CARBOLAM. Pour justifier de leur usage sérieux, il a notamment versé aux débats des courriels, adressés à des clients français, installés en France ou ayant une adresse en France, dans lesquels, notamment, il présente ses produits ou transmet des offres tarifaires. Ces courriels sont le plus souvent accompagnés d’une documentation rédigée en langue anglaise visant expressément le signe « Carbolam », suivi de la lettre ® dénuée de signification en langue française, mais signifiant qu'il s'agit d'une marque enregistrée dans les pays anglophones. Cette documentation ne saurait être écartée, à titre de preuve du fait qu'elle est rédigée en langue anglaise, dès lors qu’elle est adressée à des clients français. En outre, la vente de produits Carbolam auprès de deux sociétés françaises est de nature à justifier d’une commercialisation effective en France.

Par ailleurs, si, sur des factures ou des bons de livraison, le signe « Carbolam » apparaît dans la désignation du produit, accompagné de la référence de celui-ci, il est représenté en toutes lettres et suivi du signe ®. En conséquence, il se distingue de la seule référence d'un produit et permet alors au public d'identifier ce produit en fonction de sa marque. La qualification de sérieux de l’usage de la marque dépend notamment des caractéristiques du produit ou du service concerné sur le marché correspondant, soit en l’espèce celui des matériaux de construction non métalliques. Il n’est donc pas nécessaire que cet usage soit toujours quantitativement important. Le titulaire a produit des analyses de marché faisant état du faible nombre d'acteurs du marché français (dont elle revendique 30 % du marché) et du fait qu'elle vend essentiellement à l'étranger. Au vu notamment de la structure du marché sur lequel les produits sont commercialisés, il est justifié d’un usage sérieux des marques contestées.

La contrefaçon des marques CARBOLAM est caractérisée. La société poursuivie, spécialisée dans la fabrication de mortier notamment pour des ouvrages en béton, a reproduit le signe à l’identique sur son site internet et sur les produits qu’elle propose. Il ressort de la documentation du titulaire des marques qu’il commercialise des lamelles en carbone pour des profilés composites. La colle commercialisée par la société défenderesse sous l’appellation « 50 Carbolam Colle » est présentée comme une colle epoxy ayant une très bonne adhérence au béton, métal et au carbone « pour le collage des lamelles carbolam ». Cette société ne peut soutenir que l’usage de ce terme a été réalisé à titre de référence, alors qu’elle l’utilise pour différents produits et le représente accolé au signe ®. Il s’agit bien d’un usage à titre de marque. Les produits litigieux, qui reposent sur le collage de lamelles en fibre de carbone pour des constructions du BTP, sont de nature proche à similaire à ceux proposés par le titulaire des marques et s'adressent à un public identique constitué des professionnels du domaine de la construction, même si l'activité du titulaire est majoritairement tournée vers l'export. Ces professionnels peuvent croire que les produits proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées économiquement.

Le titulaire des marques, qui ne justifie pas commercialiser des produits strictement identiques à ceux vendus par la société poursuivie, est débouté de sa demande de réparation au titre du gain manqué. Néanmoins, cette société a profité du signe « Carbolam » pour écouler ses produits et réaliser un chiffre d’affaires. Pour autant, sa condamnation ne saurait porter sur l'intégralité de celui-ci et le préjudice sera calculé en lui appliquant le taux de marge du titulaire.

Cour d’appel de Versailles, 12e ch., 19 janvier 2023, 21/00599 (M20230005)[1]
Epsilon Composite SA c. Parexgroup SAS
(Confirmation partielle TJ Nanterre, pôle civ., 1re ch., 14 janv. 2021, 17/11498 ; M20210324)

[1] En ce qui concerne la prescription de la demande en nullité de marque, voir dans le même sens en matière de brevets : Cass. com., 28 sept. 2022, Laboratoires Choisy LTEE c. Tri-Texco Inc. et al., 20-16.874 (B20220077 ; PIBD 2022, 1193, III-2 ; Propr. industr., mars 2023, étude 3, J. Courtard).