Jurisprudence
Marques

Caractère distinctif des marques GARUM et GARUM ARMORICUM pour désigner des produits pharmaceutiques, diététiques et alimentaires à base de poisson - Termes latins non connus du public pertinent

PIBD 1208-III-5
CA Paris, 26 mai 2023

Validité des marques françaises et de l’UE (oui) - Loi applicable - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Termes latins - Composition du produit - Combinaison de mots - Provenance géographique - Caractère évocateur - Connaissance par le public pertinent - Professionnel

Déchéance partielle des marques françaises - Usage sérieux - Preuve - Usage à titre de marque - Usage d’une marque ombrelle - Exploitation d'une marque similaire

Contrefaçon des marques françaises et de l’UE - Faits antérieurs à la déchéance des marques françaises - Identité des produits ou services - Catégorie générale - 1°) Reproduction (oui) - Site internet - 2°) Imitation (non) - Langue morte - Traduction évidente - Ensemble unitaire - Risque de confusion

Texte
Marque n° 1 703 642 de la société Compagnie Générale de Diététique
Marque n° 1 384 517 de la société Compagnie Générale de Diététique
Texte

Les marques françaises et communautaires GARUM et GARUM ARMORICUM sont distinctives pour l’ensemble des produits désignés des classes 3, 5 et 29, y compris pour les produits pharmaceutiques et diététiques et pour les produits alimentaires pour malades et les produits alimentaires à base de poissons ou d'organes de ces poissons.

En effet, il n’est pas établi qu’aux dates de dépôt des marques, le public pertinent percevait celles-ci comme descriptives des produits en cause ou de l’une de leurs caractéristiques. Ce public se compose, pour les produits alimentaires pour malades, les produits diététiques pour enfants et malades et les produits pharmaceutiques, du grand public et des professionnels de la santé, et pour les produits alimentaires à base de poissons ou d'organes de ces poissons et conserves de poisson, du grand public.

Si le terme « garum », qui est le nom savant d'un extrait de viscères de poisson hydrolisé par autolyse puis séché, était connu et utilisé dans l'Antiquité, il ne l’est plus depuis cette époque, sauf par les historiens ou les latinistes.

Ainsi, les ouvrages ou éléments très spécialisés citant le « garum », non destinés au grand public, ne permettent pas d’établir un usage courant de ce terme à la date des dépôts des marques en cause. Par ailleurs, le consommateur moyen ne comprend pas le latin. Enfin, il résulte d’un sondage réalisé auprès de pharmaciens et du grand public que très peu connaissent le sens du mot « garum ». Ce sondage révèle également que le consommateur moyen ne fait pas de recherches particulières avant l'achat d'un complément alimentaire, et que très peu de consommateurs se renseignent auprès d'un pharmacien.

La marque GARUM ARMORICUM est quant à elle composée de la combinaison du terme « Garum » - dont le caractère descriptif n'est pas établi - et du terme « Armoricum », simplement évocateur de l'Armorique et de la Bretagne. L'association de ces deux termes n'est donc pas descriptive des produits en cause, ou d'une de leurs caractéristiques.

La déchéance partielle des marques françaises GARUM et GARUM ARMORICUM doit être prononcée, aucun usage n’étant établi pour les « produits pharmaceutiques, produits diététiques pour enfants et malades » et les « poissons, conserves » désignés par la première et aucun usage sérieux n’étant démontré pour les « produits alimentaires pour malades ; produits pharmaceutiques » et les « produits alimentaires à base de poissons ou d’organes de ces poissons » visés par la seconde.

Les attestations de la directrice générale de la société titulaire et de son expert-comptable selon lesquelles le complément alimentaire « Stabilium » à base de « garum armoricum », que cette dernière commercialise de façon continue depuis 1983, réalise une part importante du chiffre d'affaires, ne sont pas de nature à faire échec à la demande en déchéance. Il en est de même des tarifs commerciaux produits qui ne font pas état des marques dont la déchéance est sollicitée et des factures d'emballages du produit « Preventus », qui comportent la mention d'une autre marque enregistrée, à savoir GARUM CELTIC.

La contrefaçon par reproduction des marques française et communautaire GARUM ARMORICUM est caractérisée par l’usage du signe incriminé « Garum Armoricum » ou « garumarmoricum », sur le site internet de la société défenderesse pour désigner des compléments alimentaires. Ces produits sont identiques aux « produits diététiques et de régime, produits alimentaires pour malades » désignés par les marques antérieures, les premiers appartenant à la catégorie générale constituée par les seconds.

En revanche, les marques françaises et communautaires GARUM et GARUM ARMORICUM ne sont pas contrefaites par l’usage des signes « Garum Exquisitius » et « Garum Sociorum Exquisitus ». Les signes en conflit sont tous composés de termes latins. Seul le terme « garum » composant les marques antérieures est repris dans les signes contestés. Bien que placé en attaque, il se fond dans les signes contestés et perd son caractère dominant. Le public concerné, qui ne comprend pas le latin, ne retiendra pas les dénominations en cause et ne pourra faire un rapprochement entre les signes en présence. Ainsi, il ne les confondra pas, pas plus qu'il ne fera de lien entre eux. La société titulaire ne peut être suivie lorsqu'elle allègue une référence intellectuelle entre les signes par la simple sonorité du suffixe « um » ou lorsqu’elle affirme que les signes incriminés seront perçus comme une déclinaison de la marque antérieure GARUM.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, 22/00297 (M20230077)
Compagnie Générale de Diététique SAS c. Clavis SRL
(Infirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 6 mars 2014, 11/16210, M20140240,
PIBD 2014, 1008, III-518 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 12 déc. 2017, 16/03473, M20170529, PIBD 2018, 1088, III-131, LPA, 105, 25 mai 2018, p. 16, P. Mouron ; Cass. com., 23 juin 2021, 18-20.170, M20210151, PIBD 2021, 1166, III-4 ; L'Essentiel, oct. 2021, p. 5, S. Chatry ; RTDCOM, 4, oct.-déc. 2021, p. 789, J. Passa)