Jurisprudence
Marques

Caractère distinctif et déceptif des marques verbale et semi-figurative Le Béret Français - Compétence du juge judiciaire pour statuer sur la demande en déchéance des marques

PIBD 1164-III-3
CA Bordeaux, 11 mai 2021

Validité des marques verbale et semi-figurative (oui) - Application de la loi dans le temps - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Libellé des produits - Droit de l’UE - Partie figurative - Dessin - Typographie - Couleurs - Caractère déceptif - Nature et qualité des produits - Garantie officielle

Action en déchéance des marques - Recevabilité - Compétence du juge judiciaire - Demande nouvelle en appel - Demande tendant aux mêmes fins que la demande initiale - Survenance d'un fait - Expiration du délai quinquennal de déchéance

Déchéance de la marque verbale (oui) - Usage sérieux

Concurrence déloyale (oui) - Réservation d’un nom de domaine - Détournement de clientèle

Concurrence déloyale (non) - Dénigrement - Détournement d’informations et de savoir-faire - Absence de droit privatif - Débauchage de salariés

Concurrence déloyale subie par le défendeur (oui) - Présentation d’informations trompeuses - Préjudice commercial - Interdiction

Texte
Marque n° 3 939 141 de M. U E
Marque n° 3 978 931 de Rodolphe G
Texte

L’action en nullité des marques verbale et semi-figurative Le Béret Français est régie par les dispositions du CPI dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019/1169 du 13 novembre 2019. En effet, celle-ci ne prévoit pas l’application immédiate aux instances en cours des nouveaux textes modifiant le régime des actions en nullité.

La marque verbale présente un caractère distinctif pour tous les produits visés à son enregistrement. L’emploi de l’adjectif « français » par des marques évoquant une spécificité française ne suffit pas à les priver de tout caractère distinctif pour les produits désignés. Accolé à un autre signe, cet adjectif qualificatif - qui ne désigne pas un nom géographique - peut être enregistré à titre de marque, à condition que celle-ci ne soit ni descriptive ni générique pour les produits visés. La marque présente manifestement un caractère arbitraire pour les produits des classes 26 et 33 qui n’ont aucun rapport avec les bérets, ainsi que ceux de la classe 25 autres que les « vêtements ; bonneterie ; vêtements en cuir ou en imitation cuir, fourrures (vêtements) ».

En ce qui concerne ces derniers, en application de la jurisprudence IP Translator[1] de la Cour de justice de l’Union européenne telle qu'appliquée par l’INPI, le fait pour le titulaire de viser, lors du dépôt de la marque, l'intitulé général de la classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie », ne peut être interprété comme une demande de protection de la marque pour l'ensemble des produits relevant de cette classe, dont font partie les bérets. Le titulaire de la marque a entendu viser dans sa demande d'enregistrement seulement certains des produits figurant dans la liste alphabétique de la classe 25.

Dès lors, le terme « Vêtement » correspondant à un élément de l'intitulé général de cette classe ne recouvre pas les bérets. La marque n'est pas descriptive des articles de bonneterie, qui ne se confondent pas avec les bérets. Le terme de « bonneterie » ne renvoie ni directement à ces produits, ni à la méthode de fabrication de leur étoffe. Elle n'est pas plus descriptive des « vêtements en cuir ou imitation cuir » et des « fourrures (vêtements) », le béret restant dans l'esprit du public, un produit fabriqué en laine tricotée.

La marque semi-figurative, composée de la dénomination « Le Béret Français » en lettres blanches sur un fond noir, en forme de disque, surmontée du dessin d'un béret très stylisé de couleur bleu, blanc, rouge équipé en son milieu d'une petite excroissance rouge en forme de queue surnommée « cabillou », qui attire l'attention visuelle par sa couleur rouge, est également distinctive.

Les marques ne sont pas déceptives. Il n'existe aucune instance officielle de contrôle ou de certification dans le domaine des bérets. Le seul emploi de l'adjectif « français » n'est pas de nature à induire le consommateur moyen en erreur sur l'existence d'une garantie officielle du produit. Le béret constituant un produit typiquement français qui vise un public de touristes français et étrangers, le terme « français » renvoie dans l'esprit du public à une spécificité nationale et non à une garantie officielle. Il en est de même pour l'emploi des couleurs du drapeau français dans la marque semi-figurative, compte tenu de l’agencement de ces couleurs dans une présentation stylisée, éloignée de celle du drapeau national.

La cour d’appel est compétente pour statuer sur l’action en déchéance des marques formée postérieurement à la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du CPI relatives à la procédure administrative en déchéance. En effet, le nouvel article L716-5 II 1 du CPI prévoit que les tribunaux judiciaires sont exclusivement compétents lorsque des demandes en nullité ou en déchéance sont formées à titre principal ou reconventionnel par les parties de façon connexe à toute autre demande relevant de la compétence du tribunal et notamment à l'occasion d'une action en concurrence déloyale, comme c'est le cas en l'espèce.

La demande en déchéance de la marque verbale, présentée pour la première fois en cause d’appel, est recevable. Elle est nouvelle en ce qu’elle ne tend pas aux mêmes fins que la demande initiale en nullité de la marque, qui a un objet, un effet et un régime différents de ceux de la déchéance. L’article 564 du Code de procédure civile permet cependant aux parties de soumettre à la cour de nouvelles prétentions pour faire juger les questions nées de la survenance d’un fait. En l’espèce, l’écoulement du délai de cinq ans à compter de l’enregistrement de la marque constitue bien un fait survenu postérieurement à la procédure de première instance, de sorte que la demande est recevable.

Cour d'appel Bordeaux, 1re ch. civ., 11 mai 2021, 18/01905 (M20210112)
Laulhère SAS c. Rodolphe G et Le Béret français SARL
(Confirmation partielle TGI Bordeaux, 1re ch., 20 févr. 2018, 14/07511)

 

[1] CJUE, gde ch., Chartered Intitute of Patent Attorneys, 19 juin 2012, C-307/10, M20120364, PIBD 2012, 967, III-536 ; D., 26, 5 juill. 2012, p. 1673 ; Propr. industr., sept. 2012, p. 26 note de A. Folliard-Monguiral ; Europe, août-sept. 2012, p. 51 note de L. Idot ; RJDA, nov. 2012, p. 919 ; Comm. com. électr., déc. 2012, p. 23, note de C. Caron ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, note de C. Le Goffic.