Actualités et informations
Petite incursion dans les archives de l'INPI

Champagne !

PIBD 1151-IV-5
Par Steeve Gallizia
Texte

Par Steeve Gallizia, chargé de valorisation des archives patrimoniales de l'INPI

À l’occasion des fêtes de fin d’année il n’est pas question de resservir tiède l’histoire du Champagne ou de son invention - supposée - par Dom Pérignon, et mainte fois réécrite. Au contraire, des archives inédites conservées par l’Institut national de la propriété industrielle, offrent un nouvel éclairage sur l’un des symboles de l’excellence. Alors … Champagne !

De son élaboration à sa dégustation, le Champagne génère de très nombreux dépôts de titres de propriété industrielle depuis 1791. Brevets et marques jalonnent une histoire qui continue à s’écrire.

Les brevets, tout d’abord, apportent les réponses techniques aux problématiques liées à l’élaboration mais aussi à la conservation ou au transport du Champagne. Car le Champagne nécessite de nombreuses opérations, minutieuses, précises, et faisant appel à un vocabulaire bien particulier comme le pointage, le remuage ou encore le démasquage. Cette dernière, par exemple, consiste à éliminer les levures qui se déposent et forment une lie peu ragoutante au fond de la bouteille. On frappe alors le contenant à coups de marteau - c’est ce que l’on appelle aussi l’électrisage - ou bien on pratique le tapotage, qui consiste à frapper vigoureusement la bouteille sur une barre de bois, le bord d’un pupitre ou celui d’une table. Aujourd’hui, on emploie généralement des machines pour effectuer ces tâches pénibles et répétitives. Les progrès de la mécanisation font apparaître ces premières machines à partir du milieu du XIXe siècle, comme celle brevetée par Auguste-Henri Tricout, mécanicien orthopédiste à Reims, et servant à démasquer les vins de Champagne, à électriser, tourner et secouer les bouteilles.

Brevet n° 72786 déposé le 1er septembre 1866 par Auguste-Henri Tricout pour un appareil à démasquer les vins de Champagne, dit machine Tricout, à électriser, tourner et secouer les bouteilles (1BB72786, archives INPI).
Brevet n° 72786 déposé le 1er septembre 1866 par Auguste-Henri Tricout pour un appareil à démasquer les vins de Champagne, dit machine Tricout, à électriser, tourner et secouer les bouteilles (1BB72786, archives INPI).

Trouver le contenant idéal a également donné matière à innover. Le choix de la forme actuelle reste obscur, certains avancent que la piqure, la cavité conique formant le fond, aurait été choisie par les verriers eux-mêmes pour permettre d’emboîter la bouteille sur un cône afin de la maintenir pendant le travail de finition faisant suite au soufflage. Dans tous les cas, la bouteille de Champagne doit avoir pour qualité première la solidité afin de résister à une pression continue, et nombre de brevets ont été déposés pour la perfectionner dans ce sens. Ainsi, en 1847, Louis-Marie Canneaux, marchand de vins, brevète une nouvelle bouteille propre à empêcher la casse.

Brevet n° 5175 déposé le 8 mars 1847 par Louis-Marie Canneaux pour un genre de bouteilles dites segmentales pour les vins de Champagne et autres liquides gazeux (1BB5175, archives INPI).
Brevet n° 5175 déposé le 8 mars 1847 par Louis-Marie Canneaux pour un genre de bouteilles dites segmentales pour les vins de Champagne et autres liquides gazeux (1BB5175, archives INPI).

Par conséquent, la bouteille est lourde : son poids est la rançon de sa solidité. La champenoise, comme on l’appelle, est normalement translucide et de couleur vert foncé avec une forme qui lui est propre et des mensurations précises : un fût cylindrique de 88,4 mm ; la piqûre, profonde de 30 mm ; la partie supérieure du goulot, d’une largeur de 30 mm, où se trouve la bague, qui fournit un appui au système de fixation du bouchon. Bouchon, qu’il faut encore faire sauter avant de déguster ! Ce bouchon, si caractéristique des vins mousseux, dont le maintien a toujours posé des difficultés. En liège dès l’origine, il était retenu à l’aide de ficelles de chanvre ou de fil de fer jusqu’à ce qu’Adolphe Jacquesson, négociant en vins à Châlons-en-Champagne, dépose un brevet en 1844 consistant à intercaler une plaque entre le bouchon et le fil du lien.

Brevet n° 412 déposé le 15 novembre 1844 par Adolphe Jacquesson pour des perfectionnements apportés dans les appareils et procédés propres au bouchage des bouteilles renfermant des vins ou autres liquides mousseux ou non (1BB412, archives INPI).
Brevet n° 412 déposé le 15 novembre 1844 par Adolphe Jacquesson pour des perfectionnements apportés dans les appareils et procédés propres au bouchage des bouteilles renfermant des vins ou autres liquides mousseux ou non (1BB412, archives INPI).

Cette plaque équilibre les forces et évite au liège, sous la pression, de venir s’incruster dans les fils de chanvre ou de fer, ce qui provoque des fuites de gaz ou de liquide. Ce dispositif, le muselet, maintient désormais le bouchon dans la bouteille et contribue à son étanchéité jusqu’à l’ouverture. Il doit permettre au consommateur un débouchage en toute sécurité. Aujourd’hui, le muselet est composé de la ceinture en fil d’acier, du corps, ou cage, composé de quatre pattes et d’une tête en fil d’acier avec la plaque en fer blanc vernie, lithographiée ou estampée. Cette dernière porte généralement la marque de la Maison.

La Maison de Champagne est l’entreprise agricole et/ou industrielle et commerciale qui contrôle les moyens matériels et humains nécessaires à l’élaboration et à la distribution d’une marque. Son talent réside dans l’élaboration de cuvées qui s'efforcent de refléter le style caractéristique de la marque par l’assemblage des cépages, des crus ou encore des années. L’INPI conserve précieusement toutes les marques déposées par ces Maisons qui sont à l’origine de la notoriété et du prestige des vins de Champagne dans le monde. Les plus belles sont probablement celles déposées à la fin du XIXe siècle. Quelques exemples :

Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin de Champagne déposée le 3 mai 1877 par James Le Forestier, négociant en vins, à Epernay (1MA28105, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin de Champagne, déposée le 3 mai 1877 par James Le Forestier, négociant en vins, à Epernay (1MA28105, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin de Champagne déposée le 20 août 1877 par Arthur Roederer, négociant en vins de Champagne, à Reims (1MA29049, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin de Champagne, déposée le 20 août 1877 par Arthur Roederer, négociant en vins de Champagne, à Reims (1MA29049, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin de Champagne déposée le 2 février 1878 par Albert de Bary à Epernay (1MA30344, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin de Champagne, déposée le 2 février 1878 par Albert de Bary à Epernay (1MA30344, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin mousseux déposée le 24 janvier 1879 par Maurice Barbier, négociant, à Bordeaux (1MA33292, archives INPI).
Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette destinée à être collée sur des bouteilles de vin mousseux, déposée le 24 janvier 1879 par Maurice Barbier, négociant, à Bordeaux (1MA33292, archives INPI).

Avec plus de cinq cents brevets d’invention délivrés dans ce domaine depuis 1791 et l’intégralité des marques enregistrées depuis 1857, l’Institut national de la propriété industrielle est une source incontournable pour l’histoire du Champagne et des grandes Maisons qui font sa renommée. Ces archives, constituées de documents originaux uniques, contribuent à une meilleure connaissance de l’histoire de ce vin d’exception dont une partie, les « Coteaux, Maisons et Caves de Champagne », est inscrite sur la liste du  patrimoine mondial de l’UNESCO.

Cet article est également paru dans le Journal Spécial des Sociétés du 23 décembre 2020, n° 82, p. 20.