Doctrine et analyses
Compte rendu

Chine : un tribunal de Pékin estime qu’une image générée par l’intelligence artificielle est protégeable par le droit d’auteur

PIBD 1217-II-1
par Julie Hervé
Texte

Par Julie Hervé, conseillère régionale INPI pour la Chine1

Le 27 novembre 2023, le Tribunal Internet de Pékin (Beijing Internet Court) a rendu une décision historique, accordant des droits d’auteur sur une œuvre générée par l’intelligence artificielle (IA).

Les faits sont les suivants : le plaignant a posté sur le réseau social chinois Xiaohongshu une image qu’il a élaborée via un générateur d’image par IA. Celle-ci a par la suite été reprise par le défendeur pour illustrer ses propres poèmes puis partager le tout sur une autre plateforme numérique. Le plaignant a donc saisi la justice pour faire cesser l’atteinte à son droit d’auteur et obtenir réparation du préjudice subi du fait de la reprise non autorisée de cette image.

Dans cette affaire, les juges ont reconnu que le plaignant était titulaire de droits d’auteurs sur l’image générée par l’IA. Le tribunal a retenu que ses « investissements intellectuels » dans le choix et la formalisation des requêtes (les prompts nécessaires pour faire fonctionner l’outil d’IA) pouvaient s’apparenter aux ajustements manuels opérés par les photographes sur les appareils photo pour aboutir au résultat désiré. Par analogie, les juges ont ainsi considéré que l’IA générative était un outil permettant à des êtres humains de créer des œuvres originales, comme dans ce cas d’espèce.

Le tribunal pékinois a ainsi ordonné au défendeur de procéder à des excuses publiques et de verser au plaignant l’équivalent de près de 65 € à titre de dommages-intérêts.

Le tribunal, après avoir insisté sur le fait que cette décision était conforme à l’objectif poursuivi par la loi chinoise sur le droit d’auteur, a estimé que l’extension de la protection à des contenus générés par l’IA pourrait inciter les créateurs à recourir à l’IA pour une multiplication des contenus créatifs. Les juges ont néanmoins souligné l’importance de procéder à une analyse au cas par cas pour déterminer si les œuvres générées par l’IA sont ou non susceptibles de protection par le droit d’auteur.

Cette décision s’inscrit dans un courant opposé à celles rendues jusqu’à présent à l’international, notamment aux États-Unis, qui étaient plutôt défavorables à la protection par le droit d’auteur de contenus générés par l’IA. Elle crée en ce sens un précédent majeur, tant en Chine que dans le reste du monde. Les médias chinois qui ont relayé cette affaire insistent sur l’intérêt qu’elle fait naître, justifiant la retransmission en live du procès, suivi par près de cent soixante-dix mille personnes.

Cette décision a par ailleurs suscité de nombreux débats. Certains commentateurs estiment qu’elle semble raisonnable pour garantir un environnement protecteur du droit d’auteur en Chine. D’après eux, exclure d’office les œuvres générées par l’IA de la protection par le droit d’auteur pourrait ouvrir la voie à une reprise sans autorisation de l’ensemble des œuvres accessibles sur Internet, sans distinction du mode de génération ou de l’auteur, risquant par là même de porter atteinte aux droits de nombreux auteurs.

D’autres observateurs soulignent quant à eux l’alignement de cette décision avec les objectifs de la Chine de devenir un leader mondial sur l’IA. En effet, la protection par le droit d’auteur d’œuvres générées par l’IA est non seulement une incitation à recourir à de tels outils, mais accroît également la valeur commerciale des produits et services générés par l’IA.

julie.herve@dgtresor.gouv.fr. Le service « réseau international » de l’INPI (dix agents couvrant une centaine de pays) met en œuvre les actions de coopération internationale en collaboration avec ses partenaires, institutionnels et privés. Il accompagne les entreprises à l’export en lien avec la Direction générale du Trésor.