Doctrine et analyses
Compte rendu

Vers un test de durabilité dans les affaires concernant la défense de droits de propriété intellectuelle

PIBD 1217-II-2

d’après l’article de Charlotte J. S. Vrendenbarg* : Towards a judicial sustainability test in cases concerning the enforcement of intellectual property rights, in GRUR IT, (72), 12, décembre 2023, p. 1125-1131

Texte

De longue date, le rappel, la mise à l’écart définitive des circuits commerciaux et la destruction de marchandises de contrefaçon – voire de marchandises authentiques provenant d’importations parallèles – figurent au rang des mesures correctives que peuvent ordonner les tribunaux, dans de nombreux pays. S’intéressant à la situation au sein de l’Union européenne, l’auteure plaide pour des mesures qui soient plus compatibles avec les impératifs de développement durable tout en permettant de faire respecter efficacement les droits.

Elle précise tout d’abord que les contours des mesures correctives ci-dessus mentionnées résultent tant de l’accord sur les ADPIC que de la directive 2004/48/CE. Notamment, elles doivent être proportionnées à la gravité de l’atteinte et les intérêts des tiers doivent être pris en compte.

L’auteure propose ensuite plusieurs pistes visant à rendre ces mesures plus durables : autorisation d’écouler le stock de marchandises, moyennant au minimum un dédommagement ou des redevances de licence ; remise des marchandises au titulaire ou à des organisations caritatives (cette solution est d’ailleurs mentionnée à l’article 12, paragraphe 3 de la directive (UE) 2016/943 sur les secrets d’affaires) ; retrait de l’élément contrefaisant (pièce d’un produit, emballage, marque…) ; recyclage ou
surcyclage (upcycling. Le rôle possible du réseau REACT
est également évoqué.

L’auteure signale, pour chacune d’elles, les obstacles aux mesures proposées et les risques que pourrait occasionner leur mise en œuvre. Elle fait observer qu’il conviendrait de choisir, au cas par cas, la mesure adaptée au contexte, compte tenu plus particulièrement de la nature de l’atteinte et de la nature des marchandises concernées.

La prise en compte des enjeux de durabilité dépendant en grande partie, à l’heure actuelle, de la volonté des parties en la matière, l’auteure s’interroge sur le rôle des tribunaux. Se référant à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la directive 2004/48/CE, et rappelant que les mesures correctives doivent tenir compte des intérêts des tiers, elle ne doute pas que ceux-ci incluent les intérêts environnementaux. Elle considère que les tribunaux ont un rôle à jouer, lorsqu’ils examinent la proportionnalité des mesures sollicitées par le titulaire des droits, avec, cependant, une marge de manœuvre limitée si la question environnementale n’est pas soulevée par une des parties. Elle note au passage que la protection de l’environnement est mentionnée dans le considérant 21 de la directive sur les secrets d’affaires, en lien avec la proportionnalité des mesures, procédures et réparations prévues pour protéger les secrets.

Diverses législations nationales de pays de l’UE font expressément référence à la proportionnalité des mesures correctives. Exemples à l’appui, l’auteure en examine la traduction jurisprudentielle dans quatre pays. Aux Pays-Bas et en Belgique, les tribunaux semblent, au nom de la proportionnalité, de plus en plus réticents à ordonner la destruction des marchandises. Rares sont toutefois les cas où les questions environnementales sont abordées expressément. En Allemagne, l’accent est mis sur la protection des droits et la nécessité d’un effet dissuasif, la proportionnalité est interprétée de manière très restrictive et les intérêts sociétaux tels que les intérêts environnementaux ne jouent pas là un rôle important. En France, l’auteure n’a pas connaissance de décisions écartant la destruction pour des motifs de durabilité.

* Professeure à l’université Radboud (Pays-Bas) ; juge adjointe au tribunal de district de La Haye.

Texte

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