Doctrine et analyses
Analyses

Conférence diplomatique de Riyad : un accord historique pour la protection des dessins et modèles

PIBD 1238-II-1
Par Maxime Bessac
Texte

Par Maxime Bessac, responsable du pôle juridique de l’INPI

Le vendredi 22 novembre 2024, les États membres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), réunis dans le cadre d’une conférence diplomatique qui s’est tenue du 11 au 22 novembre 2024 à Riyad (Arabie saoudite), ont adopté par consensus un Traité sur le droit des dessins et modèles.

Les négociations menées dans le cadre de cette conférence présidée par Abdulaziz Mohammed Al-Swailem, président de l’Autorité saoudienne de la propriété intellectuelle (SAIP), ont permis de parachever avec succès près de deux décennies de discussions, débutées dès 2005.

L’objectif de ce Traité est d’harmoniser les procédures nationales et régionales, et de les simplifier afin de permettre aux créateurs du monde entier de protéger leurs créations plus facilement, plus rapidement et à moindre coût, tant dans leur pays qu’à l’étranger.

Il ne s’agit toutefois que de dispositions liées aux formalités et aux procédures, le Traité ne réglementant pas le droit matériel des dessins et modèles. Ainsi, les parties contractantes demeureront libres de prescrire dans leur législation nationale les conditions « de fond ».

Le traité de Riyad est composé de trente-deux articles et d’un règlement d’exécution de dix-sept règles. L’Assemblée constituée des États parties au Traité aura le pouvoir d’amender le règlement d’exécution (article 26).

Les avantages de ce Traité sont nombreux :

  • Les formalités de dépôt

Sur le modèle des traités précédents en droit des marques et des brevets[1], le traité de Riyad établit une liste des exigences maximales à satisfaire pour former une demande de dessin ou modèle et pour l’obtention d’une date de dépôt.

L’obtention d’une date de dépôt est ainsi soumise à la réunion d’indications et d’éléments essentiels, listés de manière exhaustive à l’article 6 du Traité. Une date de dépôt sera attribuée à toute demande qui réunit :

  • une indication, même implicite, que les éléments sont censés constituer une demande,
  • des indications permettant d’établir l’identité du déposant,
  • une représentation suffisamment nette du dessin ou modèle,
  • des indications permettant d’entrer en relation avec le déposant ou son mandataire.

Le Traité prévoit toutefois deux tempéraments à cette règle.

Le premier est qu’une partie contractante peut n’exiger que trois de ces quatre conditions, en choisissant soit des indications permettant d’établir l’identité du déposant, soit des indications permettant d’entrer en relation avec le déposant ou son mandataire.

Le second est, à l’inverse, qu’une partie contractante peut continuer d’exiger certaines conditions supplémentaires, sous réserve qu’elles soient déjà prévues dans sa législation applicable au moment où elle devient partie au Traité. Ces conditions supplémentaires autorisées, limitativement énumérées à l’article 6, offrent aux parties contractantes la possibilité de maintenir des exigences régionales ou nationales pour l’attribution d’une date de dépôt. Elles peuvent consister en l’indication du ou des produits auxquels le dessin ou modèle est incorporé ou en relation avec lesquels le dessin ou modèle doit être utilisé, une description succincte de la reproduction ou des éléments caractéristiques du dessin ou modèle industriel, la présence d’une revendication, le paiement des taxes exigées et la présence d’indications relatives à l’identité du créateur du dessin ou modèle. Ces conditions supplémentaires devront être notifiées au Directeur général de l’OMPI.

En droit français, le paiement de la redevance de dépôt est une condition d’obtention d’une date de dépôt, condition supplémentaire autorisée à l’article 28 de la nouvelle directive européenne n° 2024/2823[2].

L’attribution d’une date de dépôt ne préjugeant pas de la complétude de la demande, l’article 4 et la règle 3 du Traité listent de manière exhaustive les autres exigences acceptables. L’inaccomplissement de ces exigences n’est pas de nature à retarder l’attribution d’une date de dépôt, mais peut entraîner le rejet de la demande. Ces exigences étant bien entendu optionnelles, il reviendra dès lors aux parties contractantes de déterminer dans leur droit national ou régional lesquelles sont applicables.

Une nouveauté notable, ajoutée à la demande d’un grand nombre de pays et notamment de ceux d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, est la mention des expressions culturelles traditionnelles et des savoirs traditionnels. Le Traité autorise les parties contractantes à exiger qu’une demande de dessin ou modèle contienne des informations sur les expressions culturelles traditionnelles ou les savoirs traditionnels dont a connaissance le déposant, et qui sont pertinentes pour l’admissibilité à l’enregistrement du dessin ou modèle. Cette mesure de transparence vise à faciliter l’identification des créations qui s’inspireraient des savoirs traditionnels et expressions culturelles traditionnelles dans un contexte où l’appropriation culturelle est un sujet d’une grande sensibilité au niveau international et une préoccupation majeure des pays du Sud. Cet ajout n’est pas étranger à l’adoption quelques mois plus tôt du traité sur la propriété intellectuelle, les ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés[3], et des discussions en cours dans le cadre du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore de l’OMPI (IGC). L’indication des « ressources biologiques ou génétiques utilisées ou incorporées » dans un dessin ou modèle avait d’ailleurs était demandée par des pays du continent africain et le Brésil, avant d’être finalement retirée du texte soumis au consensus final.

Cette mesure de transparence ne brille pas par sa clarté, mais nous comprenons qu’elle est limitée aux informations dont a connaissance le déposant, et qui apparaissent pertinentes pour l’admissibilité à l’enregistrement, au même titre que les indications relatives à des demandes ou à des enregistrements antérieurs. Il est difficile à ce jour de savoir quelles parties contractantes intègreront in fine cette nouvelle exigence dans leur droit national ou régional et les sanctions qui y seront associées.

  • La représentation du dessin ou modèle

Les États contractants devront permettre aux déposants de choisir les formes de représentation d’un dessin ou modèle, en recourant à des reproductions graphiques, des photographies ou, si elle est acceptée par l’office, toute autre représentation visuelle telle que des vidéos.

Si la législation applicable le permet, le déposant pourra combiner différentes formes de représentation.

Afin d’exclure de la protection une partie d’une représentation qui ne fait pas partie du dessin ou modèle revendiqué, le déposant pourra employer différents moyens visuels, tels que des lignes discontinues ou en pointillés.

Alors que la version initiale du règlement d’exécution autorisait les déposants à employer la description aux fins d’identification des éléments exclus de la protection, d’intenses négociations ont été menées sur ce point, notamment à l’initiative de l’Union européenne au sein de laquelle la description n’a qu’une fin documentaire. Ces négociations ont finalement abouti à ce qu’un tel usage de la description ne soit possible que si la législation applicable le permet.

  • Les mesures de sursis et de restauration

Le Traité prévoit des mesures de sursis et de restauration pour éviter que les déposants et les titulaires ne perdent leurs droits en cas d’inobservation d’un délai.

Alors que la rédaction initiale du Traité était largement inspirée du traité sur le droit des brevets, plus sévère sur ce point, le consensus a abouti à une solution davantage proche du traité de Singapour sur le droit des marques.  

Ainsi, les parties contractantes doivent permettre aux déposants et titulaires de requérir une prorogation des délais, au choix de la partie contractante avant ou après leur expiration, et peuvent prévoir une poursuite de la procédure pour les délais inobservés (article 14).

Si une partie contractante n’autorise, en cas d’inobservation d’un délai, ni prorogation des délais ni poursuite de procédure, elle doit offrir aux déposants et aux titulaires un recours en restauration (article 15).  

En droit français des dessins et modèles, il n’existe ni prorogation des délais ni poursuite de procédure. Et si les recours en restauration sont prévus par les textes (actuel article L. 512-3 du Code de la propriété intellectuelle, ci-après « CPI »), leur recevabilité est encadrée dans un délai préfix de six mois à compter de l’expiration du délai inobservé, alors que la règle 11 du règlement d’exécution prévoit un délai minimum de douze mois à compter de la date d’expiration du délai imparti.

Le traité de Riyad nécessitera donc une évolution de notre droit national.

D’autres évolutions sont à prévoir, telles que la possibilité de corriger ou d’ajouter une revendication de priorité et de requérir la restauration du droit de priorité (article 16).

La correction ou adjonction de priorité permet au demandeur d’invoquer, après le dépôt, le bénéfice d’une priorité. Elle permet également de revendiquer une priorité plus ancienne à une priorité déjà revendiquée lors du dépôt. Les délais pour ce faire sont encadrés par la règle 12 : la requête doit être soumise dans un délai qui ne peut pas être inférieur à six mois à compter de la priorité la plus ancienne, et, en tout état de cause, elle peut toujours être soumise dans un délai de deux mois à compter de la date du dépôt.

Une disposition équivalente existe en matière de brevets, à l’article 13 du traité sur le droit des brevets et à l’article R. 612-24 du CPI.

Le traité de Riyad prévoit également la restauration du droit de priorité qui permet de revendiquer valablement une priorité, alors qu’il n’a pas été procédé au dépôt dans le délai de six mois prévu par la convention de l’Union de Paris. Cette restauration est possible si la demande et la requête en restauration sont déposées dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois à compter de l’expiration du délai de priorité. Ainsi, une demande déposée sept mois après un premier dépôt pourrait bénéficier de la priorité de ce premier dépôt, à condition que la diligence requise a bien été exercée ou que l’inobservation du délai n’était pas intentionnelle.

Une disposition équivalente existe là encore en matière de brevets, à l’article 13 du traité sur le droit de brevets et à l’article L. 612-16-1 du CPI.

  • Le délai de grâce

Le Traité prévoit la possibilité de déposer une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle divulgué dans un délai de douze mois (article 7) à compter de la première divulgation, sans que celle-ci n’en affecte la nouveauté ou le caractère individuel. Ce « délai de grâce » est subordonné à la condition que la divulgation soit le fait du créateur ou de son ayant cause, ou d’une personne qui a obtenu du créateur ou de son ayant cause les informations divulguées, de manière abusive ou non.

Cette disposition très attendue des déposants et des professionnels du droit de la propriété intellectuelle s’est heurtée à une fin de non-recevoir de la part de nombreux pays, et notamment de la Chine et de l’Inde, pour lesquels le délai de grâce relève du droit matériel, et non pas des règles de procédure.

Si, à l’issue des négociations, cette disposition a pu être maintenue dans le Traité, elle doit être lue en parallèle avec l’article 31 relatif aux réserves, qui prévoit la possibilité pour tout État ou organisation intergouvernementale, dont la législation applicable ne prévoit pas de délai de grâce à la date à laquelle il est devenu partie au traité, de pouvoir formuler une réserve indiquant qu’il n’est pas lié par cette disposition.

  • Les communications

En matière de communications (article 12), entendues au sens le plus large, le principe est la liberté. Ainsi, une partie contractante peut choisir le mode de transmission des communications, et décider de les accepter sur papier, sous forme électronique ou sous toute autre forme.

Un apport du Traité réside dans la disposition qui prévoit, en matière de traduction, qu’aucune partie contractante ne pourra exiger que la traduction d’une communication soit attestée, reconnue conforme par un officier public, authentifiée, légalisée ou certifiée, sauf disposition contraire dans le Traité.

  • La non-publication du dessin ou modèle

Le Traité impose aux parties contractantes d’accepter de maintenir le dessin ou modèle secret, pour une période minimale de six mois à compter de la date de dépôt (article 10).

À noter toutefois que cette disposition peut également faire l’objet d’une réserve.

  • Le renouvellement

Le Traité liste de manière exhaustive les indications qui doivent être mentionnées dans une requête en renouvellement (article 13).

La période au cours de laquelle il est possible de requérir le renouvellement de l’enregistrement court à compter d’au moins six mois avant la date à laquelle le renouvellement doit être effectué, et s’achève au plus tôt six mois après cette date, en contrepartie d’une éventuelle surtaxe.

  • Les inscriptions

Le Traité encadre les formalités d’inscription de licence et de sûreté réelle (article 17), de changement de titularité (article 21), de nom ou d’adresse (article 22), ainsi que les rectifications d’erreurs matérielles (article 23).

Un apport important du Traité est le principe selon lequel non seulement le défaut d’une inscription d’une licence est sans effet sur la validité de l’enregistrement et la protection du dessin ou modèle, mais qu’une partie contractante ne peut subordonner à l’inscription d’une licence le droit que le licencié peut avoir d’intervenir dans une procédure en contrefaçon engagée par le titulaire, ou d’obtenir, dans le cadre de cette procédure, des dommages et intérêts (article 19).

  • La constitution de mandataire

Enfin, le Traité reconnaît expressément le droit des parties contractantes d’exiger la constitution d’un mandataire local aux fins de l’accomplissement de certains actes devant l’office. Ainsi, une partie contractante peut exiger qu’un déposant, un titulaire ou toute autre personne intéressée qui n’a ni domicile, ni établissement industriel ou commercial effectif et sérieux sur son territoire constitue un mandataire (article 5).

Toutefois, et il s’agit là encore d’une grande avancée permise par ce Traité, un tel déposant, titulaire ou autre personne intéressée doit pouvoir agir lui-même devant l’office pour le dépôt d’une demande, aux fins de l’attribution d’une date de dépôt et pour le simple paiement d’une taxe.

Cette avancée est toutefois limitée dès lors que les parties contractantes ont la possibilité de formuler une réserve à cet article, en ce qui concerne le dépôt d’une demande aux fins de l’obtention d’une date de dépôt.  Il apparaît ainsi probable que certains États, et notamment la Chine, maintiennent un recours obligatoire aux services d’un mandataire local aux fins de procéder au dépôt d’une demande et d’obtenir une date de dépôt.

En conclusion, le traité de Riyad sur le droit des dessins et modèles a atteint son objectif d’harmonisation et de simplification des procédures relatives aux dessins et modèles. Les négociations ont permis d’aboutir à un traité ambitieux, plutôt qu’à un texte de compromis flexible ou « à la carte », qui n’a pas à souffrir de la comparaison avec le traité sur le droit des brevets et le traité de Singapour sur le droit des marques. Bien au contraire, il dépasse ces derniers tant par son champ d’application (et notamment l’inclusion d’un délai de grâce) que par sa modernité (communications sous forme électronique et systèmes électroniques de dépôt). La contrepartie de ces dispositions exigeantes est la possibilité d’émettre des réserves à certains articles majeurs.

Le traité de Riyad a vocation à s’inscrire dans la durée, à donner l’exemple d’une législation idéale vers laquelle les législations nationales et régionales tendront progressivement, quand les réserves, elles, pourront être retirées à tout moment.

Il marque ainsi un nouveau succès de l’OMPI et, plus largement, du multilatéralisme, comme en témoigne la signature de l’Acte final par cent trente-cinq délégations et du Traité par dix-huit États contractants : la Bosnie-Herzégovine, la République centrafricaine, le Congo, le Costa Rica, la Côte d'Ivoire, la Corée du Nord, la Gambie, le Ghana, le Liban, le Maroc, le Paraguay, les Philippines, la république de Moldavie, Sao Tomé-et-Principe, l’Arabie saoudite, le Soudan, l’Ouzbékistan et le Zimbabwe.

Le traité de Riyad entrera en vigueur trois mois après avoir été ratifié par quinze États.

[1] Le traité de Singapour sur le droit des marques du 27 mars 2006 (STLT) et le traité sur le droit des brevets du 1er juin 2000 (PLT).
[2] Voir à ce sujet la présentation du Paquet « Dessins ou Modèles » par Léonard Munsch, dans PIBD 2024, 1237, II-1.
[3] Traité sur la propriété intellectuelle, les ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés adopté à Genève le 24 mai 2024. Voir à ce sujet la présentation de Célia Benabou dans PIBD 2024, 1228, IV-2.