Jurisprudence
Marques

Contrefaçon de la marque BLUECAR, distinctive pour désigner des voitures électriques, par la marque AUTO BLEUE - Risque d’association liée à la traduction française du signe

PIBD 1148-III-5
CA Paris, 15 septembre 2020

Validité des marques verbales française et de l’UE (oui) - Caractère distinctif - Fonction d'indication d'origine - Public pertinent - Langue étrangère - Syllabe finale - Caractère descriptif - Désignation nécessaire, générique et usuelle

Déchéance des marques (non) - Usage sérieux - Usage à titre de marque - Fonction d'indication d'origine

Dégénérescence des marques (non) – Désignation usuelle - Défense du titre

Contrefaçon des marques (non) - Imitation - Adjonction de mots et d’une partie figurative - Différences  visuelle, phonétique et intellectuelle

Contrefaçon des marques (oui) - Imitation – Faible similitude visuelle - Différences  visuelle et phonétique - Similitude intellectuelle - Langue étrangère - Risque de confusion - Risque d’association - Public pertinent - Secteur d’activité – Notoriété de la marque

 

Texte
Marque de l’UE n° 4 597 621 de la société Bolloré
Marque n° 3 822 503 de la société Métropole Nice Côte d’Azur
Marque semi-figurative n°  3877 248 de la société Métropole Nice Côte d’Azur
Texte

Les marques verbales BLUECAR, prises dans leur ensemble, présentent un caractère distinctif pour désigner des voitures électriques et des services de location de véhicule. Le mot « car », compris par le public français comme signifiant « voiture » en langue anglaise, est descriptif pour désigner ces produits et services. Toutefois, le mot « blue », qui sera aisément traduit, n'est pas habituellement employé pour désigner des véhicules électriques ou propres que le public français associe plus volontiers à la couleur verte qu'à la couleur bleue. Ainsi, le signe BLUECAR n'est pas composé exclusivement d'indications pouvant servir à désigner des véhicules, notamment électriques, ou une de leurs caractéristiques ou d'indications usuelles dans le langage courant ou les habitudes du commerce. Il permet au public pertinent - consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de véhicules, notamment de véhicules à propulsion électrique, acheteur ou loueur, particulier ou professionnel  - d'identifier les véhicules pour lesquels il a été enregistré comme provenant du titulaire de la marque en les distinguant de ceux proposés par d'autres entreprises.

La contrefaçon des  marques verbales BLUECAR par les marques semi-figuratives autobleue n’est pas constituée, en raison notamment de la présence, dans les marques secondes, d’un élément figuratif très apparent placé au-dessus des éléments verbaux (petite voiture stylisée avec une aile semblant s'envoler) évoquant légèreté, rapidité et facilité, idée qui ne se retrouve pas dans les marques antérieures. En revanche, l’usage de la marque verbale AUTO BLEUE et des noms de domaine auto-bleue.org et autobleue.org, pour désigner des véhicules électriques et le service de location correspondant, est constitutif de contrefaçon par imitation des marques invoquées. Si les marques en présence se différencient visuellement par leur structure et leur séquence d'attaque et finale, elles se rapprochent cependant par leur longueur respective et en ce qu'elles ont en commun les éléments « Blue » et « Bleue » qui sont ressemblants. Phonétiquement, elles se différencient dans leurs sonorités d'attaque et de finale, leur rythme et leur prononciation. Conceptuellement, le signe « Auto bleue » ou AUTO BLEUE constitue la traduction en français du signe Bluecar, celle-ci étant aisée pour le consommateur moyen de référence qui connaît le sens de ces deux termes très courants et qui associera immédiatement le vocable « Bluecar » (« Voiture bleue ») à « Auto bleue » ou AUTO BLEUE. Est inopérante l'argumentation selon laquelle le public concerné associera la marque AUTO BLEUE aux services de transport que le défendeur propose dans son agglomération ou à des éléments de la culture locale (mobiliers urbains et parasols niçois) pour lesquels est utilisée la couleur bleue, dès lors qu’il ne s’agit pas du public de la ville de Nice ou même de la région niçoise ou de la Côte d'Azur, mais du public au sens large.

La voiture Bluecar, qui a figuré dans le Top 4 des voitures électriques les plus vendues en France entre 2011 et 2016, a nécessairement bénéficié de ce fait d'une certaine connaissance sur le marché. Par ailleurs, les parties interviennent dans le même secteur de l'auto-partage. Il existe donc un risque de confusion entre les signes en présence pour le consommateur moyen des produits et services concernés qui sera amené à leur attribuer une origine commune ou, à tout le moins, à les associer, le signe AUTO BLEUE lui apparaissant comme une déclinaison du signe BLUECAR. Ce risque s'est même réalisé, comme le montre un rapport de l'ADEME qui présente le service AUTO BLEUE comme utilisant la flotte électrique BLUECAR. Si un organisme officiel a pu commettre cette erreur, accréditant l'idée d'un partenariat entre les parties, le risque de confusion existe encore plus pour des professionnels ou des particuliers.

Cour d’appel de paris, pôle 5, 1re ch., 15 septembre 2020, 2018/17370 (M20200173)1 
Bolloré SA c. Métropole Nice Côte d’Azur et Venap SAS

(Infirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 25 mai 2018, 2016/05528, M20180202 ; PIBD 2018, 1098, III-477, avec une note ; Propr. industr., sept. 2018, p. 53, note de P. Tréfigny).

Propr. industr., nov. 2020, comm. 64, note de P. Tréfigny