Jurisprudence
Dessins et modèles

Contrefaçon, par un partenaire commercial, de modèles communautaires portant sur un câble USB et un chargeur pour téléphones mobiles – Dépôts de modèles communautaires par le défendeur sans incidence

PIBD 1216-III-4
CA Paris, 13 octobre 2023, avec une note

Contrefaçon des modèles communautaires (oui) - Impression visuelle globale identique - Dépôts de modèles par le défendeur sans incidence - Modèles communautaires postérieurs - Relations d’affaires - Ancien fabricant du demandeur - Opposabilité des modèles antérieurs (oui) - Titularité des droits - Absence de revendication des droits par l’auteur - Défaut de titularité des droits d’auteur sans incidence

Préjudice - Droit de l’UE - Préjudice subi sur tout le territoire de l’UE - Pluralité de défendeurs - Défendeur domicilié hors UE - Compétence internationale - Préjudice moral - Dépréciation des modèles

Concurrence déloyale et parasitaire (non) - Faits distincts des actes de contrefaçon - Copie servile - Relations d'affaires - Commande - Reprise des conditionnements et des photographies promotionnelles - Produits d’appel - Effet de gamme - Volonté de profiter des investissements d’autrui

Rupture brutale des relations commerciales établies (oui) - Absence de préavis - Préjudice subi par le défendeur

Texte
Modèle n° 001170401-0001 de la société Bigben Connected
Modèle n° 001186225-0001 de la société Bigben Connected
Texte

La société française demanderesse est titulaire de deux modèles communautaires portant, l’un, sur la forme d'un câble USB et, l’autre, sur celle d'un chargeur à double port USB, issus d’une collection d’accessoires pour les téléphones portables qu’elle a lancée. Elle reproche à une société de droit hongkongais, qui fabrique et commercialise des accessoires de téléphonie mobile, d'avoir déposé à titre de modèles communautaires, postérieurement au dépôt de ses propres modèles, les formes de tous les produits de sa collection alors que cette société était chargée de les fabriquer à sa demande. Elle lui reproche également d’avoir fourni ces produits à des distributeurs qui sont des concurrents directs, notamment à une société française. Elle a dès lors assigné ces deux sociétés en contrefaçon.

Il ressort du constat d’huissier effectué sur le site internet de la société défenderesse française et de la saisie-contrefaçon opérée dans ses locaux que les produits litigieux présentent de grandes ressemblances avec les modèles communautaires invoqués, ce qui n’est pas contesté. Les parties ne discutent pas non plus le fait que ces produits ne produisent pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. Mais, les sociétés défenderesses font valoir que les modèles communautaires invoqués sont dépourvus de toute portée, car déposés dans des conditions critiquables, et qu’ils sont inopposables à la société hongkongaise qui les a exploités légitimement avec l'autorisation de leur créateur. Elles ajoutent que la société demanderesse ne pourrait leur reprocher des faits qu'elle a elle-même initiés au travers de ses commandes. Néanmoins, la demanderesse est titulaire des modèles communautaires invoqués et les conditions de dépôt ne sont pas utilement critiquées. L’agence de design que les sociétés défenderesses présentent comme l'auteur de ces modèles, et dont la demanderesse se serait appropriée les créations, n'a en effet revendiqué aucun droit sur les dépôts de modèles. Le fait que la société demanderesse a précédemment échoué à démontrer être titulaire de droits d'auteur sur ces modèles est inopérant, les faits reprochés étant des actes de contrefaçon de modèles communautaires déposés. Les contacts et échanges qu'a eus l’agence de design avec, d'une part, la demanderesse et d'autre part, une société tierce qui a ensuite acquis le société défenderesse, sont à cet égard indifférents, ces modèles étant la propriété de la demanderesse qui peut légitimement les opposer.

En outre, les modèles communautaires invoqués ont été déposés antérieurement à la constitution de la société hongkongaise, ainsi qu'aux dépôts de modèles communautaires qu’elle a elle-même effectués. Elle ne peut donc se prévaloir, ni des échanges qu'elle a eus avec l’agence de design, ni de ces dépôts, pour justifier la fabrication et la commercialisation des produits reproduisant les modèles déposés par la société demanderesse. De même, la circonstance que cette dernière l'a sollicitée durant plusieurs années pour fabriquer les produits litigieux pour son compte ne l’autorise pas à fabriquer ces mêmes produits pour les commercialiser auprès de tiers sans son autorisation. Les actes de contrefaçon, par la fabrication, l'importation, l'offre à la vente et la commercialisation en France du chargeur et du câble incriminés, sont donc caractérisés.

En ce qui concerne la réparation du préjudice subi, le tribunal communautaire des dessins ou modèles a été saisi par la société demanderesse en raison de la domiciliation, en France, de la société distributrice des produits contrefaisants. Il n’est pas contesté que les demandes formées contre cette société et l’autre société défenderesse, qui est domiciliée hors de l’Union européenne, sont dans un lien étroit de connexité. Ainsi, en application des règlements européens relatifs à la compétence, et de l'article 42, al. 2, du Code de procédure civile, la compétence du tribunal communautaire des dessins ou modèles saisi étant, en l'espèce, fondée sur le lieu du domicile de l'une des codéfenderesses, celui-ci est compétent pour statuer sur l'intégralité du préjudice résultant des actes de contrefaçon commis sur le territoire de tout État membre de l'Union européenne.

La demande présentée par la société défenderesse hongkongaise pour rupture brutale des relations commerciales établies, à l’encontre de la société demanderesse à laquelle elle fournissait des accessoires de téléphonie et qui était l’un de ses principaux clients, est fondée. En effet, la relation d’affaires qu’entretenaient les parties depuis près de cinq ans a été rompue sans préavis ni mention d’aucun motif d’inexécution, par la société hongkongaise, de ses obligations, notamment le non-respect de l'obligation de loyauté dans l'exécution des relations contractuelles, ce qui constitue une faute.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 13 octobre 2023, 22/09339 (D20230042)
Bigben Interactive SA et Bigben Connected SASU c. Extenso Telecom SASU et INNOVHK Ltd (anciennement Unplug Ltd)
(I
nfirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 11 mai 2017, 15/05542, M20170275 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 22 janv. 2019, 17/11458, M20190015 ; Cass. com., 12 mai 2021, 19-14.034, D20210022, PIBD 2021, 1163, III-6)

Titre
NOTE :
Texte

La présente cour d’appel de renvoi suit la solution retenue par la Cour de cassation.

Le premier arrêt d’appel ayant statué dans cette affaire avait rejeté la demande en contrefaçon des modèles communautaires invoqués. Il avait retenu que la fabrication et la commercialisation des produits qui incorporaient ces modèles étaient licites en vertu des droits détenus par la société hongkongaise poursuivie sur des modèles communautaires déposés postérieurement.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt sur ce point pour violation des articles 12 et 19, § 1, du règlement (CE) n° 6/2002, selon lesquels le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire, à compter de la date de dépôt, le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Elle a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses constatations, les modèles invoqués par la société demanderesse ayant été déposés avant ceux dont la société poursuivie était titulaire.

La Cour de cassation s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui, dans son arrêt préjudiciel Celaya Emparanza Galdos Internacional (CJUE, 1re ch., 16 févr. 2012, C-488/10 ; D20120085 ; PIBD 2012, 963, III-398), a dit pour droit que l'article 19, § 1, du règlement précité doit être interprété en ce sens que, dans un litige portant sur la violation du droit exclusif conféré par un dessin ou modèle communautaire enregistré, le droit d'interdire à des tiers d'utiliser ledit dessin ou modèle s'étend à tout tiers qui utilise un dessin ou modèle ne produisant pas sur l'utilisateur averti une impression globale différente, y compris le tiers titulaire d'un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieur.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la question préjudicielle posée par une juridiction espagnole, la société poursuivie en contrefaçon considérait que, tant que l’enregistrement du dessin ou modèle communautaire postérieur n’avait pas été annulé, son titulaire bénéficiait d’un droit d’utilisation, de sorte que l’exercice de ce droit ne pouvait pas être considéré comme une contrefaçon. Mais, la Cour de justice a estimé qu’il importait peu que le tiers jouisse lui aussi, en principe, d’un droit exclusif d’utiliser son dessin ou modèle. Les dispositions du règlement doivent, en effet, être interprétées à la lumière du principe de priorité, en vertu duquel un dessin ou modèle communautaire enregistré antérieurement a la primauté sur les dessins ou modèles communautaires enregistrés postérieurement. La Cour de justice a ainsi adopté, dans le silence des textes, une interprétation extensive de la notion de tiers.

En matière de marque, la Cour de justice (1re ch., 21 févr. 2013, Fédération Cynologique Internationale, C-561/11) a également interprété la notion de tiers contre lequel le titulaire d’une marque de l’Union européenne peut agir en contrefaçon, dans une réponse à une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 9, § 1, du règlement (CE) n° 207/2009. Elle a dit pour droit que « le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire d’interdire à tout tiers de faire usage dans la vie des affaires des signes identiques ou similaires à sa marque s’étend au tiers titulaire d’une marque communautaire postérieure, sans qu’il soit nécessaire que la nullité de cette dernière marque soit déclarée au préalable ».