Atteinte au réseau de distribution exclusive (oui) - Existence et licéité du réseau - Existence de revendeurs parallèles - Absence d'étanchéité du réseau - Nature des produits - Produits à caractère médical - Critères de sélection objectifs
Contrefaçon des marques verbales française et de l’UE - Reproduction - Usage dans la vie des affaires - Usage à titre de marque - Usage sur un site internet - Accessibilité en France - Site en langue étrangère - Moyen de paiement - Usage sur les réseaux sociaux - Exception - 1) Épuisement des droits (non) - Charge de la preuve - Risque réel de cloisonnement des marchés (non) - Réseau de distribution exclusive - 2) Référence nécessaire (non)
Préjudice - Atteinte au pouvoir distinctif des marques - Compétence internationale - Actes incriminés commis sur le territoire français - Site internet - Interdiction - Limitation territoriale
La société demanderesse, titulaire des marques verbales française et de l’Union européenne STYLAGE, a mis en place, en France et en Europe, un réseau de distribution exclusive pour la commercialisation de dispositifs médicaux injectables, destinés au comblement des rides, dont les conditions d’utilisation sont réglementées. Elle a été informée par un de ses distributeurs exclusifs de l’offre à la vente de dispositifs médicaux de comblement dermique, notamment de la marque STYLAGE, sur le territoire suédois et sur le site internet de la société défenderesse.
L'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, dans sa version antérieure au 24 avril 2019, a pour objet de préserver l'identité du réseau en le protégeant de la revente parallèle, entendue comme la commercialisation par des revendeurs agréés à des distributeurs non agréés de produits que l'organisateur du réseau destine exclusivement à une revente à des distributeurs agréés ou aux consommateurs finals. Son application exige l'existence d'un accord de distribution licite au regard des règles du droit de la concurrence.
En l’espèce, l’existence du réseau de distribution exclusive de la société demanderesse est établie, celle-ci démontrant avoir conclu des contrats de distribution exclusive sur plusieurs territoires de l’Union européenne. Cette existence ne peut être remise en cause par l’accord conclu entre la société défenderesse et le distributeur exclusif des produits STYLAGE notamment en Suède, selon lequel ce dernier reconnaîtrait que la société défenderesse est autorisée à commercialiser les produits en cause. Elle ne peut davantage être remise en cause par l'existence d'autres revendeurs de produits STYLAGE sur des sites internet ou des places de marchés. En effet, un réseau de distribution exclusive ne peut empêcher l'existence de revendeurs parallèles.
Par ailleurs, le réseau de distribution exclusive en cause est licite. Les contrats de distribution attribuent certes à chaque distributeur un territoire exclusif, ce qui est de nature à créer un cloisonnement du marché qui va à l'encontre du principe même d'un marché intérieur. Toutefois, ces contrats n'interdisent aux distributeurs exclusifs que la revente active dans les autres territoires et non la revente passive. Ils n'organisent donc nullement une protection territoriale « absolue » d'un distributeur exclusif, car ils n'empêchent pas des revendeurs situés hors du territoire qui lui a été concédé, et notamment d'autres distributeurs exclusifs, de revendre aux clients situés sur ce territoire. L'absence d'étanchéité du réseau n'est donc pas pertinente pour caractériser l'illicéité de celui-ci. De même, la circonstance que d'autres sociétés revendent les produits STYLAGE en Europe, notamment en France, ne remet pas en cause la licéité du réseau, ce d'autant que la provenance de ces produits est indéterminée et qu'il peut s'agir de distributeurs parallèles, étant relevé que le fournisseur peut et même doit livrer les produits hors d'un territoire concédé à n'importe quel revendeur, même si ce dernier veut ensuite les commercialiser dans le territoire concédé.
En outre, la nature des produits objets du réseau de distribution requiert la mise en place d'un tel réseau afin de préserver la qualité des produits et d'en assurer le bon usage, ainsi que de garantir leur traçabilité et leur contrôle, ces produits pouvant avoir des conséquences sur la santé humaine.
Il est également établi par la production des contrats conclus avec les distributeurs que les revendeurs sont choisis sur la base de critères objectifs et non discriminatoires, telle la bonne connaissance du marché de l'esthétique par la distribution antérieure de produits à base de substances viscoélastiques. Ces critères sont fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs car ils reposent sur une documentation contractuelle identique. Ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire s'agissant de préserver la sécurité des consommateurs.
La société défenderesse a porté atteinte au réseau de distribution exclusive. Il n’est pas discuté qu’elle n’a pas obtenu ni même sollicité d’agrément auprès de la société demanderesse. Or, elle ne justifie pas l'origine des produits qu'elle commercialise sur son site internet et invoque, en vain, respecter les normes sur les ventes des produits en cause. Par ailleurs, le protocole d'accord que la société poursuivie a conclu avec le distributeur exclusif des produits STYLAGE, ne peut être valablement invoqué, dès lors qu’il ne lie pas la société demanderesse qui n'y est pas partie et qui seule peut agréer un distributeur ou autoriser la commercialisation des produits en cause.
Par ailleurs, la société défenderesse a commis des actes de contrefaçon des marques STYLAGE. L’usage, sur son site internet, de la dénomination « stylage » pour désigner des produits de comblement de rides constitue un usage à titre de marque dans la vie des affaires. Les arguments de la société défenderesse tenant au fait que son site internet n'est pas destiné au public français sont inopérants. En effet, un arrêt antérieur rendu dans la même affaire[1], relatif à l’exception d’incompétence soulevée devant le juge de la mise en état, a déclaré que le seul fait que le site ne soit accessible en France qu'en langue anglaise ne permet pas de considérer qu'il n'est pas à destination du public français pertinent.
En revanche, la société demanderesse ne justifie pas de l’usage à titre de marque de la dénomination litigieuse sur les réseaux sociaux.
La société défenderesse n’invoque pas utilement l’épuisement des droits. Il appartient à celui qui invoque cette exception d'établir, pour chacun des produits argués de contrefaçon, leur mise dans le commerce dans l'espace économique européen par le titulaire de la marque ou avec son consentement, sauf risque réel de cloisonnement des marchés par le titulaire de la marque. En l’espèce, le réseau de distribution exclusive en cause n'emporte pas un tel risque, en raison de l'autorisation, par les contrats de distribution, de ventes passives. Il en va de même de l'existence de prix différents selon les territoires, dont il n'est pas établi qu'elle résulte du réseau de distribution exclusive, alors qu'elle apparaît être le fait de distributeurs hors réseau.
Il incombe donc à la société défenderesse de rapporter la preuve de l'épuisement du droit, ce qu’elle échoue à faire. Ainsi, la seule facture qu’elle produit, qui est caviardée, rend impossible l’identification de son émetteur et est postérieure de deux ans aux faits de contrefaçon reprochés.
Enfin, le signe n’est pas utilisé par la société défenderesse comme référence nécessaire aux marques, la licéité de la provenance des produits n’étant pas établie.
Les mesures d'interdiction ordonnées sont limitées au site internet en ce qu'il est accessible en France. En effet, la cour a retenu des actes de contrefaçon des marques STYLAGE par le seul usage de ce signe sur des produits commercialisés sur le site internet de la société défenderesse accessible depuis la France, à l'exclusion des usages sur les réseaux sociaux.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 13 octobre 2023, 21/15273 (M20230206 ; Dalloz Actualité, 16 nov. 2023, D. Martin)
Mareli Medical AB (anciennement Klinikkdrift Sverige AB) c. Laboratoires Vivacy SAS
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 22 juin 2021, 17/07383)
[1] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 31 mai 2019, Mareli Medical AB SARL c. Laboratoires Vivacy SAS, 18/24101 ; M20190152 ; PIBD 2019, 1125, III-487.