Déchéance de la marque (non) - Usage sérieux - Exploitation sous une forme modifiée - Altération du caractère distinctif - Fonction d'indication d'origine - Droit de l'UE - Exploitation par des tiers sous une forme modifiée - Exploitation de la marque par un licencié - Exploitation pour les produits visés à l’enregistrement
La demande en déchéance des droits sur la marque verbale JUVEDERM, en ce qu’elle désigne en classe 10 les « appareils et instruments médicaux et chirurgicaux, implants dermiques, substances biocompatibles à usage médical destinées au comblement de la ride, peau artificielle à usage chirurgical, prothèse », est rejetée.
La preuve de l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif est rapportée. Le signe « Juvederm » a été associé à d’autres signes, tels que « ultra », « voluma », « volift », ou encore « hydrate », au sein de marques de l’Union européenne enregistrées. L'utilisation du signe « Juvederm » garantit aux yeux du consommateur l'origine du produit et respecte donc la fonction essentielle de la marque, alors que les signes adjoints permettent de l'identifier au sein d'une gamme en suggérant quelles en sont les indications précises. Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit, dans l’arrêt Rintisch1, que l'usage de la marque sous une forme modifiée permet à son propriétaire d'échapper à la déchéance de ses droits nonobstant le fait que la forme différente sous laquelle la marque est exploitée est elle-même enregistrée en tant que marque. Cette solution, adoptée depuis par la Cour de cassation à plusieurs reprises2, a été inscrite dans le CPI suite à la transposition, par l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, de la directive UE 2015/2436 du 16 décembre 20153. En l’espèce, le fait que les marques associant le signe « Juvederm » à d’autres éléments verbaux ont été enregistrées, non par le titulaire de la marque lui-même, mais par des sociétés du même groupe, n’est pas de nature à démontrer l’absence d’usage sérieux de la marque JUVEDERM, dès lors qu’elles se sont vu autoriser à faire usage de la marque.
L’usage sérieux visé par l'article L. 714-5, al. 1, du CPI, dans sa rédaction antérieure, s’entend de l'usage fait par le titulaire ou avec son autorisation. En l’espèce, les liens capitalistiques entre les diverses sociétés du groupe auquel appartient la société défenderesse constituent l'un des éléments démontrant cette autorisation d’usage. En outre, l'absence de toute protestation à l'exploitation de sa marque en France, par l’une de ces sociétés, laisse également présumer qu’elle a consenti à l'exploitation de celle-ci. Cet accord implicite a ensuite été corroboré par un acte de concession de licence exclusive.
Il est également démontré que la marque a été exploitée pour les produits visés à l’enregistrement. Le produit commercialisé invoqué est un implant injectable par seringue et composé d’un gel d'acide hyaluronique réticulé d'origine non animale. Indépendamment de la portée juridique de la classification de Nice, il ne peut sérieusement être soutenu que ce produit n'appartient pas à la classe 10 qui vise pourtant expressément les seringues, et ce, au motif que la seringue serait pré-remplie. En effet, cette circonstance ne saurait lui retirer sa nature de dispositif médical en ce qu’il est destiné à améliorer la qualité de la peau. Sa nature d'implant dermique ne saurait être contestée et il n'est pas démontré qu'il fasse partie des implants chirurgicaux composés de tissus vivants, seuls exclus de la classe 10. Par ailleurs, le gel d'acide hyaluronique est destiné à demeurer sous la peau pour combler les rides, et correspond aux « substance biocompatibles à usage médical destinées au comblement de la ride » visées dans l’enregistrement.
Cour d’appel de Versailles, 1re ch., 1re sect., 29 septembre 2020, 2019/01666 (M20200193)4
Dermavita Company c. Allergan Holdings France et Allergan Industrie
(Confirmation partielle TGI Nanterre, 21 févr. 2019, 2017/01904)
1 CJUE, 3e ch., 25 oct. 2012, Bernhard R c. Klaus E, C-553/11 (M20120525, PIBD 2012, 973, III-779 ; Propr. industr., déc. 2012, p. 23, note d’ A. Folliard-Monguiral ; Europe, déc. 2012, p. 33, note de L. Idot ; Comm. com. électr., déc. 2012, p. 22, note de C. Caron ; RLDA, 78, janv. 2013, p. 23, note de J. de Romanet ; Propr. industr., janv. 2014, p. 8, note de J. Passa). La solution a été réaffirmée par l’arrêt CJUE, 5e ch., Colloseum Holding AG c. Levi Straus & Co., 18 avr. 2013, C-12/12 (M20130238, PIBD 2013, 986, III-1245 ; JCP G, 18, 29 avr. 2013, p. 881, note de F. Picod ; Propr. industr., 7-8, juill.-août 2013, p. 31, note d'A. Folliard-Monguiral ; Europe, 6, juin 2013, p. 36, note de L. Idot ; Propr. industr., janv. 2014, p. 8, note de J. Passa).
2 Voir notamment :Cass. com., 3 juin 2014, Cofra Holding AG et C&A France c. Dolce & Gabbana France, G/2013/17769 (M20140365, PIBD 2014, 1011, III-650) ; Cass. com., 12 mai 2015, Denis Durantou SARL c. Société Coopérative agricole vinicole de Saint-Émilion SCOP, M/2014/14648 (M20150182, PIBD 2015, 1031, III-495 ; Propr. intell., 56, juill. 2015, p. 315, note de J. Canlorbe ; Europe, janv. 2016, p. 9, note de L. Leblond).
3 L'article L. 714-5, al. 2, 3°, du CPI dispose aujourd'hui expressément qu'est assimilé à un usage sérieux : « L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ».
4 Voir également : TGI Paris, ord. réf., Allergan Holdings France et Allergan France c Dermavita Company Ltd et al., 2017/53887 ; M20170549.