Jurisprudence
Marques

Demande de mesures provisoires pour contrefaçon des marques française et de l’UE PHYT’AURA + - Fin de non-recevoir tirée du défaut d'usage sérieux des marques

PIBD 1210-III-3
CA Paris, 30 juin 2023

Action en contrefaçon des marques française et de l’UE - Demande de mesures provisoires - Recevabilité (oui) - Usage sérieux (oui) - Usage à titre de marque - Usage sous une forme modifiée en altérant le caractère distinctif (non) - Exploitation limitée - Exploitation par des tiers - Actes préparatoires à la mise sur le marché - Exploitation publique et effective - Exploitation sur le territoire français et de l’UE - Preuve - Réseau social - Factures

Texte
Marque n° 4 001 362 de M. [W]
Texte

Le titulaire des marques verbales française et de l’Union européenne PHYT’AURA + est recevable à agir en contrefaçon. La fin de non-recevoir soulevée par la société défenderesse, tirée du défaut d’usage sérieux de ces marques[1], a été, à bon droit, rejetée par le juge de la mise en état qui a pu prononcer les mesures d’interdiction, de rappel des circuits commerciaux et de condamnation pécuniaire qui lui étaient demandées à titre provisoire.

Il incombe au titulaire des marques revendiquées, en réponse à la fin de non-recevoir qui lui est opposée, de justifier de l'exploitation du signe pendant la période des cinq ans précédant la demande en contrefaçon, et ce pour chacun des produits et services visés à l'enregistrement. Cet usage doit être sérieux et effectué à titre de marque, c'est-à-dire conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir au consommateur l'identité d'origine d'un produit ou d'un service en lui permettant de le distinguer, sans confusion possible, de ceux d'autres entreprises. En l’espèce, les produits opposés par la défenderesse pour lesquels l'usage sérieux doit être démontré sont les aliments et substances diététiques à usage médical ainsi que les compléments alimentaires pour êtres humains.

L'usage d'une marque sous une forme modifiée qui n'altère pas son caractère distinctif est suffisant pour caractériser l'usage sérieux de la marque. Dès lors, l'usage de la marque PHYT'AURA + sous une forme stylisée n'emporte aucune conséquence dans la mesure où l'élément distinctif « Phyt’aura » est intégralement reproduit, en majuscules. L'absence du signe « + » remplacé par un « R » en dernière position, renforçant l'idée qu'il s'agit d'une marque enregistrée, est peu perceptible par le consommateur et ne constitue pas une utilisation modifiée de la marque altérant son caractère distinctif.

Concernant la marque française, le titulaire indique avoir débuté son exploitation en France durant la période pertinente à prendre en considération et fournit à cet effet deux publications tirées des pages Facebook de deux de ses distributeurs. Ces publications sont des photographies des compléments alimentaires et d'autres produits vendus par le titulaire, présent sur l'une des photographies, prises dans l'enceinte de ces établissements et qui affichent clairement la marque PHYT'AURA +, dans sa forme stylisée, sur les étiquettes des produits. Il fournit également cinq factures d’un montant total de 5 172 euros. Bien que ce chiffre ne soit pas très élevé au regard du marché global des compléments alimentaires, il convient de tenir compte du fait que le titulaire de la marque exerce ses activités seul en produisant, fabriquant et conditionnant ses produits dans son unique laboratoire. Par ailleurs, les produits de cette marque sont vendus par ses deux distributeurs dans des endroits géographiquement distincts et apparaissent sur leur réseau social, ce qui est de nature à accroître le nombre de visiteurs de ces enseignes et donc la visibilité des produits.

Les pièces produites aux débats relatives à la réservation de noms de domaine et à la création d'étiquettes et de documents promotionnels révèlent l’existence d’actes préparatoires. Or, il est de jurisprudence constante que les actes simplement internes, accomplis au sein d'une entreprise ou en direction d'un réseau de distribution contrôlé par le titulaire de la marque, sont insusceptibles de constituer un usage sérieux de la marque. Afin qu’ils soient considérés comme tels, il y a lieu de déterminer si ces actes ont été effectués vers l'extérieur ou publiquement à l'occasion d'une offre effective de vente des produits marqués. En l'espèce, les produits tels que représentés sur les documents promotionnels sont, pour certains, identiques à ceux photographiés et publiés sur les pages Facebook des deux distributeurs. Ces actes préparatoires entrent dans la période de référence et sont donc à même de prouver que le titulaire a cherché à commercialiser ses produits sur le territoire français, ce qu'il a finalement fait, en se présentant d'ailleurs lui-même au sein des entreprises qui assurent leur distribution auprès de leurs clients. Il doit en être déduit qu’il a bien fait un usage sérieux de sa marque française sur le territoire national et que celui-ci ne saurait se réduire à un usage sporadique au regard de ses capacités de production, de ses investissements promotionnels, et de ses ventes effectives.

La marque de l'Union européenne PHYT'AURA + a également fait l’objet d’un usage sérieux. Afin de caractériser l'usage sérieux d'une marque de l'Union européenne, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des faits et des circonstances pertinentes, tels que, notamment, les caractéristiques du marché en cause, la nature des produits ou des services protégés par la marque, l'étendue territoriale et quantitative de l'usage, ainsi que la fréquence et la régularité de ce dernier. Il n'est pas exigé que la marque en cause soit exploitée sur une partie substantielle du territoire de l'Union européenne ni sur plusieurs pays, dans la mesure où il doit être fait abstraction des frontières des États membres.

En conséquence, contrairement à ce que soutient la société défenderesse, la caractérisation de l'usage sérieux d'une marque sur un seul État membre ne constitue pas une exception, mais bien une règle jurisprudentielle, à partir du moment où l'usage suffit pour maintenir ou créer des parts sur le marché concerné. Il importe peu que cet usage ait d'ailleurs conduit à une réussite commerciale effective. C'est donc sous le prisme de l'ensemble de ces critères et des faits de l'espèce qu'il convient d'apprécier l'usage de la marque PHYT'AURA + au sein de l'Union européenne pour les aliments et substances diététiques à usage médical et les compléments alimentaires pour êtres humains, pour la même période que celle relative à l'usage de la marque française.

Outre l'usage sérieux de sa marque sur le territoire français, le titulaire produit neuf factures attestant de la commercialisation de ce type de produits en Allemagne un an avant l'introduction de l'instance devant le tribunal et pour un montant total de 26 940, 84 euros. De surcroît, certaines pièces versées aux débats font également état de dépenses en vue d'actes promotionnels et de commercialisation des produits de la marque PHYT'AURA + (flyers et étiquettes) dont les noms corroborent ceux présents sur les factures allemandes précitées. Il y a donc bien eu des actes dits préparatoires effectués vers l'extérieur, à destination du public.  Au regard de l'ensemble de ces éléments et notamment des capacités de production restreintes du titulaire, l'usage sérieux de la marque PHYT'AUR A + en Allemagne et en France, et donc sur le territoire de l'Union européenne, ne saurait être contesté.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 30 juin 2023, 21/08131 (M20230093)
Phytomars SAS (anciennement dénommée Phytoaura) c. M. [W]
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 1re sect., ord. juge de la mise en état, 1er avr. 2021, 20/03749)

[1] Cette nouvelle fin de non-recevoir qui peut être soulevée lors d’une action en contrefaçon a été introduite dans le Code de la propriété intellectuelle (article L. 716-4-3) par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. Il s’agit, à notre connaissance, de la première application de cet article dans le cadre d’une demande de mesures provisoires. S'agissant de l'action visant la marque de l'Union européenne, dans une autre affaire, il a été jugé que la contestation portant sur le défaut d’usage sérieux soulevée en réponse à une action en contrefaçon d’une marque de l'Union européenne, par une autre voie qu’une demande reconventionnelle en déchéance, constituait une défense au fond en vertu de l'article 127, § 3, du règlement (UE) 2017/1001 (TJ Paris, 3e ch., 3e sect., ord. juge de la mise en état, 8 févr. 2022, Cuts Ice Ltd c. Espace Phone SARL, 20/12226 ; M20220168 ; PIBD 2022, 1187, III-6). Le juge de la mise en état en a déduit que ce moyen de défense échappait ainsi à sa compétence, dès lors qu’il ne constituait pas une fin de non-recevoir. Voir également dans le même sens : TJ Paris, 3e ch., 3e sect., ord. JME, 22 févr. 2022, E. Rémy Martin & Co SAS c. Sire Spirits LLC et al., 21/3340 (M20220222). En revanche, comme dans le présent arrêt, la cour d’appel de Paris a déjà accepté d’examiner une fin de non-recevoir pour défaut d’usage sérieux qui était soulevée dans le cadre d’une action en contrefaçon d’une marque de l’Union européenne (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 10 juin 2022, Simon Marie Pierre B et al. c. L'Oréal SA, 21/19296 ; M20220186 ; PIBD 2022, 1189, III-4).