Jurisprudence
Dessins et modèles

Dépôt antérieur, par le titulaire, non destructeur de la nouveauté du modèle de masque de plongée invoqué - Parasitisme retenu du fait de la commercialisation d'un produit inspiré de ce modèle

PIBD 1231-III-4
Cass. com., 26 juin 2024

Validité du modèle communautaire - Nouveauté - Divulgation par le créateur ou son ayant droit - Délai de grâce - Titularité

Concurrence parasitaire - Volonté de se placer dans le sillage d'autrui - Appropriation de l’effort d’autrui - Volonté de profiter de la notoriété du produit et des investissements

Texte
Modèle n° 002340224-0001 de la société Decathlon
Modèle n° 002526699-0001 de la société Decathlon
Texte

La société titulaire d’un modèle communautaire représentant un masque de plongée et sa licenciée ont engagé une action en contrefaçon, ainsi qu’en concurrence déloyale et en parasitisme, à l’encontre de sociétés ayant importé et proposé à la vente un masque reproduisant, selon elles, les caractéristiques de ce modèle. 

Il est d’abord reproché à la cour d’appel d’avoir rejeté la demande reconventionnelle en nullité du modèle pour défaut de nouveauté.

Un dessin ou modèle communautaire est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement. Toutefois, il n'est pas tenu compte d'une divulgation si le dessin ou modèle a été divulgué au public par le créateur ou son ayant droit pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt.

Aux termes de l’article 17 du règlement (CE) n° 6/2002, la personne au nom de laquelle le dessin ou modèle communautaire est enregistré est réputée être la personne possédant la titularité du droit. La présomption résultant de ce texte en faveur du déposant ne peut être renversée qu'en présence d'une revendication de propriété du dessin ou modèle émanant de la ou des personnes physiques l'ayant réalisé.

Dans l’arrêt attaqué, la cour d’appel a relevé que la société titulaire du modèle de masque invoqué avait procédé au dépôt d'un premier modèle de masque, sans aucune revendication de la part des autres créateurs, et qu’elle l'avait exploité paisiblement. Elle a retenu que ce dépôt et cette exploitation paisible faisaient présumer à la fois que la demanderesse était titulaire des droits sur ce premier modèle et qu'elle avait la qualité d'ayant droit du créateur. La cour d’appel en a déduit exactement que cette société pouvait se prévaloir du délai de grâce prévu à l'article 7, § 2, du règlement et que l'auto-divulgation à laquelle elle a procédé par le premier dépôt, dans la période de douze mois précédant la date de dépôt du second modèle, n'était pas destructrice de la nouveauté de celui-ci.

Dans la suite de son arrêt, la cour d’appel a relevé que les ressemblances existant entre le masque invoqué et celui incriminé ressortaient principalement de la reprise de caractéristiques imposées par la fonction technique du produit. Elle a donc écarté toute contrefaçon du modèle au regard des différences notables entre les autres éléments et rejeté la demande en concurrence déloyale en l'absence de risque de confusion. Il est reproché à la cour d’appel d’avoir néanmoins fait droit à la demande fondée sur la concurrence parasitaire.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque, ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage. Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit. De plus, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.

La cour d’appel a retenu que le masque invoqué constituait une valeur économique identifiée et individualisée en raison de sa grande notoriété, de la réalité du travail de conception et de développement, du caractère innovant de la démarche, ainsi que du montant des investissements publicitaires (plus de trois millions d’euros) et du chiffre d'affaires (plus de 73 millions d’euros) généré par la vente du produit, alors que les sociétés poursuivies ne justifiaient elles-mêmes d'aucun travail de mise au point ni de coûts relatifs à leur propre produit.

Elle a relevé le lien qui se faisait entre les deux masques du fait de leur aspect global, le masque incriminé étant non seulement identique d'un point de vue fonctionnel, mais aussi fortement inspiré de l'apparence du masque invoqué. Elle a donc estimé que la distribution du masque incriminé, au moment où le masque commercialisé par les sociétés demanderesses rencontrait encore un grand succès commercial et constituait un produit phare de leur enseigne, avait permis aux défenderesses de bénéficier, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel, et caractérisait ainsi leur volonté délibérée de se placer dans leur sillage.

La cour d'appel ne s'est pas bornée à déduire l'existence d'actes de parasitisme de la reprise d'un concept ou des seuls éléments fonctionnels du masque invoqué. Elle a bien caractérisé la faute de parasitisme des sociétés poursuivies qui ont indûment capté la valeur économique identifiée et individualisée des autres sociétés, fruit de leurs investissements. Elle les a donc, à bon droit, condamnées pour parasitisme.

Cour de cassation, ch. com., 26 juin 2024, 22-17.647 (D20240042)
Intersport France SA c. Decathlon SE, Decathlon France SASU et Phoenix Group GmbH
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 28 janvier 2022, 20/04831 ; D20220015 ;
PIBD 2022, 1185, III-7, note de C. Martin)