Jurisprudence
Marques

Dépôt frauduleux des noms des restaurants exploités dans les locaux d’une institution culturelle, à titre de marques, par un ancien prestataire

PIBD 1155-III-6
CA Paris, 27 octobre 2020

Action en revendication de propriété et en nullité des marques - Recevabilité de la fondation (oui) - Principe de spécialité

Revendication de propriété des marques - Dépôt frauduleux (oui) - Relation d’affaires - Intérêt sciemment méconnus - Volonté de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité

Validité de la marque de la société poursuivie (non) - Dépôt frauduleux (oui)

Texte
Marque n° 4 136 514 de la société Noura Holding
Marque n° 4 136 511 de la société Noura Holding
Marque n°  4 136 517 de la société Noura Holding
Texte

Le principe de spécialité n’interdit pas à la fondation demanderesse d’être titulaire d’une marque pour désigner des produits et services liés à la restauration, et, ce faisant, l’autorise à agir en revendication ou nullité de marques déposées par un tiers correspondant au nom des restaurants situés dans ses locaux.

En effet, en vertu de ce principe, une fondation ne peut agir que dans la limite de son objet social, lequel est à but non lucratif mais ne lui interdit pas de réaliser des bénéfices pour assurer son fonctionnement et le financement de son œuvre. Ce principe ne s’oppose pas à ce qu’elle se livre à des activités économiques annexes, à condition qu’elles soient le complément naturel de sa mission statutaire principale et qu’elles soient utiles à la réalisation de son objet social. En l’espèce, les trois espaces de restauration ont directement vocation à contribuer au développement et à la connaissance de la civilisation et de la culture arabes, ce qui correspond à l’objet social de la demanderesse. Le développement de ces prestations de restauration peut comprendre le dépôt d’une marque, ce qui est autorisé par ses statuts dès lors que la marque est nécessaire à l’accomplissement de sa mission.

Le dépôt des signes « Ziryab » et « Moucharabie » à titre de marque, par la société mère d’un ancien prestataire de la fondation, est frauduleux.

Celle-ci démontre l’usage de ces signes pour désigner le restaurant gastronomique dit « le Ziryab » et le self-service dit « Moucharabieh », qui sont présents dans ses murs depuis de nombreuses années. La société défenderesse, qui a candidaté à l’appel d’offres pour l’exploitation de ces espaces de restauration, a eu connaissance des droits de la fondation.

De plus, le contrat de prestation de services de restauration signé par sa filiale prévoyait que les dénominations des espaces concédés étaient la propriété de la fondation. La preuve d’intérêts sciemment méconnus par la société défenderesse est donc rapportée.

Son intention de nuire découle du dépôt des marques pour désigner notamment les services de restauration, un mois après que la fondation a notifié à la filiale de la société défenderesse la résiliation anticipée de son contrat et alors que cette dernière exploitait les lieux depuis sept ans et qu’un litige était pendant au sujet des conditions de cette résiliation. La société défenderesse ne peut arguer avoir procédé aux dépôts de marques pour protéger la notoriété de sa propre marque de manière si tardive, alors que cette notoriété était assurée par les sept dépôts déjà effectués sur ce seul signe. De plus, si sa filiale pouvait, en sa qualité de délégataire,  faire encore usage des signes au moment de la résiliation du contrat, elle n’était pas en droit, de s’arroger un droit de propriété sur eux en les déposant à titre de marque.

La société défenderesse a ainsi nécessairement eu l’intention d’entraver l’usage des signes « Ziryab » et « Moucharabie » par la fondation pour exploiter les services de restauration présents dans ses locaux, ainsi que l’activité qu’un futur prestataire pourrait exercer dans ces lieux. L’action en revendication des marques est donc bien fondée

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 27 octobre 2020, 18/15742 (M20200210)
Noura Holding SAS c. Institut du monde arabe - IMA (fondation)
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 8 juin 2018, 15/03655 ; M20180355)