Jurisprudence
Marques

Atteinte aux marques notoires non déposées JEUX OLYMPIQUES et JO par l’organisation d’un jeu promotionnel sur les réseaux sociaux

PIBD 1155-III-7
TJ Paris, 29 mai 2020 avec une note

Protection spécifique instituée par le Code du sport - Atteinte aux marques notoirement connues - Acronyme - Usage à titre d’information

Parasitisme (oui) - Faits distincts - Volonté de profiter de la notoriété de l’évènement

Préjudice - Durée des actes incriminés - Réputation de la société poursuivie - Tromperie sur la qualité de partenaire officiel

Texte

En annonçant sur Facebook et Twitter un jeu-concours invitant les internautes à désigner les athlètes qu'ils souhaitent voir gagner aux Jeux Olympiques de PyeongChang 2018, la société poursuivie a porté atteinte aux signes « Jeux Olympiques » et « JO », tant sur le fondement de l'article L. 141-5 du Code du sport que de l'article L. 713-5 du CPI relatif à la protection due à la marque notoire non déposée.

La notoriété du signe « Jeux Olympiques » n'est pas discutée. S’agissant de l’acronyme JO, il ressort des pièces versées aux débats par l’association demanderesse qu’il est très couramment utilisé, notamment en association avec l’année ou la ville accueillant l’événement. Il doit être considéré comme une marque notoire, en ce qu’il est immédiatement perçu par le public comme se rapportant aux Jeux Olympiques, qu’il soit utilisé dans un cadre promotionnel ou d’information. Ce sigle bénéficie également de la protection spécifique instituée par l'article L. 141-5 du Code du sport qui, dans sa version en vigueur à la date des agissements reprochés, sanctionnait le fait de reproduire les termes « Jeux Olympiques » et « Olympiade », sans être partenaires, fournisseurs ou prestataires officiels des Jeux Olympiques. L'objet de cette protection doit être interprété de façon restrictive compte tenu du régime afférent qui est plus favorable à celui du droit des marques, mais il doit également se déduire de sa finalité qui est de prévenir les utilisations non autorisées des termes précités. Or, l'emploi extrêmement fréquent de l'abréviation JO justifie que celle-ci soit également protégée, sauf à priver ces dispositions d'une partie de leur efficacité. C'est d'ailleurs ce constat qui a conduit à une modification du texte par la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018, celui-ci visant désormais expressément le sigle JO.

Les messages diffusés sur les réseaux sociaux de la société poursuivie ne sont pas purement informatifs, dès lors qu’ils sont associés à son logo et que, concernant Facebook, ils conduisent l’internaute intéressé par le jeu à consulter ses offres promotionnelles. Le fait qu’ils utilisent la référence aux Jeux Olympiques - événement qui suscite un fort engouement et attire spontanément l'attention du public sensibilisé par le contexte de médiatisation des épreuves - constitue une incitation à s'intéresser au jeu-concours qu’elle organise et donc potentiellement aux services de location de voitures qu'elle propose.

Le préjudice subi du fait des atteintes sur le fondement du Code du sport et de la marque notoire non déposée n’est pas dissociable. En l’espèce, les conséquences négatives doivent être considérées au regard de la réputation de la société poursuivie et de son positionnement sur le marché, lesquels contribuent nécessairement à l'impact de la communication en cause et laissent supposer qu'elle a régulièrement acquis l'autorisation d'utiliser les signes olympiques au détriment d'autres opérateurs bénéficiant d'une exclusivité.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 29 mai 2020, 18/14115 (M20200276)
Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) c. Sixt SAS

Titre
NOTE
Texte

Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a agi, à plusieurs reprises, sur le fondement de l’article L. 141-5 du Code du sport et de l’article L. 713-5 du CPI relatif à la protection des marques de renommée et des marques notoirement connues au sens de l'article 6 bis de la convention de Paris, à l’encontre de sociétés qui avaient utilisé les signes distinctifs du mouvement olympique pour la promotion de leur activité commerciale.

L’article L. 141-5 du Code du sport (dans sa version antérieure à la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018) dispose que le fait de déposer à titre de marque, de reproduire, d’imiter, d’apposer, de supprimer ou de modifier les emblèmes, devise, hymne, symbole et termes « jeux Olympiques » et « Olympiade », sans l’autorisation du Comité olympique qui en est le propriétaire, est puni des peines prévues aux articles L. 716-9 et suivants du CPI. Les débats parlementaires révèlent que le législateur a voulu attribuer au Comité un droit de regard et de contrôle sur l'usage de ces signes pour le conforter « dans sa mission de protection de l'esprit des Jeux Olympiques contre toute utilisation ou démarche commerciale ou lucrative pouvant nuire à leur image et au symbole qu’ils représentent » (Bernard Murât, sénateur, amendement 49, compte rendu des débats, séance du 31 mai 2000).

La Cour suprême a dit que l’article L. 141-5 du Code du sport instituait un régime de protection autonome. Elle a cassé sur ce point un arrêt qui, pour rejeter les demandes tendant à voir interdire l'usage, autrement qu'à titre informatif, des termes « Olympiades », « jeux Olympiques » et « Olympique », avait retenu que cet article avait « pour effet d’investir le CNOSF du droit d’agir pour la protection des marques JEUX OLYMPIQUES et OLYMPIADES, notamment, et de poursuivre judiciairement les actes énumérés par ledit article, mais qu’il n'instaur[ait] pas pour ces signes un régime de protection autonome, distinct de celui dont bénéficient, en application de l'article L. 713-5 du CPI, les marques renommée ou notoirement connues, et qu’il ne saurait dès lors être soutenu que ce texte assure une protection absolue aux signes invoqués » (Cass. com., 15 sept. 2009, CNOSF c. Communication Presse Publication Diffusion SAS, 08-15418 ; M20090668 ; PIBD 2010, 911, III-92 ; PA, 63, 30 mars 2010, p. 13, note de J.-M. Marmayou). Comme retenu par une cour d’appel, ce régime n'est cependant « pas sans lien avec le droit des marques puisque, d'une part, les actes qu'il incrimine sont ceux énoncés à l'article L. 716-10 du CPI  et, d'autre part, les pénalités auxquelles il renvoie expressément sont celles prévues en répression de certains actes de contrefaçon de marque par l'article L. 716-9 du même code » et l’article L. 141-5 du Code du sport n’instaure donc pas, comme l’affirmait le Comité olympique, un régime de protection absolue pour les signes en cause (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 janv. 2011, CNOSF c. Interwetten Malta Ltd, 09/20261 (M20110027 ; marques notoires non enregistrées JEUX OLYMPIQUES et OLYMPIQUE).

La décision publiée est très similaire à un jugement rendu antérieurement par la même juridiction et qui a pareillement retenu la notoriété de la marque non déposée constituée de l’acronyme JO (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 19 avr. 2019, CNOSF c. VDD SAS, 18/00264 ; M20190392 ; marques notoires non enregistrées JEUX OLYMPIQUES et JO). La marque notoire non déposée JEUX OLYMPIQUES était également invoquée dans cette affaire. Ce jugement se différencie de celui publié ci-dessus en ce que les critères propres au droit des marques ont été appliqués. Ainsi, le tribunal a estimé que les usages des termes « JO 2016 » étaient « effectués à titre de marque, en ce qu'ils entendent rattacher une opération promotionnelle à cet événement sportif suscitant un fort engouement du public afin d'en augmenter la visibilité ». Il a ajouté qu’il s’agissait « d'une exploitation injustifiée au sens de l'article L. 713-5 du CPI, en ce que les autorisations préalables d'usage de ces signes à d'autres fins que celle de délivrer une information sont accordées par le CNOSF sous certaines conditions et dans le cadre de licences négociées ».

Dans d’autres affaires rendues depuis une dizaine d’années, les juges du fond ont fait droit à la demande du Comité olympique en atteinte à sa marque figurative n° 1 361 389, constituée des cinq anneaux olympiques entrelacés, et à ses marques notoirement connues non déposées, sur le fondement de l’article L. 713-5 du CPI, et en violation de l’article L. 141-5 du Code du sport. Un tribunal a dit que cette marque figurative était renommée. Il a considéré que « l'usage fait du symbole olympique, comme celui du terme "Olympique" sans autorisation du CNOSF, qui n'a pas une finalité purement décorative, constitue une atteinte à la marque d'usage notoire OLYMPIQUE et à la marque figurative renommée n° 1 361 389 du CNOSF, fait dans le but de profiter de la renommée mondiale de l'événement des Jeux Olympiques de Rio, en provoquant par l'imitation opérée un réflexe favorable du public immédiatement amené à associer les produits à l'événement sportif à forte résonance populaire et qui véhicule une image très positive » (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 7 juin 2018, CNOSF c. Master Distribution SARL et al., 16/10605 ; M20180352 ; marque notoire non enregistrée OLYMPIQUE). Dans les autres décisions portées à notre connaissance, la marque figurative a été invoquée sans que son caractère renommée n'ait été évoqué : TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 10 avr. 2014, CNOSF c. Internet Creative Company SAS (12/15470 ; M20140310 ; marque notoire non enregistrée OLYMPIQUEPIBD 2014, 1014, III-784 ; Propr. industr., nov. 2014, p. 37, note de P. Tréfigny ; Propr. intell., 54, janv. 2015, p. 91, note d'A. Bouvel) et CA Paris, 21 janv. 2011 (09/20261, précitée). Dans cet arrêt, les signes litigieux ont été utilisés pour la promotion de paris en ligne. La cour a relevé que « l'organisation de jeux d'argent sur ces compétitions port[ait] atteinte à l'esprit des jeux » et qu’un usage du signe litigieux dans ce contexte caractérisait une exploitation injustifiée de la marque notoire JEUX OLYMPIQUES. En outre, elle a jugé que la reprise des anneaux olympiques et des termes « Jeux Olympiques » sur le site internet de la société poursuivie caractérisait d’une part, un usage dans la vie des affaires de marques notoires, constitutif d’une exploitation injustifiée au sens de l’article L. 713-5 du CPI et d’autre part, une violation de l’interdiction stipulée par le Code du sport. La cour a ajouté que l’accroche « partagez l'or avec vos champions grâce à l'offre diversifiée des paris proposée au rendez-vous mondial »  illustrait le cadre commercial et financier dans lequel intervenait l'usage incriminé et suffisait  à exclure qu'il puisse s'agir d'un usage couvert par un droit d'information. La société poursuivie revendiquait également le bénéfice de l'article L.713-6 b) du CPI relatif à l’exception de référence nécessaire. La cour a rejeté sa demande en retenant que cette exception ne concernait « qu'un usage destiné à fournir une information précise sur un produit ou un service, sa fonction, sa finalité ou sa mise en œuvre », alors qu’en l'espèce « l'emploi des termes "Jeux Olympiques" en bandeau, en dehors de toute phrase grammaticalement construite, constitu[ait], non pas une référence - d'autant moins nécessaire que d'autres termes pouvaient lui être substitués -, mais un détournement de la notoriété de la marque JEUX OLYMPIQUES pour désigner une offre de service payant faite au consommateur ».

L’article L. 713-5 du CPI invoqué dans ces différentes affaires a depuis été modifié par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. Selon ses nouvelles dispositions, la marque notoirement connue bénéficie d’un régime de protection fondé, non pas sur la contrefaçon comme c’est désormais le cas pour la marque de renommée, mais sur la responsabilité civile. Il est dorénavant possible d’agir sur le fondement de cet article en invoquant les critères classiques de l’atteinte à une marque.

Sylvie Lepoutre
Rédactrice au PIBD