Validité de la marque verbale (oui) - Dépôt frauduleux (non) - Mauvaise foi (non) - Droit de l'UE - Présomption de bonne foi - Entrave à l’exploitation du signe d’autrui - Marque étrangère semi-figurative antérieure - Perspectives d’exploitation sur le territoire de l’UE - Connaissance de cause - Dépôts de marque successifs - Détournement du droit des marques - Volonté de conforter des droits - Absence d'intention d'usage
Déchéance partielle de la marque verbale (oui) - Droit de l'UE - Usage sérieux - Exploitation par un licencié - Exploitation sous une forme modifiée - Exploitation d’une marque semi-figurative - Altération du caractère distinctif (non) - Preuves d’usage - Exploitation limitée
Contrefaçon de la marque (oui) - Reproduction - Imitation - Prénom - Caractère arbitraire - Adjonction d’une partie figurative - Logos - Couleur - Usage à titre décoratif - Adjonction d’un nom géographique - Usage courant - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Risque de confusion et d'association
Préjudice financier - Non cumul des postes de préjudice - Préjudice moral - Droit d'information
La demande en nullité de la marque verbale française NOAH sur le fondement du dépôt frauduleux est rejetée.
Critère de nullité absolue, la mauvaise foi du déposant, telle qu’elle a été définie par la Cour de justice de l’Union européenne[1] au regard des directives européennes sur les marques, doit être démontrée par celui qui l'allègue. Mais la présomption de bonne foi attachée au dépôt peut être renversée, auquel cas il revient au titulaire de la marque attaquée de fournir des explications plausibles et de justifier d'intentions légitimes.
En l’espèce, la marque attaquée a été déposée peu après le dépôt, par la société demanderesse, d’une marque américaine semi-figurative composée de la partie verbale « Noah » et du dessin d’une croix grecque de couleur rouge. Cette société ne démontre pas que sa marque avait connu, pendant le court laps de temps où elle a été exploitée avant le dépôt de la marque française, une utilisation telle que le déposant de cette dernière peut être présumé l'avoir connue (quand bien même il aurait vécu à New-York à cette époque), ni qu’il aurait pu anticiper ses velléités de développement dans l'Union européenne et chercher à l'entraver.
À la date du dépôt de la marque verbale française NOAH attaquée, son déposant était déjà titulaire de la marque verbale de l’Union européenne YANNICK NOAH et de cinq marques semi-figuratives françaises, internationale et de l’Union européenne, composées de son prénom « Yannick » ou l'initiale « Y » de celui-ci, associé à son nom « Noah ». La marque litigieuse est cependant différente de ces marques antérieures et elle a été déposée pour d’autres produits et services. Ces dépôts successifs et la coïncidence avec le dépôt de la marque américaine de la société demanderesse ne permettent pas de remettre en cause la présomption de bonne foi du déposant lors du dépôt de la marque NOAH.
En toute hypothèse, son explication selon laquelle un signe verbal offrait une défense plus complète et était mieux adapté à l'évolution de son usage que les signes semi-figuratifs et la marque verbale YANNICK NOAH antérieurs, alors que sa nomination en tant que capitaine de l'équipe française en coupe Davis était susceptible de le relancer médiatiquement, est plausible. Une telle stratégie n'est pas contraire aux usages honnêtes ni destinée à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque.
Enfin, il n'existe aucun élément de preuve à l'appui de l'allégation selon laquelle, à la date du dépôt, le déposant n'avait pas l'intention d'exploiter sa marque. Au contraire, il justifie avoir donné, deux ans auparavant, une licence exclusive d'exploitation des marques de l’Union européenne verbale YANNICK NOAH (aujourd’hui déchue) et semi-figurative NOAH, pour les chaussures, textiles et bagages, à une société tierce, équipementier sportif, dont les attestations démontrent une exploitation continue avant et après le dépôt de la marque querellée.
La demande en déchéance de la marque verbale française NOAH est, en revanche, partiellement fondée.
En l'absence de preuve d'usage, la déchéance est prononcée pour tous les produits et services visés à l'enregistrement dans les classes 9, 18, 28 et 41, ainsi que pour de nombreux produits de la classe 25. Toutefois, l'usage sérieux de la marque est établi pour les autres produits de cette dernière classe (vêtements, vêtements de sport, maillots, chemisettes, habits, tee-shirts, chaussures et chaussures de sport). L'exploitation a été réalisée dans le seul cadre de la licence exclusive confiée à l’équipementier sportif pour les deux marques de l’Union européenne précitées.
Certains articles distribués par la société licenciée sont revêtus d’une étiquette avec un signe comportant deux éléments co-dominants : l’élément verbal « Noah » et un logo qui en occupe la majeure partie. L'élément distinctif de la marque semi-figurative de l’Union européenne donnée en licence est cependant son élément verbal « Noah », associé à une personnalité célèbre en tant que champion de tennis et chanteur, figurant en lettres capitales très lisibles sous l'élément figuratif représentant l’initiale « Y ». Dès lors, les usages de ce signe valent usage de la marque verbale NOAH sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif.
D’autres articles comportent une mention stylisée, qui semble être la transcription de « y noah » en écriture cursive. Si les minuscules centrales sont à peu près clairement « n », « o » et « a », la lettre d'attaque et la lettre de clôture sont, pour la première, plus proche de « g » ou « S » que de « y » et, pour la dernière, d'un « l » ou un « f » que d'un « h », de sorte qu'on lit plutôt « gnoal » ou « Snoaf » que « y noah ». Cette mention altère donc considérablement l'effet distinctif de la marque verbale NOAH et ne peut en constituer un usage sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif.
Les pièces justificatives relatives aux vêtements (attestations sur le chiffre d’affaires de la société licenciée et fiches techniques) ne démontrent pas comment et où ils ont été offerts à la vente. Mais l'attestation de la société licenciée constitue une preuve suffisante qu'ils ont été commercialisés auprès du public français. Elle démontre que cinq modèles de vêtements et un modèle de chaussures ont été commercialisés pendant la période pertinente et ont généré un certain chiffre d'affaires. La marque verbale française NOAH est donc exploitée pour ces produits, à un niveau quantitatif faible mais non symbolique et en vue de la conservation d'un débouché. L’usage sérieux de cette marque est donc établi pour les vêtements et les chaussures.
La demande reconventionnelle en contrefaçon de la marque verbale NOAH est accueillie. L'élément verbal « Noah » est reproduit à l’identique sur des vêtements et devant des casquettes, comme cela ressort d’un constat d’huissier réalisé sur deux sites internet. La société poursuivie ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que le mot « Noah » est un prénom si répandu et utilisé en France, y compris à titre de marque, qu'il est dépourvu de caractère distinctif s'il n'est accompagné d'un autre signe. En effet, le caractère distinctif d'une marque n'est pas subordonné à l'existence d'un sens fort ou d'une quelconque originalité, du moment que le signe est arbitraire au regard des produits et services auxquels il est associé et qu’il est apte à être perçu comme une indication de leur origine. Or, le mot « Noah » pour désigner des vêtements et chaussures présente ces caractères.
Sur de nombreux articles, deux éléments figuratifs sont alternativement associés à l'élément verbal : une croix grecque légèrement pattée, particulièrement sobre, quoique vermillon, et un pied ailé rouge suffisamment arbitraire et soigné dans son dessin pour constituer un élément distinctif. Néanmoins, ces signes occupent une place réduite sous l'élément verbal, bien mis en valeur (inscrit en lettres capitales sur fond contrastant), et n'apportent pas de sens particulier à la marque. Ils jouent un rôle décoratif, de sorte qu'ils demeurent accessoires et ne retiendront pas l'attention du public au détriment du mot « Noah ».
Sur un des sites internet, l'élément verbal utilisé est « Noah NYC ». Cet ajout verbal en fin de signe est de nature à affecter la similarité visuelle et conceptuelle entre les signes. Néanmoins, les initiales « NYC » étant très fréquemment apposées sur divers articles, notamment de mode et de maroquinerie, comme signifiant « New York City », et venant ici en fin de signe, elles ne sont pas de nature à atténuer sensiblement la similarité du signe avec la marque NOAH.
La similarité des signes en présence pour la vente de produits similaires est de nature à susciter un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent, soit le grand public d'attention moyenne, sur le territoire français. Le risque d'association entre les signes litigieux et la marque NOAH est également établi, le public étant accoutumé, du fait de la licence octroyée à un équipementier sportif, à voir cette marque associée à celle d’un partenaire commercial.
Tribunal judicaire de Paris, 12 mai 2023, 20/08191 (M20230127)
Noah Clothing LLC SARL c. M. [X] [M]
[1] CJUE, 4e ch., 29 janv. 2020, Sky PLC, C-371/18 (M20200025 ; PIBD 2020, 1139, III-3, avec une note de C. Martin ; Propr. industr., févr. 2020, p. 18, A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., mai 2020, étude 12 ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 3, J. Canlorbe ; Propr. industr., mai 2020, étude 12, V. Ruzek, A. Folliard-Monguiral ; RTD com, 2, avr-juin 2020, p. 332, J. Passa ; LEPI, avr. 2020, S. Chatry ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, C. Le Goffic) et CJUE, 5e ch., 27 juin 2013, Malaysia Dairy Industries, C-320/12 (M20130340 ; PIBD 2013, 990, III-1393 ; Europe, août-sept. 2013, p. 51, L. Idot ; Légipresse, 310, 2013, p. 637, Y. Basire ; Comm. com. électr., oct. 2013, p. 27, C. Caron ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, Y. Basire). Sur la question de la fraude et de la mauvaise foi, voir l’étude « De la fraude à la mauvaise foi : un passage de relais ou une continuité en matière de nullité du dépôt d’une marque française », parue au PIBD 2022, 1175, II-1.