Jurisprudence
Brevets

Droit de la concurrence - Accord de règlement amiable d'un litige relatif à un brevet couvrant un médicament

PIBD 1134-III-1
CJUE, 30 janvier 2020

Droit de la concurrence - Accord de règlement amiable d'un litige relatif à un brevet - Médicament princeps - Brevet de procédé - Mise sur le marché de médicaments génériques - Restrictions de concurrence - Entente illicite - Abus de position dominante

Texte

Des accords ont été conclus entre, d’une part, un fabricant de médicaments princeps, titulaire d’un brevet couvrant des polymorphes d’un principe actif tombé dans le domaine public et leur procédé de fabrication et, d’autre part, des fabricants de médicaments génériques s’apprêtant à lancer sur le marché du Royaume-Uni un médicament contenant ce principe actif. Ces accords ont pour objet de régler à l’amiable des litiges portant sur la validité de ce brevet ou sur le caractère contrefaisant des médicaments génériques. Ils prévoient un report d’entrée sur le marché des produits litigieux, en contrepartie du versement de certaines sommes aux fabricants de génériques. L’Autorité de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni a rendu une décision par laquelle elle a constaté que le titulaire du brevet avait abusé de sa position dominante sur le marché du principe actif et que les accords constituaient des accords entre entreprises affectant le jeu de la concurrence. La Cour de justice a été saisie de plusieurs questions préjudicielles par le tribunal devant lequel un recours a été formé.

Les accords de règlement amiable ne sont susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 101 § 1 du TFUE, concernant les ententes illicites, que dans le cas d’une situation de concurrence potentielle entre les entreprises. Les première et deuxième questions portent sur l’appréciation de l’existence d’une telle situation. Il s’agit de déterminer s’il aurait existé, en l’absence d’accord, des possibilités réelles et concrètes d’accès au marché concerné par les fabricants de médicaments génériques, notamment grâce aux différentes démarches préparatoires nécessaires à la commercialisation du produit (autorisations administratives, constitution d’un stock suffisant, actions judiciaires remettant en cause le brevet…). La juridiction de renvoi doit aussi vérifier que l’entrée sur le marché ne se heurte pas à des barrières présentant un caractère insurmontable. À cet égard, l’existence d’un brevet protégeant le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public n’empêche pas de qualifier de « concurrent potentiel » un fabricant de médicaments génériques qui a la détermination ferme et la capacité propre d’accéder au marché et qui se montre prêt à contester la validité du brevet et à assumer le risque d’être confronté à une action en contrefaçon.

Pour savoir si un accord, tel que ceux en cause, constitue une restriction de concurrence par objet, il faut déterminer s’il présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, de telle sorte que l’examen de ses effets n’est pas nécessaire. Les fabricants de médicaments ne peuvent ignorer que ce secteur s’avère particulièrement sensible au report d’entrée sur le marché de la version générique d’un médicament princeps, qui conduit au maintien d’un prix de monopole très sensiblement supérieur au prix auquel seraient vendues les versions génériques. La qualification de « restriction par objet » doit être retenue lorsqu’il ressort de l’analyse de l’accord de règlement amiable que les transferts de valeurs s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial, tant du titulaire du brevet que du prétendu contrefacteur, à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. La conclusion d’un accord, aux termes duquel un concurrent du titulaire d’un brevet s’engage à ne pas entrer sur le marché et à cesser sa contestation du brevet en échange du paiement d’une somme importante qui n’a d’autre contrepartie que cet engagement, ne relève pas de la mise en œuvre, par le titulaire du brevet, de ses prérogatives et ne correspond pas, de la part du fabricant de médicaments génériques, uniquement à la reconnaissance des droits de brevet, présumés valides. Ceci indique en effet que ce n’est pas la perception de la force du brevet qui a incité le fabricant de génériques à accepter cet accord. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si celui-ci est assorti d’effets pro-concurrentiels de nature à faire douter de son caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence.

Dans le cadre de l’examen d’un éventuel abus de position dominante de la part du titulaire du brevet, au sens de l’article 102 du TFUE, se pose la question de la définition du marché pertinent. Cette notion suppose un degré suffisant d’interchangeabilité entre les produits faisant partie d’un même marché. C’est le cas si les fabricants de génériques sont en mesure de se présenter à brève échéance sur le marché avec une force suffisante pour constituer un contrepoids sérieux au fabricant de médicaments princeps. Il convient donc de prendre en considération non seulement la version princeps du médicament, tel que celui dans l’affaire au principal, mais également  ses versions génériques, même si celles-ci pourraient ne pas être en mesure d’entrer légalement sur le marché avant l’expiration du brevet.

La stratégie d’une entreprise en position dominante, titulaire d’un brevet de procédé pour la production d’un principe actif tombé dans le domaine public, la conduisant à conclure, soit préventivement, soit à la suite de l’introduction de procédures judiciaires remettant en cause la validité du brevet, une série d’accords de règlement amiable ayant, à tout le moins, pour effet de maintenir temporairement en dehors du marché des concurrents potentiels fabriquant des médicaments génériques employant ce principe actif, est constitutive d’un abus de position dominante, dès lors que cette stratégie a la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire des effets d’éviction dépassant les effets anticoncurrentiels propres à chacun de ces accords.

Cour de justice de l'Union européenne, 4e ch., 30 janvier 2020, C-307/18 (B20200009)
Generics Ltd, GlaxoSmithKline plc, Xellia Pharmaceuticals ApS et al. c. Competition and Markets Authority
(Décision préjudicielle)