Jurisprudence
Indications géographiques

Évocation de l’AOP Champagne par l’utilisation de la dénomination « Champanillo » pour désigner et promouvoir des bars à tapas

PIBD 1167-III-8
CJUE, 9 septembre 2021

Atteinte à l’AOP - Évocation du nom couvert par l’AOP - Portée de la protection - Identité ou similarité des produits et services - Lien suffisamment direct et univoque - Appréciation globale - Public pertinent

Texte

La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) à une société utilisant le signe Champanillo (signifiant « petit champagne » en langue espagnole) pour désigner et promouvoir des bars à tapas sur les réseaux sociaux ainsi que par le biais de dépliants publicitaires. La juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation des dispositions de l’article 103, §2, a) et b) du règlement (UE)  n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

En l’espèce, le signe Champanillo, tout en suggérant l’appellation Champagne, s’en éloigne sensiblement d’un point de vue visuel et/ou phonétique. Par conséquent, en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’utilisation de ce signe ne relève pas du champ d’application de l’article 103, §2, a), du règlement, qui vise à interdire toute utilisation directe ou indirecte d’une appellation d’origine, mais de celui de l’article 103, §2, b), qui se réfère à la notion d’évocation.

Cet article doit être interprété en ce sens qu’il protège les appellations d’origine protégées (AOP) à l’égard d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services. Il prévoit qu’une AOP est protégée contre toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit « ou du service » est indiquée. Il s’ensuit que, si seuls les produits peuvent bénéficier d’une AOP, le champ d’application de la protection conférée par cette dénomination couvre toute utilisation de celle-ci par des produits ou des services.

À la différence de l’utilisation directe ou indirecte d’une AOP visée à l’article 103, §2, a), du règlement, qui se réfère à la notion de « produits comparables », l’évocation  visée à l’article 103, §2, b), n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires.

S’agissant de cette notion d’« évocation », le critère déterminant est celui de savoir si le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l’AOP. L’évocation est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit du consommateur, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’appellation protégée. L’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, de l’incorporation partielle de l’appellation d’origine, de la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en découlant. En l’absence de ces éléments, qui ne constituent pas des conditions devant être impérativement requises aux fins d’établir l’existence d’une évocation, celle-ci peut résulter d’une proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination.

Enfin, la notion d'« évocation » visée à l’article 103, §2, b) du règlement (UE) n° 1308/2013 n’est pas subordonnée à la constatation de l’existence d’un acte de concurrence déloyale, dès lors que cette disposition institue une protection spécifique et propre qui s’applique indépendamment des dispositions de droit national relatives à la concurrence déloyale.

Cour de justice de l’Union européenne, 5e ch., 9 septembre 2021, C‑783/19 (P20210055)[1]
Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne c. GB
(Décision préjudicielle)

 

[1] Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC), dont l’une des missions consiste à entreprendre des actions de valorisation, de protection et de défense de l’AOP Champagne, a engagé de nombreuses actions judiciaires pour défendre la réputation de l’AOP Champagne. Dans une affaire récente, selon un communiqué de l’INAO,  paru le 21 septembre 2021, l’Institut National de l’Origine et de la Qualité indique avoir obtenu, conjointement avec le CIVC, l’annulation de la marque Spanichamps Blue déposée pour désigner des boissons alcoolisées et du vin. Pour déterminer l’existence d’une évocation de l’AOP Champagne, le tribunal a retenu, dans la ligne de l’arrêt ci-dessus publié, qu’il devait être recherché si le consommateur, en présence du produit, était amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’AOP. En l’espèce, le tribunal estime que « la marque reprend le diminutif ‘champs’ qui constitue l’une des abréviations usuelles du terme Champagne dans le langage courant employé par les consommateurs » et que ce diminutif « a une telle force évocatrice du champagne en France, que le consommateur sera amené à comprendre la marque contestée comme signifiant ‘champagne espagnol bleu’ », ce qui constitue un « détournement de l’immense réputation dont jouissent l’AOP Champagne et les vins qui en bénéficient » (TJ Marseille, 16 sept. 2021).