Jurisprudence
Dessins et modèles

Contrefaçon des marques et des droits d’auteur sur les éléments figuratifs constituant l’identité visuelle du championnat UEFA EURO 2016

PIBD 1167-III-7
CA Paris, 21 mai 2021 avec une note de Sylvie Lepoutre

Contrefaçon des marques figurative et semi-figurative de l’UE (oui)

Protection des dessins au titre du droit d'auteur (oui) - Élément figuratif des marques et identité visuelle - Œuvre de l’esprit - Originalité

Contrefaçon de droits d’auteur (oui) - Reproduction servile - Thème commun - Droit à l'information du public

Concurrence parasitaire (oui) - Imitation de la couverture d’une publication - Fait distinct des actes de contrefaçon - Volonté de s’inscrire dans le sillage d’autrui et de profiter de sa notoriété et de ses investissements

Préjudice - Manque à gagner - Taux de redevance - Volume des ventes réalisées - Économies d'investissements - Banalisation et dévalorisation - Préjudice moral

Garantie de l’agence de presse (non) - Contrat d’abonnement - Exclusion de garantie

Préjudice de l'agence de presse - Discrédit (non)

Texte
Marque de l’UE n° 11 932 175 de l’UEFA
Marque de l’UE n° 11 932 101 de l’UEFA
Texte

L'élément figuratif des marques de l’association organisatrice du championnat de football dénommé l’UEFA EURO 2016 est constitué de la représentation stylisée d'une coupe tricolore, disposée au centre d'un médaillon avec des couleurs associées à des illustrations naïves d'étoiles et de ballons. Le choix et l’agencement des formes et des couleurs confèrent à cet élément, apprécié globalement, une physionomie particulière qui révèle un effort créatif et un parti-pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Il constitue donc une création originale protégeable par le droit d'auteur. Il en va de même de l’identité visuelle de la manifestation sportive qui comporte les logos précités des deux marques mis en exergue sur un fond bleu orné de multiples dessins, naïfs ou figuratifs, évoquant le football et qui sert notamment de décor pour les tribunes des stades et d’illustrations sur l’ensemble des supports de communication liés à cet évènement.

La contrefaçon de droits d'auteur est caractérisée. La première page de couverture de la publication litigieuse EURO 1960-2012 La fabuleuse histoire, éditée par la société poursuivie, reproduit servilement, dans la même combinaison et le même agencement, les créations originales utilisées par l’association organisatrice. La ressemblance ne saurait être inéluctable au motif, qu'en matière de publications en rapport avec le football, il n'existerait pas de multiples façons de mettre en page la couverture. À l’inverse, les échantillons de publications versés aux débats montrent des premières pages de couverture très distinctes. Par ailleurs, l'ouvrage litigieux est consacré à l'histoire de cette compétition sur la période de 1960 à 2012. Dès lors, la reproduction des éléments constitutifs de l'identité visuelle de l'EURO 2016 n'était pas dictée par un objectif d'information du public et ne s'imposait nullement.

La société poursuivie a commis des actes de concurrence parasitaire distincts de ceux de contrefaçon de marques et de droits d'auteur. En effet, la couverture de la publication litigieuse est quasi-identique à celle du Livre officiel de l'UEFA EURO 2016 dont la mise en page est imitée en tous ses éléments constitutifs qui sont repris dans une disposition, un agencement et des proportions identiques. Ces actes ont été commis dans l'objectif délibéré de faire croire au public que l’ouvrage litigieux est édité et diffusé par l’association organisatrice ou avec son autorisation et de tirer ainsi profit, à moindre frais, de l'immense succès populaire rencontré par l'événement sportif de l'EURO 2016 pour lequel elle a consenti d'importants investissements, en particulier de communication.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 21 mai 2021, 19/15976 (M20210124)
César Éditions c. Union des Associations Européennes de Football (UEFA)

(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 23 mai 2019, 16/12568)

Titre
NOTE
Texte

Les marques constituées du nom d’une manifestation sportive connue et/ou d’éléments figuratifs y renvoyant ont donné lieu à une jurisprudence importante concernant la défense des droits de leurs titulaires et portant sur des fondements variés. Un exposé détaillé des décisions nationales relatives à ce sujet a été réalisé à l'occasion de la parution dans PIBD d'un jugement concernant la marque TOUR DE FRANCE[1].

Il ressort de cet exposé que rares sont les décisions qui ont traité, à l’instar de l’arrêt ci-dessus publié, de la question des droits d’auteur.

Dans une affaire, le demandeur, qui se présentait comme le créateur de la course transatlantique à la voile appelée « la Route du Rhum » et de sa dénomination, a agi à l’encontre de l’organisateur de cette course en revendication de droits d’auteur et de la marque dont ce dernier est titulaire. L’arrêt d’appel[2] a retenu qu’il n’était pas contesté que cette course devait être regardée comme une œuvre de l’esprit. Après avoir énoncé que « pour qu'une manifestation sportive soit protégeable au titre du droit d'auteur, il faut démontrer que sa mise en œuvre répond à un scénario et ait un caractère original », les juges de première instance avaient retenu qu’« en l'espèce, la Route du Rhum est un spectacle vivant puisqu'elle répond à la combinaison d'un certain nombre d'éléments : une course transatlantique à la voile en solitaire, programmée tous les quatre ans en automne, ouverte à tous types de bateaux, partant de Saint-Malo pour arriver à Pointe-à-Pitre ». La cour d’appel a estimé, approuvée par la Cour suprême, que la preuve de la qualité d’auteur revendiquée par le demandeur sur la course n’avait pas été rapportée. Ainsi, suite à l’analyse des différentes pièces communiquées par les parties, elle a dit qu’« il apparaît que si M. Florent D a imaginé en 1975 le principe d'une course transatlantique à la voile entre la France et les Antilles pour assurer la promotion du Rhum, il n'en a pas pour autant transformé cette idée en un spectacle vivant à regarder comme une création susceptible d'être protégée au titre du droit d'auteur ; que son idée, d'abord vainement proposée à Eric T et Gérard P, n'a réellement pris corps que lorsque M. E en eut décidé ainsi et apporté l'impulsion créative initiale ; […] que la circonstance que M. D ait, à partir de ce moment, apporté un concours technique et administratif au titre de ses fonctions à l'U.N.C.L. et qu'il en ait été remercié par une rémunération qui lui a été versée à titre personnel, non comme auteur, mais comme ‟apporteur d'affaire‟, ne suffit pas à lui conférer la qualité d'auteur, au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle précédemment rappelées, qu'il revendique ainsi abusivement ». La cour d’appel a également jugé qu’il n’avait pas davantage démontré ëtre le créateur du titre de la course.

Un jugement antérieur[3] portait pour sa part sur une action en contrefaçon des marques verbale et semi-figurative TOUR DE FRANCE et des droits d’auteur sur le parcours et la carte du Tour de France 2003, intentée à l’encontre d’une société qui avait édité et distribué des publications relatives à la célèbre course cycliste. La demanderesse a été déboutée de sa demande en contrefaçon du parcours du Tour. Il est relevé qu'« à supposer que le parcours du Tour de France 2003 constitue bien une œuvre de l’esprit protégeable, les défenderesses n’ont produit aucune œuvre seconde, nécessairement une nouvelle course, dont le parcours serait la reproduction ou l’imitation de l’œuvre invoquée, mais ont délivré une information sur ladite œuvre ». Concernant la demande relative à la carte du Tour de France, les juges du fond ont relevé que « l’originalité de cette carte, une fois écartée celle du parcours, ne tient qu’aux symboles employés pour désigner les étapes et les caractéristiques du parcours », éléments qui en l’espèce n’étaient ni reproduits ni imités.

Les créations artistiques invoquées dans ces deux procédures diffèrent donc de celles revendiquées dans l’arrêt ci-dessus publié et qui concernent d’une part, les signes distinctifs faisant l’objet des marques semi-figurative et figurative de l’UE en cause et d’autre part, l’identité visuelle du championnat de football UEFA EURO 2016.

Il sera également souligné que des arrêts d’appel ont fait droit à la demande en parasitisme présentée par l’organisateur du Tour de France, du fait de la reprise de l’itinéraire de la course[4] ou de l’appropriation du concept spécifique d’organisation élaboré pour accompagner cette épreuve sportive se déroulant par étapes, qui comprend notamment une caravane publicitaire, des villes-étapes et un village du Tour[5].

Sylvie Lepoutre
Rédactrice au PIBD

[1] Note de Sylvie Lepoutre parue sous TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 16 avr. 2021, 17/10677 (M20210131 ; PIBD 2021, 1164, III-5).

[2] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 21 sept. 2011, Florent D c. Promovoile SA et al., 09/06928 (M20110459 ; RLDI, 76, nov. 2011, p. 36, note de L. Costes) ; Rejet du pourvoi par Cass. com., 8 oct. 2013, M 11-27.516 (M20130587 ; RLDI, 98, nov. 2013, p. 20, note de L. Costes ; Comm. com. électr., déc. 2013, p. 22, note de C. Caron ; RLDI, 100, janv. 2014, p. 13, note de P.-D. Cervetti).

[3] TGI Paris, 3e ch., 3e sect, 30 mars 2005, Société du Tour de France SAS et al. c. Financière du Bois des Noe SA et al., 04/04992 (M20050286).

[4] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 15 déc. 2010, Amaury Sport Organisation ASO SA et al. c. Orchester Consulting GmbH et al., 09/11790 (M20100731).

[5] CA Paris, 4e ch., sect. A, 16 janv. 2002, Société du Tour de France SA c. Tour Voile SA, 00/16245  (M20020062).