Jurisprudence
Brevets

Exclusion de la brevetabilité, en tant que simple présentation d’informations, d’un système d’affichage de cockpit d’avion - Caractérisation de moyens techniques distincts

PIBD 1197-III-1
Cass. com., 11 janvier 2023, avec une note de S. Lepoutre et C. Martin

Brevetabilité de la demande de brevet - Procédé - Invention - Présentation d'informations - Caractère technique

Texte

Il résulte de l’article L. 611-10, 2°, d) du CPI que ne sont pas considérées comme des inventions les présentations d’informations. Selon l’article L. 612-12, al. 1, 5°[1], doit être rejetée, en tout ou partie, toute demande de brevet dont l'objet ne peut manifestement être considéré comme une invention au sens de l'article L. 611-10, 2°.

La demande de brevet en cause concerne le domaine des systèmes d’affichage de cockpit d’avion. Le procédé, objet de la demande, a pour objectif de faciliter la lecture et la corrélation des données relatives aux étapes du plan de vol, qui sont fournies au pilote par les deux fenêtres d’affichage présentes dans le cockpit. Il permet d’améliorer la vision de ces informations dans l'espace temporel, les différentes étapes de la mission étant affichées, en regard de l'horaire correspondant à leur accomplissement, dans une première fenêtre graphique comportant une échelle graduée en temps ou « timeline ».

La cour d’appel a annulé la décision de rejet de la demande de brevet, en considérant que cette demande portait sur une invention. Elle a écarté la brevetabilité de la première caractéristique de la revendication principale, au motif qu'elle n'avait pour objet que la transmission et la présentation d'informations. En revanche, elle a retenu que la seconde caractéristique de la revendication, qui prévoit que la longueur de la « timeline » est supérieure à celle de la première fenêtre graphique et que l’utilisateur peut n'en afficher qu'une partie, est un moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes, qui aide le pilote à sélectionner, parmi celles-ci, les plus pertinentes et produit ainsi un effet technique. Elle en a déduit que cette revendication, prise dans son ensemble, n'était pas exclue de la brevetabilité, de même que les revendications placées dans sa dépendance.

En se déterminant ainsi, en se bornant à reproduire les termes de la revendication principale, sans établir l'existence d'une contribution technique apportée par la demande de brevet ni expliquer en quoi les moyens revendiqués dans cette demande avaient le caractère de moyens techniques distincts de la simple présentation d'informations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles précités.

Cour de cassation, ch. com., 11 janvier 2023, 19-19.567 (B20230001)
INPI c. Thales SA
(Cassation CA Paris, pôle 5, 1re ch., 21 mai 2019, 18/19669 ; B20190038 ; PIBD 2019, 1120, III-329 ; D IP/IT, juin 2019, p. 341, note ; L’Essentiel, oct. 2019, p. 4, note de P. Langlais ; Propr. industr., nov. 2019, p. 16, note de M. Dhenne)

Titre
NOTE :
Texte


Le même jour, la Cour de cassation a rendu une décision dans une affaire qui portait également sur l’application de l’article L. 611-10, 2° du Code de la propriété intellectuelle. Elle a rejeté, comme n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation, le pourvoi formé par l’INPI contre un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait annulé la décision de rejet d’une demande de brevet intitulée « terminal pour l'établissement de communications par diffusion à l'intérieur d'un groupe » (Cass. com., 11 janv. 2023, INPI c. Bull SAS, 20-10.935, B20230002 ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 22 nov. 2019, 18/21161, B20190075, PIBD 2020, 1130, III-34, Expertises, 454, févr. 2020, p. 64, note d'A. Khatab). La demande de brevet concernait plus particulièrement les terminaux transportables utilisés sur les théâtres d'opération militaire et avait pour objectif d’offrir aux combattants un système d’informations comportant un mode de visualisation globale, sur un seul écran, des données relatives à une unité entière.

L’article L. 611-10 du code dispose, au 2° : « Ne sont pas considérées comme des inventions [...] notamment : a) Les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ; b) Les créations esthétiques ; c) Les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d'ordinateurs ; d) Les présentations d'informations » et au 3° : « Les dispositions du 2 du présent article n'excluent la brevetabilité des éléments énumérés auxdites dispositions que dans la mesure où la demande de brevet ou le brevet ne concerne que l'un de ces éléments considéré en tant que tel ».

L’INPI avait considéré que l'objet de la demande ne pouvait manifestement être qualifié d’invention au sens de l’article L. 611-10, 2°, c), s’agissant d’une méthode dans l'exercice d'activités intellectuelles en tant que telle. Il estimait que la solution proposée ne comportait aucune caractéristique technique spécifique mais se contentait d'exposer une méthode permettant de conduire des opérations intellectuelles mises en œuvre par des moyens de calcul génériques. Devant la cour d’appel, il a notamment rappelé que le critère du caractère technique est repris de manière constante par la jurisprudence pour exclure des inventions de la brevetabilité, en application de l'article L. 611-10, 2°.

La cour d’appel a déclaré que les dispositions de cet article posent comme condition de brevetabilité l'existence d'une invention, sans toutefois la définir, et listent différentes activités qui ne peuvent, en tant que telles, être considérées comme des inventions brevetables. Elle a ajouté que l’utilisation de moyens techniques pour mettre en œuvre une méthode dans l'exercice d'activités intellectuelles, en excluant totalement ou en partie l'intervention humaine, peut conférer à cette méthode un caractère technique. Elle a jugé qu’en l’espèce, l'objet de la revendication principale comportait différents moyens techniques en interaction les uns avec les autres, tels qu'un microprocesseur, des moyens de stockage (disque dur ou carte mémoire), une interface de communication et un écran, et que l'invention ne concernait donc pas une méthode dans le domaine des activités intellectuelles, en tant que telle, mais qu’elle proposait bien une solution technique à un problème technique.

La question abordée par la décision ici commentée portait, quant à elle, sur une autre exclusion de brevetabilité visée par l’article L. 611-10, 2°, à savoir, au point d), les présentations d’informations, à propos d’une demande de brevet couvrant un procédé d’affichage de données dans un cockpit d’avion. La jurisprudence française s’est prononcée à plusieurs reprises sur la qualité d’invention brevetable au sens de l'article L. 611-10, 2° ou de l’article 52, 2° de la CBE, concernant des demandes de brevet ou des brevets dans le domaine des systèmes d’informations ou, plus généralement, portant sur la gestion de données.

Voir les décisions suivantes :

♦ Inventions exclues de la brevetabilité :

-        CA Paris, pôle 5, 2e ch., 16 déc. 2016, Dassault Systèmes c. Sinequa SAS, 14/06444  (B20160183 ; PIBD 2017, 1065, III-74 ; Propr. intell., 63, avr. 2017, p. 97, note de B. Warusfel ; Propr. industr., juill.-août 2017, p. 12, note de M. Dhenne ; Les Petites Affiches, 58, 21 mars 2018, p. 15, note de P. Mozas ; brevet intitulé « outil et procédé de recherche unifiée en utilisant des catégories et des mots-clés » - article 52, 2°, c) et d) CBE : méthode dans l'exercice d'activités intellectuelles et présentation d’informations) ;

-        TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 18 nov. 2016, Xaga Network SAS et al. c. Ewalia et al., 13/11351 (B20160148 ; PIBD 2017, 1066, III-114 ; D, 41, 30 nov. 2017, p. 2390, note de C. Le Stanc ; brevet intitulé « Système de gestion d’applications » - article L. 611-10, 2°, c) CPI : programmes d'ordinateurs) ;

-        TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 7 juin 2013, Starsight Telecast Inc. c. Numericable et al., 10/08326 (B20130075 ; PIBD 2013, 991, III-1421 ; RLDI, 108, oct. 2014, p. 10, note de M. Dhenne ; Propr. intell., 56, juill. 2015, p. 323, note de J.-C. Galloux ; brevet intitulé « procédé et appareil pour l’accès à l’information sur des programmes de télévision » - article 52, 2°, c) et d) CBE : programmes d'ordinateurs et présentation d’informations) ;

-        Cass. com., 10 nov. 2009, Syrdrec SA et al. c. Groupement Carte Bleue GIE et al., 08-18.218 (B20090171) ; CA Toulouse, 2e ch., sect. 1, 28 mai 2008, 05/05179 (B20080181 ; brevet intitulé « système d’encaissement » - article L. 611-10, 2°, c) CPI : plans, principes et méthodes dans le domaine des activités économiques) ;

-        CA Paris, 4e ch., sect. A., 15 mars 2006, Cotranex SA c. INPI, 05/14785 (B20060039 ; PIBD 2006, 830, III-348 ; demande de brevet intitulée  « procédé de réparation en nature d’un dommage causé à autrui » - article L. 611-10, 2°, c) CPI : méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles ou dans le domaine des activités économiques).

♦ Inventions non exclues de la brevetabilité :

-        TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 28 sept. 2021, Arka Ouest SARL c. Habiteo SAS, 17/14337 (B20210102 ; brevet intitulé « procédé d’interaction avec une image 3D pré-calculée représentant en perspective une vue d’une maquette numérique tridimensionnelle » - article L. 611-10, 2°, c) et d) CPI : programmes d'ordinateur et présentations d'informations) ;

-        TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 11 juill. 2019, Koninklijke Philips N.V. c. Asustek Computer Inc. et al., 16/02683 (brevets intitulés « dispositif compact avec interface utilisateur d’extraction rapide de données » et « interface utilisateur pour télévision » - article 52, 2°, d) CPI : présentations d'informations) ;

-        CA Paris, 4e ch., sect B., 5 juin 2009, Kone c. Jean-Patrick A, 07/20589 (B20090090 ; PIBD 2009, 903, III-1331 ; brevets intitulés  « système pour la gestion à distance de la maintenance d'un ensemble d'équipements installés dans des bâtiments, tels que des ascenseurs, des systèmes de ventilation, de chauffage collectif, des portes automatiques de parcs de stationnement » et « système de carnet d’entretien électronique d’un équipement tel qu’un ascenseur » - article L. 611-10, 2°, c) CPI : programmes d'ordinateurs) ;

-        TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 20 juill. 2006, Cafetel SA c. Index Multimedia, 02/11198 (B20060154 ; brevet intitulé « Procédé de sonorisation au travers du réseau téléphonique d’une page de données consultable à distance à travers un réseau de communication, site, serveur vocal et ordinateur mettant ce procédé en œuvre » - article L. 611-10, 2°, c) CPI : programmes d'ordinateurs) ;

-        CA Paris, 4e ch., sect. A., 23 nov. 2005, Merck Génériques c. Sandoz, 04/15595 (B20050181 ; PIBD 2006, 822, III-39 ; brevet intitulé « dispositif d’étiquetage d’aide à la substitution de produits pharmaceutiques » - article L. 611-10, 2°, c) et d) CPI : méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles ou dans le domaine des activités économiques et présentations d'informations) ;

-        TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 26 oct. 1994, Tomy Company Ltd. c. Puériculture de France SA et al., 91/18599 (B19940166 ; brevet intitulé « jouet projetant de la lumière, muni d’une boîte à musique » - article L. 611-10, 2°, d) CPI : présentations d'informations) ;

-        CA Paris, 4e ch., sect. A., 7 juin 1982, Georges D c. INPI, J-I025 (B19820178 ; PIBD 1982, 307, III-175 ; demande de brevet intitulée « perfectionnements apportés aux calendriers » - article 6-2 de la loi du 2 janvier 1968 : présentation d'informations).

Sylvie Lepoutre et Cécile Martin
Rédactrices au PIBD

[1] L’article L. 612-12, al. 1, 5° du CPI, lu dans sa version antérieure à la loi « Pacte » n° 2019-486 du 22 mai 2019, laquelle a supprimé l’adverbe « manifestement ».