Jurisprudence
Brevets

Invention de salarié - Appréciation in concreto du point de départ du délai de prescription d’une action en paiement de la rémunération supplémentaire

PIBD 1183-III-1
CA Paris, 1er avril 2022

Action en paiement de rémunérations supplémentaires - Recevabilité (non) - Prescription - Point de départ du délai - Connaissance des éléments ouvrant droit à rémunération - Suspension du délai - Force majeure (non) - Créance déterminée ou déterminable

Texte

L’action en paiement des rémunérations supplémentaires est prescrite en vertu de l’article 2224 du Code civil, qui prévoit que le délai de prescription court à compter de la date à laquelle le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action.

Concernant les demandes de l’inventrice salariée fondées sur les inventions non exploitées (réalisées entre 1999 et 2006 et ayant fait l'objet de dépôts de brevets de l'an 2000 à novembre 2007), la prescription, qui était alors de cinq ans, a été acquise au plus tard en novembre 2012. Le juge de la mise en état ne peut être suivi en ce qu’il a retenu, comme point de départ de la prescription relative à ces inventions, la date de la diffusion par l’employeur d’un document explicitant le dispositif de rémunération des inventions de mission des salariés (21 janvier 2016). Le juge avait retenu qu’antérieurement à cette date l’inventrice n'était pas informée de son droit à rémunération complémentaire, alors que l'article L. 611-7 du CPI avait vocation à s'appliquer aux inventions de mission et qu’elle avait bénéficié de paiements à ce titre.

En outre, les fonctions de l’inventrice au sein de l'entreprise sur la période concernée, comme cheffe de service puis comme directrice du département cancérologie, lui permettaient de connaître le sort qui était donné aux inventions auxquelles elle avait participé. Par ailleurs, l’inventrice ne peut se prévaloir d’une impossibilité d’agir jusqu’à son licenciement du fait du lien de subordination avec son employeur. En effet, le simple statut de salarié ne peut suffire à justifier de la force majeure, qui permettrait au sens de l'article 2234 du Code civil de suspendre la prescription.

S’agissant des demandes fondées sur les inventions rattachées à un projet qui ont donné lieu aux dépôts de brevets entre 2002 et 2008, le point de départ du délai de prescription spéciale de trois ans (applicable depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 aux actions en paiement ou en répétition du salaire ou de ses accessoires), prévu par l'article L. 3245-1 du Code du travail et qui s’applique aux rémunérations supplémentaires, doit être fixé au mois de décembre 2014. En effet, il résulte des éléments versés au débat que l’inventrice était fortement impliquée dans un partenariat avec des laboratoires tiers, le projet de développement avec ceux-ci ayant été définitivement clôturé le 15 décembre 2014. L’inventrice avait reçu paiement de sommes afférentes à ce projet au titre des rémunérations supplémentaires dues en raison des dépôts de brevets et elle était à même de savoir, dès cette date, que ceux-ci ne seraient pas exploités. Elle connaissait ainsi les éléments et informations lui permettant de déterminer au moins approximativement le montant de la rémunération supplémentaire qui lui était due à ce titre. Il a été retenu à raison qu’il n'était pas nécessaire que la créance du salarié soit déterminée mais seulement qu'elle soit déterminable, ce qui était le cas à compter du mois de décembre 2014.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 1er avril 2022, 21/09523 (B20220036)1
Liliane G c. Institut de Recherche Pierre Fabre (IRPF) SAS
(Infirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 2e sect., ord. JME, 7 mai 2021, 20/04369)

[1] Sur la question de la prescription de l’action en paiement de la rémunération supplémentaire, voir également les décisions récentes suivantes : TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 23 mars 2018, Alain R c. Meta Systems et al., 15/00961 (B20180121 ; PIBD 2018, 1105, III-723 ; Propr. industr., janv. 2020, p. 27, note de J. Raynard) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 2 mars 2018, David G c. Maco Productions SAS et al., 16/23992 (B20180013 ; PIBD 2018, 1092, III-253) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 mai 2017, Laurent S c. CNRS, 16/13227 (B20170083 ; PIBD 2017, 1075, III-502 ; Propr. industr., janv. 2018, p. 22, note de J. Raynard) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 30 oct. 2015, Alstom Transport SA c. Guy D, 14/23487 (B20150154 ; PIBD 2016, 1042, III-57 ; rejet du pourvoi par cass. com., 26 avr. 2017, 15-29.396, B20170067) ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 4 sept. 2015, Pascal D et al. c. Création André Renault SAS, 14/16384 (B20150139 ; PIBD 2015, 1040, III-828) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 févr. 2014, Philippe D c. Moulages Plastiques du Midi SA, 12/21334 (B20140026 ; PIBD 2014, 1004, III-323 avec une note ; Propr. industr., juill.-août 2014, p. 26, note de J. Raynard).