Jurisprudence
Brevets

Irrecevabilité d’une demande de mesures provisoires sur la base d'une simple demande de brevet

PIBD 1218-III-1
CA Paris, 22 novembre 2023

Recevabilité de la demande de mesures provisoires (non) - Contrefaçon de brevet - Demande de brevet - Titre non délivré

Atteinte vraisemblable aux droits (non) - Contestation sérieuse (oui) - Brevet délivré - Faits postérieurs à la notification de la copie certifiée de la demande de brevet - Reproduction des revendications - Preuve - Constat sur Internet - Interdiction provisoire (non)

Texte
Dessin 1 du brevet n° FR 2 108 020 de la société Elwedys
Texte

Les demandes en référé sur le fondement des demandes de brevets relatives à un « Robot équipé d’un dispositif agencé pour recevoir des capteurs de grandeurs physiques et transmettre des informations relatives aux grandeurs physiques » et à un « Dispositif de distribution d’oxygène sur un lieu d’intervention » sont irrecevables.

Il résulte de la lecture combinée des articles L. 615-3, L. 613-1 et L. 615-4 du CPI que, si la loi française octroie au titulaire d'une demande de brevet un certain nombre de droits, parmi lesquels celui d'agir au fond en contrefaçon - mais avec l'obligation pour le tribunal de surseoir à statuer jusqu'à la délivrance du brevet (L.615-4) - elle ne prévoit nullement expressément la possibilité d'agir en référé, en application de l'article L.615-3 du CPI, sur le fondement d'une simple demande de brevet.

En outre, cet article relatif aux instances en référé, qui autorise l'introduction d'une telle demande à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon, conditionne, cependant, l'exercice de cette action à l'existence d'un titre, celle-ci étant spécifiquement destinée à « prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ». Or, « Les titres de propriété industrielle protégeant les inventions » sont énumérés à l'article L. 611-2 du CPI, qui vise en 1°, « Les brevets d'invention délivrés pour une durée de vingt ans à compter du jour du dépôt de la demande », sans mentionner la simple demande de brevet.

En conséquence, à défaut de justifier d'une atteinte à un titre au sens des articles L. 615-3 et L. 611-2 du CPI, soit un brevet délivré, au jour où le juge des référés a statué, les sociétés demanderesses ne sont pas recevables et fondées à agir en référé[1].

En raison de l'effet dévolutif de l'appel, la cour doit prendre en compte les faits survenus postérieurement à l'ordonnance de référé attaquée. La délivrance du brevet relatif à un « Dispositif de distribution d’oxygène sur un lieu d’intervention » permet aux sociétés demanderesses de revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 615-3 du CPI, sous réserve de l'examen des contestations émises par la société défenderesse.

Or, conformément à l'article L.615-4 du CPI, « les faits antérieurs à la date à laquelle la demande de brevet a été rendue publique […] ou à celle de la notification à tout tiers d'une copie certifiée de cette demande ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet ». Il ressort des pièces produites qu’une copie certifiée du brevet opposé a été signifiée à la société défenderesse, bien postérieurement à l’envoi de la mise en demeure puis à la délivrance de l’assignation, de sorte que les faits antérieurs à la date de cette notification ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet.

S'agissant des faits postérieurs, les robots argués de contrefaçon n'ont fait l'objet d'aucune mesure de saisie. Les sociétés demanderesses procèdent par affirmations et basent essentiellement leur argumentation sur des photos extraites d'un procès-verbal de constat sur Internet. Aucun des produits n'est communiqué.

Ainsi, si la photographie du dispositif de la société défenderesse représente un châssis sur lequel sont fixées deux bouteilles d'oxygène, il n'est nullement démontré, comme le décrit la revendication 1 du brevet opposé, la présence « d'au moins un enrouleur prévu pour enrouler des flexibles entre des rouleaux, un circuit de distribution pour distribuer de l'oxygène contenu dans au moins une bouteille d'oxygène jusqu'au flexibles ». Les sociétés demanderesses ne démontrent pas davantage que le dispositif contesté présente, comme dans la revendication 3 du brevet, un « circuit de distribution [qui] comporte une sortie disposée sur un axe entre les rouleaux, la sortie étant prévue pour être raccordée d'une part à une extrémité des flexibles, et, d'autre part, à au moins une bouteille d'oxygène », se contentant dans leurs écritures d'invoquer la présence d'un « système de distribution ». Enfin, il n'est pas justifié de la reproduction de la revendication 6 s'agissant des moyens de fixation.

Au regard de ces contestations sérieuses et de l'absence de vraisemblance des atteintes alléguées, il n’y a pas lieu à référé.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 22 novembre 2023, 22/19275 (B20230062)
Shark Robotics SARL et Elwedys SAS c. Angatec SAS

(Confirmation TJ Paris, ord. réf., 7 nov. 2022, 22/51514, B20220098)

 

[1] Infirmant une ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Paris (3 juin 2022, Novartis Pharma SAS et al. c. Biogaran, 22/52718), la cour d’appel de Paris (pôle 5, 1re ch., 22 mars 2023, 22/11165) a jugé récemment, dans les mêmes termes, qu’une action en référé fondée sur une demande de brevet était irrecevable.