Jurisprudence
Marques

Absence d’épuisement des droits du titulaire de la marque CHANEL lors de la revente de parfums et de produits cosmétiques d’occasion - Motif légitime tenant à l’altération des produits

PIBD 1218-III-2
Cass. com., 6 décembre 2023

Contrefaçon de marque - Épuisement des droits - Droit de l'UE - Mise dans le commerce dans l’EEE - Réseau de distribution sélective - Revente de produits - 1) Échantillons gratuits - Atteinte à la fonction d’indication d’origine - 2) Produits d’occasion - Acquisition initiale auprès d'un distributeur agréé - Motif légitime - Altération du produit - Luxe

Parasitisme - Atteinte au réseau de distribution sélective - Revendeur

Texte

Il résulte de l'article L. 713-4, al. 1 du CPI, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui doit s'interpréter à la lumière de l'article 7 de la directive 2008/95/CE applicable au regard de la date des faits, que le droit exclusif du titulaire d'une marque de consentir à la mise sur le marché d'un produit revêtu de sa marque, qui constitue l'objet spécifique du droit de marque, s'épuise par la première commercialisation de ce produit avec son consentement.

Dans son arrêt L'Oréal[1], la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que la fourniture par le titulaire d'une marque, à ses distributeurs agréés, d'objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que de flacons revêtus de cette marque, dont de petites quantités peuvent être prélevées pour être données aux consommateurs en tant qu'échantillons gratuits, ne constitue pas, en l'absence d'éléments probants contraires, une mise dans le commerce au sens de la directive 89/104/CEE ou du règlement (CE) n° 40/94.

En l’espèce, un particulier a acheté des produits cosmétiques de marque Chanel auprès d’un revendeur agréé, et des échantillons portant la mention « Ne peut être vendu » lui ont été offerts. Il a vendu ces produits à la société poursuivie qui exerce une activité de revente de produits d’occasion. La cour d’appel a retenu que la distribution d'échantillons gratuits à ce particulier, même revêtus de la marque Chanel, ne valait pas mise dans le commerce et a écarté tout épuisement des droits de la société titulaire de la marque sur ces échantillons. Elle a relevé que cette société, malgré la remise d'échantillons au consommateur, conservait les droits conférés par cette titularité et en a déduit que la société défenderesse ne pouvait pas faire usage de la marque Chanel pour commercialiser ces échantillons. La cour d'appel, qui a caractérisé l'atteinte à l'objet spécifique du droit des marques et donc l'atteinte à la fonction essentielle de garantie d'origine des produits de la marque Chanel, sans confondre le droit de propriété sur l'objet matériel et le droit de propriété intellectuelle sur la marque, a fait une exacte application de l’article L. 713-4 du CPI.

Par ailleurs, il résulte de l'article 713-4, al. 2, du CPI que, malgré une mise dans le commerce licite, faculté reste ouverte au titulaire de la marque de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation, s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits.

La cour d’appel a retenu que, s'agissant de parfums et de produits cosmétiques, toute utilisation partielle d'un produit conduit à son altération, laquelle est gravement préjudiciable à l'image de la société titulaire et à l'univers de luxe et de pureté qu'elle véhicule. Elle a dit que cette société était fondée à s'opposer à tout acte de commercialisation d'un produit cosmétique et de parfumerie dont il n'a pas été établi qu'il n'ait jamais été utilisé au préalable. C'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel a pu retenir que la commercialisation de produits cosmétiques dépourvus de leur emballage d'origine constituait une altération de l'état de ces produits.

Concernant l'action en parasitisme, la cour d’appel a relevé que le dirigeant de la société défenderesse invitait les clients potentiels à tester les produits chez le revendeur agréé situé dans la même galerie avant de revenir les acheter dans sa boutique où il les vendait moins cher. Elle a ainsi pu en déduire que la société défenderesse avait engagé sa responsabilité délictuelle en revendant les produits de marque Chanel dans des conditions parasitaires.

Cour de cassation, ch. com., 6 décembre 2023, 20-18.653 (M20230236)
Ouest SCS SARL, [T] et Associés SELARL (en la personne de M. [
T], en qualité de liquidateur judiciaire de la Sté Ouest SCS) c. Chanel SAS et Mme [I] [N]
(Rejet du pourvoi c. CA Rennes, 3e ch. com., 25 févr. 2020, 17/03287 ; M20200069 ; PIBD 2020, 1136, III-5 ; LEPI, juin 2020, p. 5, J.-P. Clavier)

[1] CJUE, gde ch., 12 juill. 2011, C-324/09 ; PIBD 2011, 952, III-718 ; RLDI, 74, août-sept. 2011, p. 31, L. Costes et M. Trézéguet ; JCP E, 40, 6 oct. 2011, p. 5, C. Caron ; RLDA, 63, sept. 2011, p. 19, I. D. Mpindi ; Gaz. Pal., 299-300, 26-27 oct. 2011, p. 19, L. Marino ; Comm. com. électr., nov. 2011, p. 33, C. Caron ; Légipresse, 288, nov. 2011, p. 638, A. Bouvel ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 4, N. Bouche.