Jurisprudence
Marques

Épuisement des droits du titulaire de la marque CHANEL lors de la revente de produits cosmétiques d’occasion – Motif légitime tenant à l’altération des produits

PIBD 1136-III-5
CA Rennes, 25 février 2020

Contrefaçon de marque (non) - Réseau de distribution sélective - Revente de produits acquis auprès d'un distributeur agréé - Usage dans la vie des affaires

Contrefaçon de marque (oui) - Achat de produits d’occasion auprès du revendeur et offre en vente - Usage dans la vie des affaires - Épuisement des droits - Motif légitime

Parasitisme (non) - Atteinte au réseau de distribution sélective (non) - Revendeur - Activité économique

Parasitisme (oui) - Atteinte au réseau de distribution sélective (oui) - Vente de produits d’occasion de luxe - Conditions de vente dévalorisantes - Comparaison des prix  

Texte

La personne physique, qui est poursuivie en contrefaçon pour avoir revendu des produits cosmétiques d’occasion, n’a pas commis d’usage illicite de la marque CHANEL. Elle a acquis ces produits auprès d’une parfumerie, membre agréé du réseau de distribution sélective de la marque, qui lui a également remis des échantillons à titre gratuit. Cette revente ne s’inscrit pas dans le contexte d’une activité commerciale, comme exigé par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Anheuser-Busch. Selon les dispositions actuelles des articles L. 713-2 et suivants du CPI (telles qu’elles résultent de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 transposant la directive (UE) 2015/2436), la marque confère à son titulaire des droits dans le cadre d’un « usage dans la vie des affaires », ce qui n'est évidemment pas le cas d'un consommateur détenant licitement des produits et les revendant d'occasion. Si cette restriction aux droits conférés au titulaire d'une marque n'existait pas dans le code dans sa version antérieure, il s'agit d'une modification à droit constant.

La société qui a racheté les échantillons et les produits dépourvus de leur emballage de cellophane a fait un usage illicite de la marque CHANEL. L’achat et la revente de ces produits d’occasion s’inscrivent dans le contexte de son activité commerciale. Concernant l’offre à la vente des échantillons revêtus de la mention « échantillon gratuit - ne peut être vendu », la société ne peut bénéficier de la règle de l’épuisement des droits dans la mesure où cette mention est exclusive d'une mise dans le commerce au sens de l’article L. 713-4 du CPI. Le titulaire de la marque pouvait faire remettre ces échantillons à de potentiels clients pour un usage restreint excluant leur revente. En revanche, s’agissant des autres produits, ils ont été mis dans le commerce avec l'autorisation du titulaire de la marque, dès lors qu’ils ont été licitement acquis par la personne physique auprès d’un distributeur agréé. La protection conférée par le droit des marques ne doit pas conduire à interdire le marché légitime des biens d'occasion. En l’espèce, le titulaire de la marque justifie toutefois d'un motif légitime de s'opposer à la commercialisation de produits cosmétiques qui auraient pu être utilisés au préalable. En effet, une telle utilisation conduit à l’altération de ces produits, laquelle est gravement préjudiciable à l’image du titulaire et à l’univers de luxe et de pureté qu’il véhicule.

S’agissant des produits revendus à l’état neuf, en mentionnant sur des étiquettes tant son propre prix de revente que celui du produit à l'état neuf, faisant ainsi explicitement la comparaison entre les deux, la société a cherché à s'approprier, non la clientèle spécifique des produits d'occasion, mais celle de produits neufs, recherchant « la bonne affaire ». Un tel comportement est à l'évidence fautif, comme constitutif de parasitisme et d'une atteinte au réseau sélectif de vente.

Cour d’appel de Rennes, 3e ch. com., 25 février 2020, 2017/03287 (M20200069)1
Chanel SAS c. Séverine J, Ouest SCS SARL et Pelletier et Associés SELARL (en la personne de Me P, en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la Sté Ouest SCS)
(Infirmation partielle TGI Rennes, 9 janv. 2017)

1Sur la question de la contrefaçon de marque par la revente de produits d’occasion, voir notamment : CA Besançon, 2e ch. civ., 5 déc. 2012, Cosbat Comptoir des Spécialités pour Bâtiment SARL c. V33 SA, 2011/02241, M20120580 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 4 déc. 2009, Ernie Ball Inc. et al. c. Centrale Occasion de la Musique SARL, 2008/11063, M20090729, PIBD 2010, 915, III-215 ; TGI Paris, 3 e ch., 1re sect., 25 mars 2008, Gianni Versace SpA c. Rossini et al., 2005/17979, M20080172. Et sur la vente occasionnelle sur un site internet, par un particulier, de parfums soupçonnés de contrefaire une marque, voir également à titre d’exemples : TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 5 mai 2009, L’Oréal SA et al. c. Guillaume D, 2006/17791, M20090244, PIBD 2009, 901, III-1276 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 21 oct. 2008, Lancôme Parfums et Beauté & Cie SNC c. Marie B, 2007/00330, M20080620 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 25 mars 2008, Lancôme Parfums et Beauté & Cie SNC et al. c. Dominique R, 2007/03003, M20080170.