Demande en déchéance devant l’INPI - Recevabilité (oui) - Intérêt à agir non requis
Déchéance partielle de la marque figurative (oui) - Usage sérieux - Droit de l’UE - Preuve - Période pertinente - Exploitation sur le territoire français - Exploitation sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif - Représentation d’un animal - Disposition - Caractère distinctif élevé - Adjonction d’une marque - Usage à titre de marque - Importance de l’usage
La demande en déchéance des droits sur la marque figurative représentant un crocodile tourné vers la gauche, formée par une société chinoise, est partiellement accueillie. L’intérêt à agir n’est pas requis dans le cadre d’une telle demande présentée devant l’INPI[1]. Est, dès lors, inopérant l’argument selon lequel la demande en déchéance ne viserait qu’à tenter d’obtenir une décision de l’office français pour en tirer ensuite argument dans les procédures administratives et en contrefaçon qui sont en cours en Chine.
Il n'est pas établi par le demandeur que le signe figuratif en cause, à savoir la représentation d’un crocodile de profil, gueule ouverte, la queue relevée avec deux pattes apparentes, est usuel pour désigner les produits et services concernés qui relèvent du domaine de l’habillement, des articles de lunetterie et de maroquinerie, des parfums et cosmétiques, du linge de maison, des articles de sport, de la papeterie et des services de parrainage promotionnel. Ainsi, au regard de ces produits et services, la marque contestée apparaît distinctive.
En outre, il ressort des documents produits par le défendeur que la marque bénéficie d’une grande connaissance auprès du public français sur le marché concerné par près de 90 ans d’existence, sa forte présence publicitaire dans de nombreuses parutions dans la presse française et de nombreux affichages dans l’espace public et ses partenariats promotionnels. Le caractère distinctif de la marque contestée doit donc être considéré comme étant accru par une grande connaissance sur le marché concerné.
Dès lors, même si le signe est apposé sur les produits commercialisés par le titulaire de la marque dans différentes couleurs et dans différentes tailles, les éléments distinctifs le composant, tels que décrits plus haut, demeurent parfaitement perceptibles et identifiables. L’ajout de couleurs et la présentation dans des tailles plus ou moins grandes ne sont en effet pas de nature à altérer le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée car il s’agit d’aspects de nature purement décorative ou fonctionnelle.
De plus, le fait que le crocodile soit tourné vers la droite ou vers la gauche ne constitue pas une caractéristique déterminante venant altérer le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée, le sens étant relatif par rapport à la position de chaque personne, selon qu’un produit ou un élément figuratif est porté sur soi ou vu sur une personne placée en face. Le sens est encore moins déterminant en l’espèce du fait du caractère distinctif accru de la marque contestée.
Enfin, si le signe est, dans certains cas, utilisé sur les produits conjointement avec le terme « Lacoste », force est de constater que dans le secteur d’activité concerné, il est courant que les produits soient revêtus de deux marques, par exemple leur marque individuelle et la marque mère de l’entreprise, ou encore une marque verbale et un logo. En l’espèce, le crocodile, qui occupe, sur les produits, une position indépendante par rapport au terme « Lacoste », a valeur de marque autonome.
En conséquence de toutes ces considérations, il est bien démontré que la marque contestée est utilisée sous des formes qui n’altèrent pas son caractère distinctif. Par ailleurs, les pièces transmises par le défendeur fournissent des indications suffisantes concernant le volume commercial, la portée territoriale, la durée, la fréquence et la nature de l’usage effectif qui a été fait de la marque par son titulaire, au cours de la période pertinente, dans le domaine de l’habillement (vêtements, chaussures, chapellerie), des articles de lunetterie, des articles de maroquinerie, des articles de sport, parfums et cosmétiques, linge de maison, papeterie et services de parrainage promotionnel.
En revanche, l’usage sérieux de la marque contestée n’a pas été démontré, au regard de tous les facteurs pertinents, pour de nombreux autres produits et services tels que, notamment, les savons et huiles essentielles, les appareils pour l'enregistrement, la transmission et la reproduction du son ou des images, les caisses enregistreuses, les lunettes de plongée, la joaillerie et la bijouterie, le papier et le carton, le matériel pour les artistes, le linge de table ou encore la publicité, les pièces fournies par le titulaire ne concernant aucun de ces produits et services.
Décision INPI, 2 décembre 2022, DC 21-0166 (DC20210166)[2]
Nanji E-Commerce Co ., Ltd c. SA Lacoste SA
[1] Sur la question de l’intérêt à agir pour les demandes en déchéance lorsqu’elles sont présentées devant l’INPI, voir également : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 28 oct. 2022, Veronese SAS c. INPI et al. (M20220291 ; PIBD 2023, 1196, III-6).
[2] Dans un précédent litige intervenu entre la société Lacoste et une autre société, portant sur la même marque figurative, représentant un crocodile tourné vers la gauche, que celle objet du présent litige, le tribunal de grande instance de Paris avait relevé que la société de droit singapourien Crocodile International ne justifiait d’aucun préparatif sérieux d’usage de ses marques sur le territoire français et que dans ces conditions, sa demande de déchéance des droits sur la marque était irrecevable faute d’intérêt (TGI Paris 3e ch., 3e sect. 29 mars 2006, Crocodile International Private Ltd c. La Chemise Lacoste, 05/01245 ; M20060241). Cette décision a été confirmée sur ce point en appel (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 oct. 2012, Lacoste SA c. Crocodile International Private Ltd, 10/10133 ; M20120482). Dans cette affaire, la société Lacoste, qui avait, dès 1933, adopté comme emblème le dessin d’un crocodile tourné vers la droite et déposé une marque sur ce signe, était également poursuivie en nullité de la marque contestée pour dépôt frauduleux, ainsi qu'en nullité sur ce fondement de deux autres marques françaises figuratives représentant, elles aussi, un crocodile tourné vers la gauche. La société Crocodile International invoquait notamment une marque qu’elle avait déposée à Singapour, représentant un crocodile avec la tête tournée vers la gauche, qu’elle a cédée plus tard à la société chinoise Nanji E-Commerce, demanderesse au présent litige, ainsi qu’un accord de coexistence conclu avec la société Lacoste couvrant une partie du marché asiatique. Elle n’a pas obtenu gain de cause en ce qui concerne la marque objet du présent litige, celle-ci correspondant à l’élément figuratif emblématique de la société Lacoste, orienté dans un autre sens. En revanche, le dépôt de mauvaise foi a été retenu pour les deux autres marques françaises, qui reproduisaient l'élément figuratif des marques de la société Crocodile International figurant dans l'accord de coexistence. Le tribunal a considéré que ces dépôts de marques avaient été effectués par la société Lacoste en parfaite connaissance de cause afin de se constituer des antériorités opposables en Chine par le biais d’une extension internationale visant ce territoire (la demande d’extension s’est heurtée à un refus de la part des autorités chinoises). Cette solution n’a pas été remise en cause par la Cour de cassation (Cass. com., 20 mai 2014, Lacoste SA c. Crocodile International Private Ltd, 13/10.777 ; M20140324 ; PIBD 2014, 1009, III-547 ; Propr. intell., 53, oct. 2014, p. 410, note d'A. Bouvel).