Jurisprudence
Marques

Nature de la sanction du défaut d’inscription au RNM de la cession d’un fonds de commerce comprenant des marques - Dénigrement résultant de l’envoi d’un courriel à un client de la partie adverse

PIBD 1232-III-2
Cass. com., 26 juin 2024

Cession du fonds de commerce - Cession de marques - Validité de la cession - Inscription au RNM dans le délai requis par le Code de commerce - Droit des sûretés - Privilège du vendeur - Opposabilité aux tiers

Concurrence déloyale - Dénigrement - Mise en garde adressée à la clientèle - Préjudice moral

Texte
Marque n° 1 458 311 de la société Merger
Marque n° 1 458 312 de la société Merger
Marque n° 4 242 041 de M. [X] [E]
Texte

Une société spécialisée dans la fabrication et le commerce de boîtes de vitesse a déposé deux marques verbale et semi-figurative MERGER. Suite à sa mise en liquidation judiciaire, un plan de cession des actifs composant son fonds de commerce a été arrêté au bénéfice d’une autre société, laquelle a, plus tard, cédé ces actifs à une société nouvellement créée. Les cessions ont été inscrites au Registre national des marques. La dernière société, devenue titulaire des marques, a assigné une société et son créateur en nullité d’une marque MERGER déposée ultérieurement, ainsi qu’en contrefaçon. À titre reconventionnel, les défendeurs ont notamment sollicité l'annulation de la cession des marques en raison du non-respect des formalités d’inscription à l’INPI prescrites par l’article L. 143-17 du Code de commerce. Ils ont également présenté une demande en concurrence déloyale pour dénigrement.

Il est d’abord fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté la demande en nullité de la cession des marques invoquées.

L'article L. 143-17 du Code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, dispose notamment qu’outre les formalités d'inscription mentionnées à l'article L. 143-16, relatives au privilège du vendeur, les ventes ou cessions de fonds de commerce comprenant des marques doivent être inscrites à l'INPI, sur la production du certificat d'inscription délivré par le greffier du tribunal de commerce, dans la quinzaine qui suivra cette inscription, à peine de nullité, à l'égard des tiers, de ces ventes ou cessions.

Cette disposition a pour finalité d'informer les tiers de la constitution d'une sûreté portant sur un fonds de commerce incluant des marques. C'est en tenant compte de cette finalité qu'était interprété l'article L. 143-17 par la doctrine et par les juges du fond, qui considéraient que la sanction prévue par cette disposition était l'inopposabilité de la sûreté non inscrite à l'égard des tiers intéressés, et non la nullité de la cession, solution à laquelle devrait conduire pourtant l'interprétation littérale du texte.

Si toute recherche de la volonté du législateur par voie d'interprétation est interdite au juge lorsque le sens de la loi, tel qu'il résulte de sa rédaction, n'est ni obscur ni ambigu, et doit par conséquent être tenu pour certain, il y a cependant exception si l'application du texte aboutit à quelque absurdité.

À cet égard, en premier lieu, le texte doit être interprété en ce sens qu’il exige uniquement l'inscription à l'INPI du privilège du vendeur du fonds de commerce. En effet, d'une part, il serait absurde d’exiger que l'inscription des « ventes ou cessions » à l'INPI soit subordonnée à l'inscription préalable prévue à l'article L. 143-16 du Code de commerce, qui a un objet différent, limité à l'inscription des sûretés, et ce d'autant que l'acquéreur d'un fonds de commerce incluant une marque se trouverait dans l'impossibilité d'initier l'inscription de ces « ventes ou cessions », l'article R. 143-6 du même code prévoyant que seul le vendeur a qualité pour demander l'inscription de son privilège au greffe en présentant l’acte de vente. D'autre part, rien ne justifie que le privilège du vendeur d'un fonds de commerce comprenant des titres de propriété industrielle ne soit pas soumis à l'obligation d'inscription auprès de l'INPI, quand l'article L. 143-17 prévoit également expressément l'inscription du nantissement d'un tel fonds.

En second lieu, le propre de la nullité est d'emporter pour conséquence que l'acte nul est censé n'avoir jamais existé pour quiconque, et pas pour les seuls tiers. Dès lors, doit être considérée comme obscure l'indication, à l'article L. 143-17, que la nullité de la vente, de la cession ou du nantissement, venant sanctionner le défaut d'inscription de cet acte dans le délai imparti, ne vaut qu'à l'égard des tiers. Il doit encore être relevé que l'interprétation littérale de cet article aboutirait à un résultat paradoxal dès lors que l'article L. 714-7 du CPI ne sanctionne que par l'inopposabilité aux tiers l'absence de publication de toute transmission ou modification des droits portant sur une marque. Il est donc également absurde d’annuler, en application de l'article L. 143-17 du Code de commerce, en raison du retard de sa publication, une transmission des droits portant sur une marque comprise dans un fonds de commerce.  

Par ailleurs, l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a, aux fins de simplification et de sécurisation des règles de publicité, modifié l'article L. 143-17 en ce sens que l'inscription au Registre national des marques de la vente ou de la cession du fonds de commerce comportant une ou plusieurs marques est désormais prévue à peine d'inopposabilité à l'égard des tiers. Il s'en déduit que la cour d'appel a décidé à bon droit que l'absence d'inscription dans le délai prévu par l'article L. 143-17 entraîne, non la nullité de la cession de marque, mais l'inopposabilité de la sûreté.

Il est ensuite fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté la demande reconventionnelle en concurrence déloyale pour dénigrement. L’arrêt attaqué a retenu que le message incriminé, contenu dans le courriel adressé par la société demanderesse à une société tierce qui aurait renoncé à commander un produit conçu par la partie adverse, n'aurait pas reçu une publicité suffisante pour constituer un dénigrement. Dans ce courriel, la demanderesse précisait notamment qu’elle disposait de son propre bureau de design et de sa propre usine et que tous ses réducteurs de vitesse étaient faits main, alors que la société défenderesse ne faisait que vendre des réducteurs sans les concevoir ni les fabriquer.

La divulgation, fût-ce auprès d'un seul client, d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits d'un concurrent constitue un dénigrement engageant la responsabilité civile de son auteur. En se déterminant par des motifs impropres à écarter l'existence d'un dénigrement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1240 du Code civil.

De plus, l’arrêt attaqué a retenu qu'en admettant que le contenu du courriel incriminé puisse être considéré comme répondant à la définition du dénigrement, la société défenderesse ne rapportait pas la preuve du préjudice qu’elle avait subi en lien direct avec le fait reproché.

Toutefois, un préjudice, fût-il seulement moral, s'infère nécessairement d'un acte de dénigrement. En rejetant la demande de dommages et intérêts, sans rechercher si le courriel caractérisait un acte de dénigrement et, si tel était le cas, sans évaluer le préjudice nécessairement subi, la cour d'appel n'a pas, là non plus, donné de base légale à sa décision au regard de l’article susvisé.

Cour de cassation, ch. com., 26 juin 2024, 23-11.020 (M20240156 ; D Actu., 3 juill. 2024, « Cession de marque : portée de l'absence d'inscription au Registre des marques » par C. Hélaine)
MGT SARL c. Merger SAS et  M. [X] [E]
(Cassation partielle CA Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 26 oct. 2022, 19/04674 ;
M20220281)