Jurisprudence
Brevets

Opposition à un brevet devant l’INPI - Extension de l’objet au-delà du contenu de la demande initiale par généralisation intermédiaire

PIBD 1209-III-1
Décision INPI, 21 avril 2023

Opposition au brevet d’invention - Extension de l'objet au-delà du contenu de la demande initiale (oui) - Généralisation intermédiaire - Modification de la revendication - Ajout d'une caractéristique - Homme du métier - Revendications dépendantes - Droit de priorité - Nouveauté (non) - Activité inventive (non) - Approche problème-solution - Révocation totale

Texte

L’opposition formée à l’encontre du brevet intitulé « Appareil et procédé de remplissage de ballons à eau avec de l’eau » est reconnue justifiée.

Le brevet contesté décrit un dispositif qui permet de remplir rapidement une grande quantité de bombes à eau. Des ballons sont attachés à des tubes fixés à un logement que l’on accroche ensuite à un tuyau d’arrosage.

L’opposant a demandé la révocation totale du brevet contesté, sur la base des motifs suivants : insuffisance de l’exposé, défaut de nouveauté, défaut d’activité inventive et extension de l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée pour les revendications n° 1 à 14.

L’Institut constate que le brevet ne peut être maintenu tel qu’il a été délivré car les revendications principale n°1 et dépendantes n° 2 à 13 s’étendent au-delà du contenu de la demande telle que déposée. En revanche la revendication indépendante n°14 ne s’étend pas au-delà du contenu de la demande déposée, mais son objet n’est pas nouveau et n’implique pas d’activité inventive.

La revendication n°1 ne peut pas être maintenue telle que délivrée, en raison de deux modifications au cours de la procédure de délivrance qui constituent des extensions de l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle que déposée.

La première est l’ajout de la caractéristique selon laquelle une pluralité de tubes creux s’étendent selon une même direction sans préciser qu’ils devaient s’évaser vers l’extérieur lors du remplissage des ballons. La revendication n°1 ainsi reformulée enseigne donc la possibilité technique de dissocier la caractéristique du parallélisme des tubes de celle de leur évasement vers l’extérieur lors du remplissage. Or, la description, telle que déposée, enseigne de façon explicite et constante que « les tubes s'étendent de manière sensiblement parallèles les uns aux autres et sont conçus et configurés, quand ils sont remplis, pour s'évaser progressivement vers l'extérieur » sans que la possibilité de leur dissociation ne soit mentionnée. L’homme du métier, qui s’entend en l’espèce, d’un mécanicien ayant des connaissances de base en mécanique générale, en particulier en tuyauterie et étanchéité, comprendra, à la lecture de la demande de brevet, qu’en raison du positionnement parallèle et de la souplesse des tubes, le remplissage des ballons induit nécessairement qu’ils vont entrer en contact les uns avec les autres obligeant naturellement les tubes à s’évaser vers l’extérieur. Par cet insert, le titulaire a donc ajouté une caractéristique technique issue de la description en la dissociant d’une autre qui lui était inextricablement liée d’après l’enseignement de la description, ce qui constitue une extension de l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle que déposée.

La deuxième modification de la revendication n°1 au cours de la procédure de délivrance a pour objet de préciser que les ballons remplis sont détachables par la gravité combinée à une accélération appliquée aux tubes sans qu’il ne soit requis que cette dernière soit ascendante. Or, il ressort de chacune des mentions de la description déposée que l’accélération appliquée aux tubes pour le détachement des ballons est ascendante. L’homme du métier comprendra à la lecture de la demande brevet que pour avoir une force susceptible de détacher l’ensemble des ballons des tubes le mouvement le plus indiqué est un mouvement ascendant et non descendant ou latéral. Il en résulte que la reformulation de la revendication n°1 selon laquelle il n’est pas requis que l’accélération soit ascendante étend l’objet du brevet, cette caractéristique n’étant pas déductible directement et sans ambigüité de la demande telle que déposée.

Ainsi, en ajoutant à la revendication n°1 deux caractéristiques techniques et en les dissociant de celles avec lesquelles elles étaient inextricablement liées, le titulaire a étendu l’objet de son brevet au-delà de la demande telle que déposée par généralisation intermédiaire.

Il en est de même s’agissant des revendications n° 2 à 13 qui sont rattachées directement ou indirectement à la revendication n° 1 en ce qu’elles incorporent toutes ses caractéristiques et qu’aucune de ces revendications dépendantes ne corrigent les généralisations intermédiaires précédemment exposées de sorte qu’elles contiennent les deux mêmes généralisations intermédiaires que la revendication n°1 et qu’en conséquence l’objet de chacune d’entre elles s’étend au-delà du contenu de la demande telle que déposée.

Le motif d’opposition selon lequel l’objet du brevet tel que délivré s’étend au-delà du contenu de la demande est donc fondé.

L’objet de la revendication indépendante n°14 telle que délivrée n’est pas nouveau.

Le brevet contesté revendique la priorité de trois demandes de brevets américains, dont deux sont contestées par l’opposant.

Toutefois, le titulaire du brevet français est bien le même que celui des deux demandes américaines et il ne peut être allégué que le titulaire du brevet aurait bénéficié à tort d’une restauration de son délai de priorité dès lors que les décisions de recours en restauration ne peuvent être contestées lors d’une procédure d’opposition. En revanche, l’opposant conteste à juste titre l’identité des inventions en considérant que l’invention présentée dans le brevet français ne serait pas identique à celles des demandes américaines antérieures. En effet, la revendication n°14 comporte des précisions techniques non déductibles directement et sans ambiguïtés des priorités revendiquées de sorte que cette revendication ne peut pas bénéficier de leur date de priorité.

Les documents de l’art antérieur présentés à l’appui du défaut de nouveauté , à savoir des vidéos promotionnelles, expliquant comment utiliser le produit, diffusées après les deux demandes de brevet américaines contestées mais avant la demande française antériorisent deux des trois alternatives de la revendication n°14. Par conséquent, deux des trois alternatives de la revendication n° 14 ne sont pas nouvelles.

Or, la protection conférée par une revendication ne peut porter que sur des objets brevetables au sens des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 du CPI. Ainsi, tous les modes de réalisation entrant dans le champ de la revendication doivent satisfaire à cette exigence. Dès lors qu’une seule alternative de la revendication définit un objet qui n’est pas nouveau, la revendication porte sur un objet qui n’est pas nouveau.

Au regard des éléments présentés, le motif d’opposition selon lequel l’objet de la revendication n°14 n’est pas nouveau est donc fondé.

Au surplus, la revendication n°14 est dépourvue d’activité inventive.

L’une des vidéos ne divulgue pas de détacher les ballons en les éloignant des tubes creux mais en secouant le logement ou en laissant les ballons remplis glisser sous l’effet de leur propre poids. L’effet technique issu de cette différence est de définir une façon alternative de déconnecter les ballons du dispositif pour faire cesser leur remplissage. Le problème technique objectif est donc de trouver une méthode pour déconnecter les ballons du dispositif qui soit alternative à celles présentées dans cette vidéo. L’homme du métier souhaitant résoudre ce problème technique aurait retrouvé de manière évidente l’objet de l’alternative b de la revendication n°14.

Le motif d’opposition selon lequel la revendication n°14 n’implique pas d’activité inventive  est donc fondé.

Au cours de la procédure d’opposition, le titulaire peut modifier les revendications du brevet sous réserve, notamment, que les modifications apportées répondent à un des motifs d'opposition (art L. 613-23-3 I 1° du CPI). En l’espèce, aucune des requêtes en modification des revendications soumises par le titulaire n’est de nature à résoudre les objections présentées.

Le titulaire du brevet a présenté 14 requêtes subsidiaires au cours de la procédure d’opposition. Les 13 premières requêtes ne répondent pas à un motif d’opposition et ne sont donc pas conformes à l’article L.613-23-3 I 1° CPI. Les requêtes subsidiaires n°14 et 15 ne sont pas recevables car présentées trop tardivement (articles R.613-44-6 et R.613-44-7 CPI).

En conséquence, le brevet contesté est totalement révoqué.

Décision INPI, 21 avril 2023, OPP21-0018 (OB20210018)
Koopman International c. Tinnus Enterprises LLC