La rubrique « Brèves de jurisprudence » offre un aperçu d'autres décisions en mettant l'accent sur un ou plusieurs points de droit intéressants. |
Invention de salarié - Demande de paiement d'une rémunération supplémentaire - Compétence du conseil des prud'hommes (non)
La demanderesse, ingénieure chimiste, a été licenciée du poste de responsable projet recherche et développement qu’elle occupait au sein d’une société spécialisée dans les produits de soins cosmétiques et capillaires à base de plantes. Elle a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir l'annulation de son licenciement, ainsi que le paiement d'une rémunération supplémentaire au titre des inventions réalisées dans le cadre de son contrat de travail, en invoquant l’application de la convention collective des industries chimiques. C’est à bon droit que la cour d’appel de Paris a déclaré le conseil de prud’hommes incompétent pour statuer sur cette dernière demande qui relève, en vertu de l’article L. 615-17 du CPI, de la compétence exclusive du tribunal judiciaire en matière de brevets d’invention. En effet, alors que la convention collective subordonne la rémunération supplémentaire à la prise d’un brevet et à son exploitation, la salariée soutenait, dans ses conclusions, que ses inventions étaient brevetables et que l’absence de dépôts de brevets était sans incidence sur sa demande. Son employeur contestait en défense cet argumentaire.
Cass. soc., 23 oct. 2024, Mme [P][T] c. BTSG2 SCP et al., 22-19.700 (B20240054)1
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 6, 3e ch., 1er juin 2022, 19/01249)
1Dans une autre affaire dans laquelle un ancien salarié contestait son licenciement devant une juridiction prud’homale et réclamait une rémunération supplémentaire pour une invention sur la base de la convention collective du secteur concerné, le pôle social de la cour d’appel de Paris avait jugé que cette juridiction était compétente. Le pourvoi a été rejeté sur ce point, la Cour de cassation estimant que la demande de rémunération n’impliquait pas l’examen de l’existence ou de la méconnaissance d’un droit attaché à un brevet (Cass. soc., 3 mai 2018, Compagnie IBM France c. M. A, 16-25.067 ; B20180023 ; PIBD 2018, 1095, III-364 ; Comm. com. électr., juill.-août 2018, p. 28, C. Caron ; L’Essentiel droit de la propr. intell., 7, juill. 2018, p. 4, P. Langlais ; Propr. intellect., 70, janv. 2019, p. 86, C. de Haas ; Propr. intellect., 70, janv. 2019, p. 93, J.-C. Galloux). Il convient de noter que l’invention revendiquée portait sur un logiciel et que la question de sa brevetabilité n’avait pas été discutée devant la cour d’appel.
Rétractation de l’ordonnance de saisie-contrefaçon (non) - Personne assistant l’huissier
La demande de rétractation de l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon est rejetée. Le juge des requêtes a désigné, en qualité d’expert pour assister le commissaire de justice, le conseil en propriété industrielle de la société saisissante qui est titulaire de deux brevets français et européen relatifs à un dispositif de montage d’un mécanisme d’enroulement de volet roulant. Le moyen tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité de cet expert, fondé sur le droit à un procès équitable, est écarté. Le conseil en propriété industrielle avait adressé à la société, au siège de laquelle a été réalisée la saisie, une lettre recommandée détaillant les caractéristiques des brevets, selon lui, reproduites par le coffre de volet roulant incriminé, laquelle ne contenait aucune mise en demeure mais invitait seulement la société à initier une solution amiable. Cette circonstance ne faisait pas obstacle à la désignation ultérieure du conseil en qualité d'expert, sur la demande de la société saisissante, pour assister le commissaire de justice dans le cadre d'une saisie-contrefaçon. Le conseil en propriété industrielle, fût-il le conseil habituel de la saisissante, exerce en effet une profession indépendante en vertu des dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Lors de sa mission auprès du commissaire de justice, qui n’est pas une expertise, il n’est soumis à aucune obligation d’impartialité1.
TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 11 sept. 2024, Société de Production de Portes et Fermetures SAS c. Deprat Jean SA et al., 24/04422 (B20240045)
1 Cf. arrêt cité en ce sens par le tribunal : Cass. com., 27 mars 2019, JC Bamford Excavators Ltd c. Manitou BF SA et al., 18-15.005 (B20190019 ; PIBD 2019, 1115, III-225 ; LEPI, mai 2019, p. 7, S. Carre ; D, 24, 4 juil. 2019, p. 1368, A.-C. Le Bras ; Comm. com. électr., juin 2019, p. 22, C. Caron ; Propr. intellect., 72, juil. 2019, p. 104, J.-C. Galloux ; D, 28, 1er août 2019, p. 1585, P. Kamina ; D IP/IT, sept. 2019, p. 510, J. Daleau ; Légipresse, 376, nov. 2019, p. 652, R. Soustelle).
Déchéance de marques (non) - Déchéance partielle de marques (oui) - Usage sérieux - Exploitation sous une forme modifiée - Usage à titre de marque
La demande en déchéance des marques verbales et semi-figuratives MONSIEUR STORE est partiellement rejetée pour certaines marques et totalement rejetée pour d’autres. L’usage par la société titulaire d’une marque semi-figurative similaire vaut usage des marques semi-figuratives contestées. En effet, l’élément figuratif représentant un lézard et l’élément verbal « MONSIEUR STORE » apparaissent tous deux à l’identique des marques contestées mais dans une position différente. Cette forme très légèrement différente n’altère pas le caractère distinctif des marques. Par ailleurs, la titulaire établit que les marques MONSIEUR STORE ont été exploitées sous la forme d’une marque ombrelle qui avait pour fonction d’identifier, à l’intention des consommateurs, divers produits portant eux-mêmes des marques distinctes, regroupés sous la même gamme « MONSIEUR STORE ». L'objectif consistait notamment à faire bénéficier ces produits de la notoriété et de l'image de la marque ombrelle, tout en les dotant d'une identité spécifique facilitant la communication. Un tel usage a été fait à titre de marque, peu important que la marque ombrelle ait ou non été apposée sur le produit ou sur son emballage. La preuve de l’usage sérieux n’est toutefois rapportée que pour certains produits.
CA Lyon, 1ère ch. civ. A, 26 sept. 2024, Monsieur Store SA c. M. O, 16/09585 (M20240225)
(Infirmation partielle TGI Lyon, 2 juill. 2019, 16/09585)
Protection au titre du droit d’auteur (oui) - Contrefaçon (non)
La tête de la poupée dénommée « Barbie CEO » est protégeable au titre du droit d’auteur1. La société demanderesse expose que la combinaison de l’ensemble des caractéristiques qu’elle revendique (visage ovale, grand front, yeux en amande, petit nez retroussé, lèvres charnues légèrement entre-ouvertes sur les dents, joues pleines et bombées, pommettes hautes, menton peu marqué) confère à cette tête de poupée des traits harmonieux et une expression douce et avenante, qui la distinguent des têtes de poupée du même genre, et traduit les choix personnels de sa créatrice. Elle expose ainsi suffisamment les choix opérés lors de la création de l’œuvre, étant rappelé que si l’auteur seul peut identifier les éléments traduisant l’expression de sa personnalité, il n’a pas à en expliquer la genèse. De plus, si la tête de poupée « Barbie CEO » comporte des caractéristiques communes à celles de têtes de poupées antérieures ou empruntées au fonds commun des têtes de poupées, la combinaison de l’ensemble de ces caractéristiques ne se retrouve intégralement dans aucune des antériorités versées au débat par la société défenderesse. La demande en contrefaçon est rejetée, la poupée « Lauren » incriminée ne reproduisant pas la combinaison originale des caractéristiques de l'œuvre invoquée (visage plus étroit à la base, menton et oreilles plus saillants, front plus plat).
TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 25 sept. 2024, Mattel Inc. et al. c. Toi-Toys BV et al., 20/10053 (D20240054)