Jurisprudence
Brèves de jurisprudence

Panorama en matière de brevets et de marques

PIBD 1226-III-5
Titre
BREVETS
Texte


Recevabilité de la demande en contrefaçon du brevet européen - Annulation de la revendication principale - Analyse distincte des revendications dépendantes

Si la validité d'une revendication principale entraîne celle des revendications placées sous sa dépendance, l'annulation d'une revendication principale, pour défaut d'activité inventive ou de nouveauté, n'entraîne pas automatiquement celle des revendications dépendantes. Il en résulte que toute revendication valable, fût-elle dépendante, est susceptible de faire l'objet d'une contrefaçon prohibée. Il est reproché à la cour d’appel d’avoir déclaré irrecevables les demandes en contrefaçon des revendications dépendantes 3, 5, 11 et 14 du brevet européen en cause. Pour ce faire, elle a d’abord rejeté le moyen de nullité tiré de l’extension de l’objet au-delà de la demande initiale et, en conséquence, infirmé le jugement en ce qu'il avait annulé l'intégralité des revendications du brevet. Elle a ensuite écarté le moyen de nullité tiré de l'insuffisance de description du brevet, puis annulé la seule revendication principale pour défaut d’activité inventive1. En statuant ainsi, alors qu’elle n’annulait pas les revendications 3, 5, 11 et 14 du brevet, la cour d'appel a violé les articles L. 613-3 et L. 615-1 du CPI, l’article 84 de la CBE, ainsi que la règle 29, devenue 43, du règlement d'exécution.

Cass. com., 24 avr. 2024, Koninklijke Philips NV et al. c. CSI Audiovisuel SAS, 22-15.379 (B20240021)
(Cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 oct. 2021, 17/22626)

1 Le pourvoi critiquait également, dans un autre moyen qui a été rejeté, l’annulation de la revendication 1 pour défaut d’activité inventive. À cette occasion, la Cour de cassation a substitué à la notion d’« homme du métier » celle de « personne du métier ».
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Titre
MARQUES
Texte


Dépôt frauduleux - Droit de l’UE - Intention de nuire - Entrave à l’exploitation du signe d’autrui 

Marque n° 4 162 733 de Catherine D

Il résulte de l’article L. 712-6 du CPI, interprété à la lumière du droit de l’Union européenne, que, pour établir qu'une marque a été déposée en fraude de ses droits, le tiers doit démontrer, d'une part, que le déposant avait connaissance de l'utilisation par lui d'un signe identique ou similaire au signe déposé en tant que marque, d'autre part, que ce dernier avait l'intention soit de porter atteinte à ses intérêts d'une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d'obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque. En l'espèce, l’association demanderesse a revendiqué la propriété de la marque portant sur le signe « booster d’innovations sociales », correspondant à un concept qu’elle avait développé et utilisé. L’arrêt attaqué a retenu le caractère frauduleux du dépôt effectué par une ancienne salariée de l’association alors qu’elle était encore tenue par son contrat de travail, en considérant notamment que le dépôt de ce signe, nécessaire à l’activité de la demanderesse, était de nature à entraver son activité économique. Il a ajouté que la défenderesse connaissait, à la date du dépôt, l’usage de ce signe par l’association, ce qui caractérisait l’intention de nuire. La cour d’appel, qui ne s'est pas fondée exclusivement sur la connaissance1 qu’avait la déposante de l’usage du signe litigieux par la demanderesse et a recherché, au regard des classes dans lesquelles la marque était enregistrée, si celle-ci était de nature à affecter l’activité de la demanderesse, a légalement justifié sa décision en prenant en considération l’ensemble des circonstances de la cause, lesquelles faisaient ressortir l'intention de la défenderesse de porter atteinte à ses intérêts d'une manière non conforme aux usages honnêtes.

Cass. com., 28 févr. 2024, Mme [Y] [M] et al. c. Association Choose Paris Région, 22/21.825 (M20240088)
(Rejet pourvoi c. CA Versailles, 12e ch., 16 juin 2022, 20/01404 ; M20220195 ; PIBD 2022, 1193, III-7)

1 Dans son arrêt Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, la CJUE a énoncé que « la circonstance que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, depuis longtemps un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ne suffit pas, à elle seule, pour que soit établie l’existence de la mauvaise foi du demandeur. […] il convient également de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. » (CJUE, 1re ch., 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, C-529/07 ; M20090290 ; PIBD 2009, 900, III-1225 ; D., 35, 15 oct. 2009, p. 2396, T. Lancrenon ; Propr. industr., sept. 2009, p. 29, note d'A. Folliard-Monguiral).
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Déchéance de la marque pour dégénérescence (oui) - Marque devenue usuelle - Inaction du titulaire

Marque n° 3 407 583 de la société société Tennis d’Aquitaine

La marque CITY STADE, qui désigne une « structure […] permettant la pratique de différents sports, (tennis) basket, football) », est déchue1. Les pièces versées au débat par la société demanderesse (articles de presse, extraits de dictionnaires/ encyclopédies, sites internet, appels d’offre…) démontrent qu’elle est devenue la désignation usuelle d’un terrain multisports, sur l'ensemble du territoire national. Ainsi, le terme « city stade » est utilisé depuis plusieurs années sous sa forme générique, sans faire référence à la marque concernée, tant par les professionnels que par l'utilisateur final. Or, avant le recours introduit par la demanderesse, la société titulaire n'avait adressé que trois mises en demeure à des concurrents pour protéger sa marque et n’avait introduit aucune action en justice. Étant régulièrement amenée à répondre aux appels d’offre de collectivités territoriales, elle ne peut prétendre ignorer l'usage générique fait par ces dernières de sa marque, ni arguer du fait qu’elles sont ses partenaires commerciales, pour justifier l'absence de rappel du caractère protégé de sa marque. Elle a ainsi, de par son inaction, contribué à la dégénérescence de sa marque. L’emploi du marquage d'origine anglo-saxonne « ® » ne permet pas plus de pallier sa carence.

CA Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 6 mars 2024, Sports et Loisirs SAS c. Tennis D'Aquitaine SAS, 22/01291 (M20240065)
(Infirmation décision INPI, 24 févr. 2022,
DC 21-0032 ; DC20210032)

1 Le TUE (7 févr. 2024, T-220/23) a accueilli la demande de la société Sports et Loisirs en déchéance pour dégénérescence de la marque figurative de l’UE CITY STADE, dont la société Tennis Aquitaine était également titulaire : « contrairement à ce qu’a retenu la chambre de recours, l’inactivité de l’intervenante en tant que titulaire de la marque contestée doit être considérée comme étant caractérisée [...] Ainsi, […] le fait que la marque contestée est devenue la désignation usuelle dans le commerce des produits pour lesquels elle a été enregistrée est imputable tant à l’activité, dans une certaine mesure, qu’à l’inactivité de l’intervenante, caractérisée par un faible niveau de vigilance, ainsi que par une forme de passivité. »
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Contrefaçon de marque (oui) - Reproduction - Adjonction de la mention « l’alternative à » - Rupture d’un engagement unilatéral (oui)

Marque n° 1 658 439 de la société SOS Médecins

La présentation, par une société exploitant une plateforme d’e-santé, de son service en ligne comme « L’alternative à SOS MEDECINS » constitue une contrefaçon par reproduction de la marque verbale SOS MEDECINS. Les services de mise en relation de patients et de médecins pour des rendez-vous sous forme de téléconsultation proposés par la société défenderesse sont identiques à ceux visés par la marque SOS MEDECINS. La marque est reproduite à l’identique dans le signe litigieux, précédé de la mention « l’alternative à ». L’adjonction de ces termes, bien qu’elle ne soit pas expressément visée dans l’article L.713-2 du CPI1, dont la liste n’est pas limitative, n’autorise pas sa reproduction. En effet, le fait d'associer un rattachement, fusse par la référence à une alternative à la marque d'origine, ne suffit pas à écarter l'atteinte à la fonction essentielle de la marque. L’usage de l’expression litigieuse par la défenderesse constitue par ailleurs une violation de son engagement unilatéral à l’égard de la demanderesse de ne pas faire usage de la marque SOS MEDECINS. Cette faute, d’un fondement différent de l’atteinte à un droit de propriété industrielle par la contrefaçon d’une marque, peut faire l’objet d’une demande en réparation distincte. Ainsi, le préjudice subi par la demanderesse est constitué tant par l’atteinte à la réputation de sa marque que par la rupture de la confiance qu’elle avait accordée à la défenderesse.

CA Paris, pôle 5, 2e ch., 15 mars 2024, SOS Médecins SAS c. Synapse SASU, 22/14663 (M20240071)
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 7 juill. 2022, 20/12147)

1 L’article L. 713-2 du CPI, dans sa version applicable au litige, dispose que la reproduction d’une marque est interdite, même avec l'adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode ». Cette précision, qui ne figure plus dans la nouvelle version de l’article L. 713-2 du CPI en vigueur depuis le 15 décembre 2019, se retrouve dans le nouvel article L. 713-3-1 du CPI créé par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019.
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