Recevabilité de l'action en contrefaçon de droit d'auteur (oui) - Titularité des droits - Création par un salarié - Œuvre collective - Cession
Bague et bracelets - Protection au titre du droit d'auteur (oui) - Originalité - Genre - Représentation d’un animal - Combinaison d’éléments connus
Validité de la saisie-contrefaçon (oui) - Documents saisis relatifs aux produits en cause
Bague - Contrefaçon de droit d'auteur (oui) - Bracelets - Contrefaçon de droit d'auteur (non) - Reproduction de la combinaison - Force probante du constat d'huissier
Validité des modèles de bague et de bracelet (oui) - Nouveauté - Caractère individuel
Contrefaçon du modèle de bague (oui) - Contrefaçon du modèle de bracelet (non) - Impression visuelle globale
Concurrence parasitaire à l’égard du distributeur (oui) - Volonté de profiter de la notoriété et des investissements d'autrui - Reproduction d’un produit phare
Une maison de joaillerie, fondée en 1847, a développé une collection de bijoux autour du thème de la panthère. Une société appartenant à cette maison a agi en contrefaçon des droits d'auteur sur une bague et deux bracelets de la collection, dont elle justifie être titulaire. Ces droits lui ont été cédés par une autre société du même groupe, au sein de laquelle les bijoux ont été dessinés par une salariée sous les directives du studio de création.
Le contrat de travail de la dessinatrice comporte un article relatif aux droits de propriété intellectuelle, prévoyant que son travail, réalisé sous les directives artistiques de son employeur, est une contribution aux œuvres collectives et qu’il est la propriété exclusive de la société. Ces éléments, corroborés par le témoignage de la salariée et des extraits du livre de création portant la mention de ses initiales aux côtés de celles de la directrice du studio de création, sont suffisants pour retenir la qualification d’œuvres collectives. La salariée ne revendique aucun droit sur celles-ci et son employeur a bien été à l’initiative des créations en cause.
La société cessionnaire des droits d’auteur est donc recevable à agir en contrefaçon. La société défenderesse, qui invoque la nullité du contrat de cession, ne peut pas lui opposer les dispositions des articles L. 131-2 et suivants du CPI. Ces règles, fussent-elles d’ordre public, sont en effet édictées aux fins de sauvegarde des intérêts de l’auteur et non d’un tiers poursuivi en contrefaçon.
En ce qui concerne la protection des œuvres par le droit d’auteur, la défenderesse reproche à la demanderesse de tenter de s’accaparer le genre de la panthère alors que les formes animalières, et particulièrement cet animal, sont utilisées dans le domaine de la joaillerie depuis de nombreuses années. Elle estime également que les caractéristiques revendiquées sont vagues et imprécises.
Néanmoins, la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur. Par ailleurs, il appartient à la société demanderesse de caractériser en quoi les œuvres invoquées portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Or, loin de se contenter d’une simple description générale et objective de la bague et des bracelets en cause, elle énumère les caractéristiques des bijoux sur lesquels elle revendique des droits d'auteur. La bague en or blanc est composée, d'après elle, « d'un anneau présentant deux brins rigides joints jusqu'au trois-quarts avant de se disjoindre en une boucle, dont la partie supérieure est mordue par une tête de panthère en or blanc, diamants, onyx et diamants [...] », la tête étirée comportant « [...] des lignes fines en or blanc qui traversent le visage en triangles et font ainsi se rejoindre les yeux, oreilles et museau de la panthère ce qui, par le contraste créé avec la tête pavée de diamants, fait ressortir l'épure d'une tête moderne caractérisée par sa géométrie stricte et futuriste évoquant l'univers de l'origami ». Les deux bracelets, l’un en or gris et pavé de diamants, émeraudes et onyx, l’autre en or jaune et moucheté d'émail noir, sont composés « d'une longue double chaîne en or blanc ou en or jaune au maillage apparent rattachée à une extrémité à une tête de panthère stylisée et enserrée, à l'autre extrémité, par une barrette perpendiculaire pavée de diamants, créant ainsi un anneau souple que la tête de panthère mord dans sa gueule [...] : l'impression qui s'en dégage est celle d'un animal parfaitement à l'affût et au corps fin, élancé souple et dynamique ; la tête de la panthère est également caractérisée par ses lignes épurées et modernes résolument minimalistes, géométriques et symétriques évoquant l'univers de l'origami ».
Ces choix arbitraires et esthétiques empruntent, certes, au style animalier, et notamment au thème de la panthère qui a été utilisé par divers joaillers depuis le début du 20e siècle. Mais les œuvres invoquées, au style contemporain et épuré, témoignent d'une volonté de présenter un félin au corps dynamique dont la tête est caractérisée par des traits parfaitement géométriques, presque futuristes. L’aspect global de ces œuvres, prises dans la combinaison de chacun de leurs éléments, fussent-ils connus, porte ainsi l'empreinte de la personnalité de leur auteur. En conséquence, la bague et les bracelets invoqués doivent être considérés comme des œuvres originales. La décision de première instance est infirmée de ce chef.
La bague, objet de la saisie-contrefaçon, comporte une tête de panthère stylisée étirée vers l'arrière, entièrement pavée de diamants, les oreilles de l'animal étant aplaties vers l'arrière, pavées de diamants à l'extérieur et lisses à l'intérieur, ses yeux en amandes étant confectionnés de pierre de couleur vert émeraude et le félin tenant dans sa gueule une boucle fermant l'anneau de la bague. Elle présente suffisamment de ressemblances avec la bague invoquée pour caractériser une contrefaçon, les différences qui tiennent principalement à la finesse d'exécution des bijoux étant inopérantes. La combinaison des caractéristiques, siège de l'originalité de la bague, est bien reprise. En revanche, la mauvaise qualité des photographies prises lors du constat d’huissier ne permet pas de retenir la contrefaçon en ce qui concerne l’autre bague incriminée qui était exposée dans une vitrine. Quant au bracelet ayant fait l’objet de la saisie-contrefaçon, les ressemblances qu’il présente avec le bracelet en or jaune invoqué (une tête de panthère stylisée et mouchetée étirée vers l'arrière, des yeux confectionnés de pierre de couleur vert émeraude, le félin tenant dans sa gueule une boucle) ne sont pas suffisantes pour caractériser une contrefaçon, les autres caractéristiques revendiquées (les yeux en amandes étirés vers l'arrière, la double chaîne et le maillage apparent, la tête de la panthère qui fait corps avec la chaîne) n’étant pas reprises.
La société demanderesse invoque également un dépôt de modèles communautaires[1] visant notamment une bague et un bracelet. Comme l’a retenu la décision de première instance, ces modèles sont valables. Ils présentent, avec les bagues et les bracelets invoqués à titre d’antériorités, des différences qui ne sont pas des détails insignifiants. Ils sont donc nouveaux. De plus, ils produisent sur l’utilisateur averti une impression globale différente, les bijoux opposés ayant notamment une apparence générale moins anguleuse. Les modèles présentent ainsi un caractère individuel. L’utilisateur averti pris en considération est le connaisseur des produits de bijouterie. Selon la Cour de justice de l’Union européenne[2], la notion d'utilisateur averti doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle, applicable en matière de marques, de consommateur moyen auquel il n'est demandé aucune connaissance spécifique et qui, en général, n'effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d'homme de l'art, expert doté de compétences techniques approfondies.
La contrefaçon du modèle de bague est caractérisée. La bague objet de la saisie-contrefaçon, ci-dessus décrite, produit en effet sur l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble identique. En revanche, la demande en contrefaçon du modèle de bracelet, constitué de deux joncs rigides se rejoignant en une boucle tenue dans la gueule de la tête d'une panthère, doit être rejetée, le bracelet objet de la saisie-contrefaçon donnant une impression visuelle globale différente. Comme il a été vu lors de l'examen de la contrefaçon de droit d'auteur, ce bracelet est en maille flex montée en ressort et la boucle tenue par la gueule de la panthère est pavée de diamants, comme la base de son cou, la tête du félin n'apparaissant pas faire corps avec le reste du bracelet. Le jugement est donc confirmé sur ces points. Le préjudice subi suite à la commercialisation de la bague contrefaisante sera réparé par le versement de la somme de 40 000 €, au titre de la contrefaçon de droit d'auteur, et de la même somme au titre de la contrefaçon du modèle communautaire.
La société qui distribue les produits protégés par les droits de propriété intellectuelle s’estime victime d’actes de concurrence parasitaire, distincts des actes de contrefaçon commis à l'encontre de l'autre demanderesse. Elle démontre que la panthère est l'animal emblématique de la maison de joaillerie à laquelle elle appartient aussi et qui n’a cessé d'interpréter la panthère sous différentes formes de bijoux depuis plusieurs décennies. Elle a investi massivement pour assurer la promotion de la collection de bijoux invoquée et a réalisé sur celle-ci un chiffre d'affaires de 37 millions d'euros entre avril 2015 et mars 2017. Cette collection iconique constitue donc une valeur économique individualisée. Dès lors, en reproduisant l'une des pièces de la collection pour la commercialiser, la société défenderesse a cherché à se placer dans le sillage de la société distributrice et à profiter indûment des investissements réalisés ainsi que de la notoriété acquise par la collection de bijoux. Il importe peu que d'autres joaillers de renom commercialisent également des bijoux reprenant le thème de la panthère, sur lequel la société demanderesse ne revendique aucune exclusivité ni monopole. En revanche, l’existence d’un effet de gamme par la reprise de plusieurs produits est écartée.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 12 janvier 2024, 22/02206 (D20240021)
Provence Imp'or SAS et Les Mandataires SAS (intervenante volontaire, en qualité de mandataire judiciaire) c. Établissements Loubatier SAS, Cartier International AG et Société Cartier SAS
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 29 janv. 2021, 18/01466)
[1] Le dépôt international de modèles n° DM/079 175, indiqué dans la décision, désigne notamment l’Union européenne.
[2] CJUE, 4e ch., 20 oct. 2011, PepsiCo Inc., C-281/10 (D20240021 ; Europe, déc. 2011, p. 43, L. Idot ; Propr. industr., oct. 2020, chron. 8, F. Glaize).