Jurisprudence
Brèves de jurisprudence

Panorama en matière de brevets, marques et dessins et modèle

PIBD 1227-III-5
Titre
BREVETS
Texte

Provision à valoir sur des redevances dues par un licencié exclusif (oui) - Validité vraisemblable du contrat de licence

Il est fait droit à la demande du titulaire d’un brevet européen, présentée en référé, en paiement d’une provision à valoir sur des redevances dues par son licencié exclusif. Il était reproché à ce dernier de n’avoir réglé qu’une somme correspondant à l’état réel des ventes pour une année, alors que le contrat de licence mettait à sa charge le paiement d’un minimum annuel garanti de redevances en contrepartie de l’exclusivité. Le licencié a opposé à cette demande une contestation tenant à l’absence de validité du contrat qui serait dépourvu d’objet en raison notamment de la nullité du brevet. Toutefois, l’article 8 du contrat, qui stipule qu'en cas d’annulation du brevet son titulaire n’est tenu ni à la restitution des sommes déjà acquises, ni à la réduction des sommes dues jusqu’au jour de l’avènement de la décision de justice, fait loi entre les parties. La demande portant sur le paiement de redevances apparaît être indépendante de la demande en nullité du brevet, qui n’est pas de nature à y faire obstacle, en dépit du caractère rétroactif de l’annulation du titre. En effet, la nullité du brevet, quand bien même elle serait prononcée, n’aurait pas pour conséquence, de manière rétroactive, au stade des restitutions, de priver de toute cause la rémunération due par le licencié. Cette rémunération constitue la contrepartie des prérogatives dont celui-ci a d’ores et déjà joui, à savoir une exclusivité consentie avant la date d’annulation du brevet et portant sur une valeur économique qui existe indépendamment du titre. Par conséquent, cette contestation n’est pas sérieuse.

TJ Paris, ord. réf., 22 mars 2024, Sylopido SARL c. Burger et Cie SAS, 23/56985 (B20240014)

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Titre
MARQUES
Texte


Contrat de licence - Manquement par le concédant à l’obligation d’exclusivité (non)

La société titulaire des marques DIOR et CD a conclu un contrat de licence exclusive avec une société italienne pour la production et la commercialisation de lunettes. Elle a agi à son encontre en paiement des sommes dues au titre de la licence. La société défenderesse lui reproche en retour d'avoir permis, en violation du contrat de licence, à une autre société de présenter des produits sous ces marques et de prendre des commandes avant l'expiration de la licence. Cependant, selon les stipulations contractuelles, les parties étaient libres, avant le terme fixé par le contrat, de commencer à travailler avec des tiers à la mise en place de tout type d’activité dans le domaine de la lunetterie après cette date. De plus, à partir du moment où elle notifiait à la société licenciée sa décision de ne pas reconduire le contrat au-delà de son terme, la société concédante était autorisée à communiquer sur les futures activités qu’elle envisageait d’exercer avec la société tierce. Dans le cadre d’un évènement organisé pour le lancement de cette nouvelle collaboration, cette société a spécifié qu’elle serait le partenaire exclusif du titulaire des marques à compter de la fin du contrat de licence et qu’aucune commande ne serait prise pendant l’évènement. Elle a toutefois accepté de la part de futurs clients des présélections contenant les références et le prix des produits, la date de livraison ainsi que des codes clients. Ces présélections ne peuvent pas être considérées comme des bons de commande, ni a fortiori des commandes matérialisant des ventes fermes entre la société tierce et de potentiels revendeurs. Par ailleurs, les mails envoyés à certains d'entre eux ne correspondent pas à des confirmations de commandes, mais tout au plus à des confirmations de présélections. En conséquence, aucune faute imputable à la société concédante, en violation de l’obligation d’exclusivité du contrat de licence, n’est démontrée.

CA Paris, pôle 5, 2e ch., 8 mars 2024, Safilo SpA c. Christian Dior Couture SA, 21/22173 (M20240087)
(Confirmation partielle T. com. Paris, 19e ch ., 10 nov. 2021, 2021016742)

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Validité de la cession à titre gratuit (non) - Opposabilité de la cession à titre onéreux (oui) - Transfert rétroactif de la propriété de la marque

Marque n° 3 416 062 de la société Kaya

L’action en contrefaçon intentée par la société cessionnaire de la marque verbale KAYA à l’encontre d’une société exploitant un restaurant sous la dénomination « KAYA » est recevable. La holding ayant déposé la marque KAYA a cédé cette marque à titre gratuit à la société demanderesse, par contrat du 20 mai 2020. Ce contrat de cession constitue une donation entre vifs, qui aurait dû être passée devant notaire en application de l’article 931 du Code civil. Il est sanctionné, compte tenu du défaut de forme notariée, d’une nullité absolue insusceptible de confirmation1. Un second contrat prévoyant un prix de cession a été conclu le 30 mai 2022. Ce contrat, qui vise à annuler et remplacer l’ensemble des dispositions du contrat de cession initial, ne vient pas régulariser cette cession, mais se substitue à elle et conduit à un transfert rétroactif de la propriété de la marque. La demanderesse doit ainsi être considérée comme propriétaire de la marque litigieuse au jour de l’assignation. Le second contrat est par ailleurs opposable aux défendeurs. En effet, l’inscription totale du transfert de propriété au bénéfice de la demanderesse, bien qu’elle résulte de la transmission à l’INPI du premier contrat, a permis aux tiers d’en être informés.

TJ Lyon, ch. 10 cab 10 J, 9 avr. 2024, Kaya SAS c. Les Garçons SAS et al., 20/05900 (M20240084)

1 Sur la nullité d’un contrat de cession à titre gratuit d’une marque et de dessins et modèles communautaires, voir également  : CA Paris, pôle 5, 1ère ch., 13 mars 2024, M. [B][S] c. M.[N][T] et al., 22/05440 (M20240070). Dans cette affaire, la Cour considère qu’aucun élément « ne permet de retenir que l'article L. 714-1 alinéa 7 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel la cession des droits attachés à la marque est constatée par écrit à peine de nullité, et qui n'envisage pas le cas où le titre serait cédé à titre gratuit dans le cadre d'une donation, serait une règle spéciale dérogeant à la règle d'ordre public de l'article 931 du code civil. »
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Titre
DESSINS ET MODÈLES
Texte


Contrefaçon du modèle - Reproduction dans une publicité - Fourniture des moyens permettant de fabriquer le modèle

Modèle n° 20203935-001 de Mme [I] [Y]

Une créatrice de patrons de couture, commercialisés sur Internet et permettant la réalisation d’accessoires, a déposé à l’INPI un modèle portant sur un sac dénommé « sac Georges ». Elle reproche à la société poursuivie en contrefaçon de commercialiser une boîte dénommée « la boîte à sac Georges » puis « boîte à sac de voyage », contenant les fournitures nécessaires à la confection de son modèle. Les publications commerciales parues sur le site internet de la défenderesse et sur Facebook sont assorties d’une photographie d’un sac qu’elle reconnaît avoir cousu sur le modèle du « sac Georges » afin de représenter le rendu fini de la boîte vendue. Ce sac produit sur l’observateur averti, amateur de loisirs créatifs et de couture suffisamment vigilant, une impression visuelle d’ensemble identique à celle du modèle invoqué. La photographie, qui est utilisée à des fins promotionnelles pour vendre les boîtes, constitue donc une contrefaçon. En revanche, il n’est pas suffisamment établi que ces boîtes comprennent le patron de couture reproduisant le modèle et permettant de le confectionner. La seule mention « tout pour la création d’un sac Georges » n’est pas suffisante pour établir la présence du patron. En conséquence, la seule commercialisation de coupons de tissus et d’articles de mercerie ne saurait constituer une contrefaçon du modèle de sac invoqué.

TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 28 mars 2024, Mme [I] [Y] et al. c. L’Armoire à Tissus SAS, 22/08127 (D20240019)

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Protection au titre du droit d’auteur (oui) – Originalité - Concurrence déloyale et parasitaire (non) - Dénigrement (oui)

Modèle de basket V-10 de la société Veja. Source : https://www.veja-store.com/fr_fr/c/femme/v-10

La basket basse à lacet V-10 invoquée ne constitue pas une œuvre originale. Les caractéristiques de ce modèle sont courantes et, pour la plupart d’entre elles, présentes dans de nombreux modèles, notamment des années 1980. La seule actualisation des lignes ne saurait constituer un apport créatif. La pièce en forme de « V » en relief correspond au logo de la marque de la société demanderesse, apposé, comme habituellement sur ce type de produit, au milieu des faces latérales de la chaussure. Il est démontré en défense que d’autres sociétés utilisaient un signe similaire sur la face externe de leurs modèles avant la commercialisation de la basket invoquée. Il s’agit ainsi d’un élément décoratif, dont l’originalité n’est pas démontrée. En toute hypothèse, l’originalité du logo ne saurait à elle seule conférer au modèle son originalité, la reproduction de ce signe relevant, le cas échéant, de la contrefaçon de marque. Les demandes en concurrence déloyale et parasitaire sont également rejetées. Les griefs de copie servile des modèles « V-10 » et « Esplar » de la demanderesse par deux modèles concurrents de la société défenderesse ne sont pas établis, tous les détails décoratifs étant traités différemment. Il n’existe pas plus de risque de confusion entre ces modèles, la marque de chacune des sociétés étant reproduite sur les chaussures. Enfin, l’envoi par la demanderesse d’un courriel et d’une lettre au ton comminatoire à des distributeurs de la défenderesse alors que la réalité d’un droit d’auteur et donc d’une contrefaçon ne reposait sur aucune base factuelle, constitue un dénigrement à l’égard de cette dernière.

TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 22 mars 2024, Veja Fair Trade SARL c. Calzados Nuevo Milenio SL, 21/08049 (D20240016)

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