La rubrique « Brèves de jurisprudence » offre un aperçu d'autres décisions en mettant l'accent sur un ou plusieurs points de droit intéressants. |
Demande d’enregistrement d’une marque - Caractère distinctif (non) - Caractère descriptif d’une qualité du produit (oui)
C’est à bon droit que l’INPI a retenu que le signe verbal « Etick »1, déposé pour désigner les huiles essentielles et les cosmétiques, ne remplit pas son rôle distinctif en ce qu’il ne permet pas de distinguer les produits en cause de ceux d’autres entreprises. Pour le consommateur moyen, le terme « Etick » est phonétiquement strictement équivalent au terme « éthique », même s’il existe une distinction orthographique sur la terminaison. Le choix du signe litigieux n’est pas arbitraire mais fait au contraire référence à une qualité du produit. En effet, le terme « éthique » fait intellectuellement référence au respect des valeurs sociétales morales ou de conduite, qualité de plus en plus recherchée en matière de produits cosmétiques ou d'huiles essentielles en lien avec l'éco responsabilité du commerce. Il importe peu que le signe soit utilisé pour commercialiser des cosmétiques à base de CBD, ce produit renvoyant à un certain mode ou art de vivre où « l'éthique » n'est pas absente. Par ailleurs, la qualité recherchée est entièrement contenue dans le signe verbal, ce qui exclut la possibilité d’un simple caractère évocateur.
CA Bordeaux, 1re ch. civ., 13 fév. 2024, M. [H] [F] c. INPI, 22/04380 (M20240041)
(Rejet recours c. décision INPI, 23 août 2022, 22/4832938)
1 Sur l’appréciation du caractère distinctif d’un signe similaire, voir aussi dans le cadre d’un recours contre une décision d’opposition : CA Paris, pôle 5, 1rech., 22 nov. 2016, Me X c. INPI et al., 16/08043 (M20160513). Dans cet arrêt, la cour considère que le mot « éthique », bien qu’il soit descriptif et usuel pour des prestations proposées par un avocat, n’apparaît pas dans les deux marques en cause ETIK AVOCATS et AVOCATS ETIC. Les termes « ETIC » et « ETIK », n’existant pas dans la langue française, « ne font qu’évoquer phonétiquement le mot "éthique" et demeurent donc distinctifs ».
Opposition à enregistrement - Similarité des produits (oui) - Risque de confusion (oui)
La décision de l’INPI ayant rejeté l’opposition à l’enregistrement de la marque verbale DEESSE PADMA sur la base de la marque complexe de l’UE DÉESSE est annulée. Les « serviettes hygiéniques » de la demande d’enregistrement sont similaires par complémentarité aux « sous-vêtements » de la marque antérieure, la consommatrice étant fondée à leur attribuer une origine commerciale commune1. En effet, si les serviettes hygiéniques ont une fonction spécifique liée à la période menstruelle des femmes, leur lien avec les sous-vêtements s'est considérablement renforcé au travers de l'offre et de la commercialisation des culottes menstruelles, qui font à la fois office de sous-vêtements et de serviettes hygiéniques, ayant la même fonction de protection intime, la même destination, la même clientèle féminine et les mêmes réseaux de distribution. De plus, il existe une similitude entre les signes du fait de la reprise en position d’attaque, dans le signe contesté, du terme « déesse » et de l’évocation, commune aux deux signes, d’une divinité féminine. Le terme « déesse » étant parfaitement distinctif pour désigner les sous-vêtements, le simple ajout du terme « padma » dans la marque seconde, qui peut être perçu comme un nom réel ou inventé de déesse, apparaît plus descriptif. Dans ces conditions, le consommateur moyen sera enclin à penser que la marque seconde constitue une déclinaison de la marque première.
CA Paris, pôle 5, 1re ch., 24 janv. 2024, Déesse AG SA c. INPI et al., 22/14356 (M20240026)
(Annulation décision INPI, 24 mai 2022, OP 17-4191 ; O20174191)1
1 Sur la similarité des sous-vêtements avec la lingerie ou les protections hygiéniques, v. également : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 4 oct. 2023, Blue Shepherd c. INPI et al., 22/03820 (M20230189) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 24 juin 2022, Level Up SAS c. INPI et al., 21/16352 (M20220210).
Revendication de la propriété de la marque - Dépôt frauduleux (oui) - Absence d'intention d’exploiter la marque
Il est fait droit à la demande en revendication de la propriété de la marque La Vague d’Or. À la date du dépôt, la société défenderesse ne pouvait ignorer que la société demanderesse exploitait, depuis plusieurs années, le restaurant « La Vague d’Or » connu pour être une des plus prestigieuses tables de la Côte d’Azur. En mettant en demeure la demanderesse de ne plus poursuivre ses activités de restauration et d’hôtellerie sous ce nom, elle savait qu’elle la privait de la possibilité d’utiliser ce signe essentiel à son activité. De plus, la marque a été déposée pour les boissons alcoolisées et les services de restauration et d’hébergement temporaire, ce qui correspond aux activités exercées par la société demanderesse. Ces domaines d’activité s’éloignent très fortement de l’activité principale de la société défenderesse, soit, selon l'extrait Kbis, « Le conseil/consulting dans la propriété intellectuelle et de Cybersécurité. Achat et vente de brevets, marques et autres droits de propriété intellectuelle », ce qui démontre qu’elle n’avait aucunement l’intention d’utiliser ce signe dans la vie des affaires, mais seulement de nuire à l’activité commerciale de la demanderesse. Enfin, ce dépôt s’inscrit dans une continuité de demandes de marques présentées par la défenderesse, juste après son immatriculation, et correspondant à des noms d’hôtels1 et de restaurants connus. Il est ainsi établi que la marque La Vague d’Or a été déposée de manière frauduleuse.
TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 25 janv. 2024, Cheval Blanc St-Tropez SAS c. Corojac Group SASU, 23/02276 (M20240031)
1 Dans un jugement du même jour, le tribunal judiciaire de Paris a également fait droit à la demande en revendication de la propriété de la marque White 1921, déposée par la société Corojac Group et reprenant le nom de deux hôtels situés, respectivement, à Saint-Tropez et à Courchevel (TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 25 janv. 2024, Société d'exploitation hôtelière de Saint-Tropez SASU et al. c. Corojac Group SASU, 23/02277 ; M20240032).
Revendication de la copropriété des marques - Prescription quinquennale (non) - Dépôts frauduleux (oui)
L’action en revendication de la copropriété des neuf marques verbales et semi-figuratives en cause, comprenant toutes le terme « servistores », n’est pas soumise à la prescription quinquennale. La mauvaise foi du défendeur est démontrée, celui-ci ayant parfaitement connaissance, au jour du dépôt, de l’exploitation antérieure de ce signe par la société demanderesse. Il avait en effet entretenu avec son gérant d’étroites relations d’affaires depuis de nombreuses années. Ils avaient développé ensemble, au sein d’une entreprise dénommée « Servistores », une activité de fabrication et de commercialisation de stores. Puis, ils s’étaient réparti géographiquement la clientèle sur le territoire métropolitain, la moitié sud et la moitié nord, en créant chacun de son côté une société dont la dénomination sociale reprenait ce terme. C’est donc dans un contexte d’utilisation partagée du signe « servistores » depuis plus de dix ans que les marques litigieuses ont été déposées par le défendeur, lequel ne justifie pas de l’usage effectif de la plupart d’entre elles. Il les a ensuite opposées à la société demanderesse, après la rupture des relations contractuelles, en la mettant en demeure de ne plus utiliser sa dénomination sociale. L’action en revendication engagée par cette société est bien fondée. La fraude est en effet démontrée par l’absence de logique commerciale des dépôts litigieux et le souhait du défendeur de se ménager une position de blocage de nature à empêcher toute stratégie d’expansion de son ancien partenaire commercial.
TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 11 janv. 2024, Servistores Agence Sud SARL c. Servistores SARL et al., 22/01283 (M20240009)
Titularité des droits d’auteur sur un conditionnement (oui) - Protection par le droit d'auteur (oui) - Contrefaçon (oui)
En l’absence de revendication, par une société de design, des droits sur le conditionnement d'un jeu qui lui a été commandé par la société demanderesse, celle-ci bénéficie d’une présomption de titularité, l’existence d’actes d’exploitation non équivoques étant établie. Le conditionnement est protégeable au titre du droit d’auteur. Sur ses différentes faces figurent les dessins de quatre personnages en noir sur un fond bleu canard. L’usage de cette couleur, peu utilisée dans la vie quotidienne, permet en outre de mettre en évidence la marque et le texte qui présente les caractéristiques du jeu. Quand bien même chaque élément de cet emballage, pris isolément, ne refléterait pas un pouvoir créatif immense, leur agencement et le choix des couleurs constituent des combinaisons graphiques uniques. Par conséquent, le conditionnement révèle un effort de création et une recherche intellectuelle particulière. Les actes de contrefaçon sont caractérisés, le conditionnement litigieux constituant une copie servile de celui invoqué, peu important le fait qu’il soit de plus petite dimension.
CA Rennes, 3e ch. com., 23 janv. 2024, Futura Finances SAS c. EPSE Joué Club et al., 21/07485 (D20240004)
(Infirmation partielle TJ Rennes, 2e ch. civ., 2 juill. 2021)