Jurisprudence
Marques

Nullité partielle de la marque complexe L’OIGNON DE TREBONS - Risque de tromperie du consommateur sur la nature ou la composition de certains produits alimentaires, compte tenu de la réputation de l’oignon de Trébons

PIBD 1224-III-3
Décision INPI, 10 novembre 2023

Validité de la marque complexe - 1) Signe de nature à tromper le public (oui) - Provenance géographique, composition et nature des produits - 2) Signe consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure ou en reproduisant les éléments essentiels (non) - 3) Dépôt de mauvaise foi (non) - Connaissance de l’usage du signe antérieur - Intention de nuire - 4) Atteinte à une dénomination sociale antérieure (non) - Exploitation effective - Similarité des produits et activités - 5) Atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale (non)

Texte
Marque n° 4 839 700 de la Coopérative du Haricot Tarbais SCA
Texte

La marque complexe contestée L’OIGNON DE TREBONS, désignant des produits alimentaires et des produits agricoles, horticoles, forestiers et graines (classes 29, 30 et 31), fait l’objet d’une demande en nullité fondée sur trois motifs absolus et deux motifs relatifs de nullité.

Seul le motif fondé sur le caractère trompeur de la marque est accueilli (article L.711-2-8°) du CPI).

Ce motif s’apprécie au jour du dépôt de la marque, au regard des produits désignés dans l’enregistrement, étant précisé qu’« une marque est nulle lorsqu'elle est en elle-même susceptible de tromper le public sur l'une des caractéristiques des produits désignés dans son enregistrement, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération les conditions de son exploitation, qui n'intéressent que la déchéance ultérieure des droits qui lui sont attachés »[1]. Ainsi, le fait que le titulaire de la marque contestée s’approvisionne en semence d’oignon Hourcadère (type Trébons) auprès du mainteneur de la variété Hourcadère et le fait que ses producteurs soient situés dans la région historique de production des oignons de Trébons sont sans incidence sur l’appréciation du caractère déceptif de la marque au jour de son dépôt.

La marque contestée contient notamment les éléments verbaux « L’oignon de Trébons ». Les pièces fournies permettent de démontrer qu’au jour de son dépôt, il existait une certaine réputation du type d’oignon provenant de cette commune. Dès lors, le signe contesté peut, aux yeux du public pertinent, désigner la nature ou la composition de produits susceptibles de consister en de l’oignon de cette variété originaire de Trébons ou d’être composés d’oignon de cette variété originaire de Trébons. La marque est ainsi de nature à tromper le public sur la composition des « gelées ; confitures ; compotes ; conserves de viande ; conserves de poisson ; conserves de pâtes alimentaires ; conserves de fruits de mers ; croquettes alimentaires ; potages ; soupes précuites ; plats cuisinés à base de viande, plats cuisinés à base de légumes, plats cuisinés à base de poissons, ; salades préparées ; plats préparés à base de pâtes alimentaires, plats préparés à base de riz ;sauces (condiments) ; sandwiches ; pizzas ; crêpes (alimentation) » ne précisant pas la mention « étant composés d’oignon de Trébons », et de nature à tromper le public sur la nature des « Légumes conservés ; légumes surgelés ; légumes séchés ; légumes cuits ; Produits agricoles, horticoles ; graines ; semences de plantes, plantes ; légumes frais » ne précisant pas la mention « étant de l’oignon de Trébons ».

En revanche, le demandeur n’établit pas que le consommateur serait à même d’attendre une caractéristique particulière des autres produits visés, sans lien avec l’oignon de Trébons. La demande de nullité est rejetée à leur égard.

La demande sur le fondement d’une marque consistant ou reproduisant la dénomination d’une variété végétale antérieure est également rejetée. Selon l’article L. 711-2 10° du CPI, une marque est susceptible d’être déclarée nulle si elle consiste en la dénomination d'une variété végétale antérieure enregistrée, ou la reproduit dans ses éléments essentiels, si elle porte sur des variétés végétales de la même espèce ou d’une espèce étroitement liée. En l’espèce, le demandeur fait valoir la dénomination « Hourcadère », enregistrée pour une variété d’oignon jaune. Toutefois, cette dénomination n’est pas reprise en tout ou partie ni reproduite dans ses éléments essentiels dans la marque contestée.

La mauvaise foi du titulaire de la marque contestée n'est pas établie. Ce motif tiré de nullité est susceptible d’être retenu lorsqu’il ressort « d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine »[2]. À ce titre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que pouvait notamment constituer un facteur pertinent de la mauvaise foi, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire pour des produits et/ou services identiques ou similaires, prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est contesté[3].

En l’espèce, le demandeur, qui invoque notamment l’usage antérieur de la dénomination « l’oignon de Trébons » figurant dans sa raisons sociale « Comité de l’oignon de Trébons » établit que le titulaire de la marque contestée en avait nécessairement connaissance, au jour du dépôt de la marque litigieuse.

Toutefois, cette circonstance ne suffit pas à elle seule pour démontrer l’existence de la mauvaise foi du déposant. Le demandeur ne prouve pas l’intention du titulaire de porter atteinte d’une manière non conforme aux usages honnêtes, à ses intérêts.

D’une part, le seul fait qu'il ait pu commercialiser ou envisager de commercialiser des oignons de Trébons provenant de ses producteurs, ne saurait suffire à démontrer son intention de nuire aux intérêts du demandeur, ce dernier n’apportant aucun autre élément de nature à étayer ses affirmations.

D’autre part, si les marques utilisées antérieurement par le demandeur n’ont pas été renouvelées en 2019 et ont donc expiré, le seul fait que le titulaire de la marque contestée ait déposé la marque en février 2022 n’est pas suffisant pour démontrer son intention malhonnête, en l’absence de tout autre élément objectif démontrant la réalité de ces allégations.

Enfin, il ne ressort pas des éléments produits par le demandeur que le titulaire de la marque contestée l’a déposée dans le but de mettre en place une position de blocage susceptible de nuire aux intérêts des tiers, ce dernier ne revendiquant pas une protection uniquement sur les termes « L’oignon de Trébons doux & sucré » mais sur l’association de ces termes à une présentation particulière en couleurs, sur plusieurs lignes, accompagnée d’éléments graphiques. Ainsi, il n’est pas démontré par le demandeur que le dépôt de la marque contestée s’inscrit dans une stratégie visant à détourner la finalité du droit des marques et à empêcher la concurrence d’en faire usage. Le motif de nullité tiré de la mauvaise foi est donc rejeté.

La demande en nullité de la marque complexe est également fondée sur l’existence d’un risque de confusion avec la raison sociale antérieure Comité de l’oignon de Trébons.

En premier lieu, ce risque de confusion doit être apprécié au regard des activités effectivement exercées sous la dénomination sociale et ce, tant au jour du dépôt de la marque contestée qu’au jour où l’INPI statue. Il ressort des observations du demandeur et des pièces communiquées en l’espèce que la raison sociale invoquée "Comité de l’oignon de Trébons" était exploitée antérieurement au dépôt de la marque contestée pour des activités de « promotion de l’oignon de Trébons ».

En second lieu, le demandeur n’établit aucun lien ni ne fournit aucune argumentation de nature à justifier la similarité des produits contestés et des activités invoquées, laquelle n’apparait pas à l’évidence. Dès lors, il ne permet pas à l’INPI de procéder à une quelconque comparaison, ce dernier ne pouvant se substituer au demandeur pour mettre les produits et activités invoquées en relation les uns avec les autres, d’où il résulte qu’aucun risque de confusion entre les signes invoqués ne peut être établi pour les produits contestés.

Enfin, le demandeur invoque l’atteinte au nom, à l’image ou à la renommée de la commune de Trébons. Toutefois, en application de l’article L. 716-2, II 7° du CPI , la demande en nullité de marques sur le fondement de l'article L. 711-3-1 9°) qui vise l’atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale, ne peut être introduite que par les seuls titulaires de ces droits antérieurs. En l'espèce, la demande en nullité est formée par le Comité de l’oignon de Trébons, qui est une association, et non une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale agissant sur le fondement d’une atteinte à son nom, son image ou à sa renommée. Ce motif de nullité est donc rejeté.

Décision INPI, 10 novembre 2023, NL 23-0020 (NL20230020 ; Propr. industr., avr. 2024, comm. 25, J. Tassi)

[1] Cass. com., 15 mars 2017, Société Fermière du Château Léoville Poyferré et al. c. Olivier P et al., 15-19.513 et 15-50.038 (M20170145 ; PIBD 2017, 1070, III-284 ; D. IP/IT, juill.-août 2017, p. 403, Y. Basire ; Propr. industr., sept. 2017, p. 25, J. Cayron ; Légipresse, 354, nov. 2017, p. 575, Y. Basire ; Propr. intell., 66, janv. 2018, p. 70, J. Canlorbe).

[2] CJUE, 4e ch., 29 janv. 2020, Sky PLC, C -371/18 (M20020025 ; PIBD 2020, 1139-III-3 ; Propr. industr., févr. 2020, p. 18, A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., mai 2020, étude 12, V. Ruzek et A. Folliard-Monguiral).

[3] CJUE, 1re ch., 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, C-529/07 (M20090290 ; PIBD 2009, 900, III-1225 ; D., 35, 15 oct. 2009, p. 2396,  T. Lancrenon ; Propr. industr., sept. 2009, p. 29, A. Folliard-Monguiral).