Jurisprudence
Brevets

Partage de responsabilité entre un cabinet de conseils en propriété industrielle et son client du fait de l’annulation d’un contrat de licence de brevet pour une erreur commise sur l'identité du concédant

PIBD 1211-III-2
Cass. com., 28 juin 2023

Recevabilité de l’action en responsabilité contractuelle - Prescription - Point de départ du délai - Réalisation ou connaissance du dommage résultant d’une condamnation judiciaire

Responsabilité contractuelle du mandataire - Rédaction d’un contrat de licence de brevet - Décision judiciaire - Annulation du contrat pour tromperie sur l’identité du concédant - Faute du titulaire du brevet - Négligence - Dol - Faute du mandataire - Partage de responsabilité - Dommage subi - Lien de causalité

Texte

Le cabinet de conseils en propriété industrielle qui est poursuivi en responsabilité contractuelle avait été chargé, par le demandeur, de procéder pour son compte au dépôt d'un brevet français, puis de rédiger une convention de licence non exclusive d'exploitation de ce brevet. Dans le cadre d'une action en paiement des redevances formée à l’encontre de la société licenciée, la convention a été annulée au motif que le concédant mentionné était une société n’ayant aucune existence légale. Le titulaire du brevet exerçait en effet son activité en son nom propre, et non sous la forme d'une EURL. Il a donc été débouté de ses demandes dans ce litige et condamné à verser à la licenciée des dommages-intérêts.

La cour d’appel a jugé recevable l’action en responsabilité contractuelle formée par le titulaire du brevet à l’encontre du cabinet de conseils et a retenu un partage de responsabilité à hauteur de 70 % pour celui-ci et de 30 % pour le titulaire en raison de leurs fautes respectives. Le cabinet a été condamné à payer à ce dernier une certaine somme du chef des redevances perdues, tenant compte de cette répartition. En revanche, s’agissant du dommage subi par le titulaire du brevet du fait de sa condamnation au paiement de dommages et intérêts, la cour d’appel a jugé que le lien de causalité entre la faute reprochée au cabinet et le préjudice allégué n'était pas démontré.

C’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que l’action en responsabilité n’était pas prescrite. Elle a d’abord énoncé que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime si elle n'en avait pas connaissance. Elle a ajouté que lorsque le dommage résulte d'une condamnation judiciaire, celui-ci n'est constitué que par la décision de condamnation. Elle a ensuite retenu que les dommages dont se plaignait le titulaire du brevet, à savoir, essentiellement, la perte des redevances et les dommages et intérêts qu’il a été condamné à verser, n'ont été définitivement connus qu'à la suite de la décision de justice rendue en appel. Elle a ainsi fait ressortir que la négligence du demandeur, quant à l’identité du titulaire du brevet indiquée dans le contrat de licence, n'emportait pas connaissance des conséquences dommageables susceptibles de résulter de la mention erronée, lesquelles ne se sont manifestées définitivement que par les condamnations prononcées contre lui et le rejet de ses prétentions sur les redevances.

Il est encore fait grief à la cour d’appel d’avoir limité le montant des dommages et intérêts mis à la charge du cabinet de conseils et d'avoir rejeté une partie de ses demandes.

Cependant, en premier lieu, la cour d'appel a retenu que le cabinet, qui propose des services de conseil juridique et de rédaction d'actes sous seing privé en matière de propriété industrielle, engageait sa responsabilité contractuelle en cas de faute, en sa qualité de rédacteur de la convention de licence de fabrication et de distribution du brevet qui a été déposé par ses soins. Ainsi, il lui appartenait de solliciter un extrait K bis pour s'assurer de l'identité du donneur de licence et, le cas échéant, de rectifier la demande de brevet qui était entachée d'une erreur matérielle relative à l’identité du déposant. Les contradictions figurant dans la fiche de lancement de la prestation « technologique réseau » – le demandeur ayant indiqué qu'il exerçait en son nom propre tout en mentionnant l'existence d'une entreprise –, étaient de nature à alerter le cabinet sur la forme sociale sous laquelle son client, non juriste, exerçait son activité. La cour d’appel en a déduit qu'une faute avait été commise dans le fait de rédiger un contrat au nom d'une EURL qui n'avait aucune existence légale. Elle a également retenu que la lecture attentive de la convention par le demandeur aurait dû attirer son attention sur le fait qu'il n'exerçait pas son activité sous cette forme sociale. Même sans être juriste, il ne pouvait ignorer ne pas avoir effectué les démarches nécessaires à la création d'une telle société, de sorte qu'il avait lui-même commis une faute conduisant à un partage de responsabilité. En ayant ainsi fait ressortir que le demandeur avait contribué, par sa négligence, à causer le dommage dont il demandait réparation, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait.

En second lieu, la cour d’appel a relevé que, dans le litige opposant le titulaire du brevet à la société licenciée, les juges ont retenu qu'il y avait eu tromperie de la part du demandeur qui s'était prétendu gérant d'une EURL qui n'existait pas, et qu'il ne s'agissait pas uniquement d'une erreur matérielle. Les juges l’ont donc condamné à payer à cette société des dommages et intérêts pour préjudice moral et financier. En ayant ainsi fait ressortir que, dans ses relations avec la société licenciée, le demandeur avait commis une faute intentionnelle, la cour d'appel a pu en déduire que seul son comportement était à l'origine du préjudice que la licenciée avait subi, dont il lui devait réparation sans pouvoir se retourner contre le cabinet de conseils.

Cour de cassation, ch. com., 28 juin 2023, 21-23.123 (B20230033)
M. [M] [H] c. X
(Rejet recours c. CA Lyon, 1re ch. civ. B, 4 mai 2021, 19/07122 ; B20210031 ; PIBD 2021, 1167, III-2)