Jurisprudence
Marques

Résiliation du contrat de licence de la marque chinoise CHRISTIAN LACROIX pour manquement du concédant à son obligation de jouissance paisible

PIBD 1213-III-4
CA Paris, 26 mai 2023

Validité du contrat de licence de la marque étrangère (oui) - 1°) Réticence dolosive (non) - Information déterminante - Procédure en nullité de la marque - 2°) Absence de contrepartie (non) - 3°) Déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (non)

Résiliation du contrat de licence aux torts du concédant (oui) - Manquement à ses obligations contractuelles - Jouissance paisible - Titre en vigueur - Manquement par le licencié à ses obligations contractuelles justifié

Préjudice du licencié - Restitution des redevances (non) - Préjudice moral (oui)

Texte
marque n° 310 733 de la société Christian Lacroix SNC
Texte

Les parties au litige ont conclu un contrat de licence de la marque CHRISTIAN LACROIX, enregistrée en Chine, pour la distribution de produits cosmétiques sur cinq sites de e-commerce chinois. La licence était soumise au respect, par le licencié, de la date de mise en circulation des produits et du paiement d'une redevance proportionnelle à la valeur nette des ventes, moyennant un minimum garanti d'un montant variable chaque année.

Compte tenu des difficultés pour tenir le délai convenu, les parties ont signé un avenant repoussant la date de première mise en circulation des produits de maquillage. Le montant du minimum garanti a également été augmenté. Le licencié a cependant fait valoir des difficultés techniques et financières dans la réalisation de ces nouveaux objectifs, se traduisant en particulier par des retards qu'il a imputés au concédant et qui auraient ralenti le développement des produits sous licence. Après avoir mis en demeure le licencié de s’acquitter de la somme impayée, le concédant l’a assigné devant le tribunal de commerce en demandant la résiliation du contrat de licence à ses torts exclusifs.

La demande de nullité du contrat et de son avenant, formée par le licencié, est rejetée. Celui-ci prétend que son consentement a été vicié par dol au moment de la signature du contrat. Il relève également l’absence de contrepartie à l'exécution de ses obligations, l'exploitation de la marque en Chine pour les produits sous licence étant impossible.

Constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. La réticence dolosive du concédant n'est pas caractérisée en l’espèce. Certes, il n'a pas informé le licencié de la décision de l'office chinois de la propriété intellectuelle invalidant la marque CHRISTIAN LACROIX pour défaut d’usage, ni de la procédure de recours contre cette décision devant le tribunal de la propriété intellectuelle de Pékin. Néanmoins, l'information concernant la décision de l'office chinois avait été publiée et était donc disponible et accessible pour le licencié au moment de la signature du contrat de licence. De plus, la marque a pu faire l’objet d’un renouvellement (publié après la signature du contrat et avant celle de l’avenant). Par ailleurs, la décision du tribunal de Pékin rejetant le recours formé par le concédant est postérieure à la date de conclusion du contrat de licence. Si cette décision est antérieure, de quelques semaines, à la date de signature de l'avenant, aucun élément ne vient établir que le concédant en avait connaissance à cette date. Et cette décision est susceptible de recours. En conséquence, il n'est pas démontré que le concédant a intentionnellement gardé le silence sur la procédure de révocation pour non-usage de la marque chinoise pour tromper le licencié et le déterminer à conclure le contrat de licence.

Le contrat n’est pas non plus nul, au sens de l’article 1169 du Code civil, pour absence de contrepartie en raison de sérieux obstacles à l'exploitation de la marque CHRISTIAN LACROIX. La contrepartie du versement, par le licencié, des minimums garantis et des redevances était le droit d'exploiter la marque pour des produits cosmétiques sur cinq sites de e-commerce chinois. Le fait qu'un autre licencié existe sur ces plateformes pour les produits horlogers ainsi que la supposée mauvaise gestion par le concédant de ses licenciés, qui a pu être constatée après la conclusion du contrat, ne rendent pas nul le contrat de licence pour absence de contrepartie au moment de sa formation.

Enfin, le licencié invoque, comme cause de nullité du contrat, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties[1]. Or, il n'est pas établi que le concédant a soumis ou tenté de soumettre le licencié à un tel déséquilibre. Le licencié, qui est à l'origine du rapprochement entre les parties, a demandé au concédant de signer le contrat le plus vite possible pour pouvoir lancer le produit le jour du « Singles’ Day » en Chine. Son grand intérêt pour distribuer en Chine des produits sous licence CHRISTIAN LACROIX est confirmé par un courriel ultérieur qui indique qu’il souhaite « continuer l'aventure » malgré les difficultés rencontrées, ce qui aboutira à la signature de l’avenant. En conséquence, il ne résulte pas des éléments fournis aux débats que le licencié était, au moment de la conclusion du contrat, en position de dépendance par rapport au concédant et contraint de conclure avec lui une licence de marque. Il n’est pas démontré en effet que le concédant lui aurait imposé ou tenté d'imposer des obligations injustifiées et non réciproques du fait de l'existence d'un déséquilibre de rapport de force entre les parties.

Le contrat de licence est résilié aux torts du concédant, et non aux torts du licencié comme jugé en première instance. Les griefs soulevés par le licencié tenant à l'impossibilité d'effectuer la commercialisation sur les canaux de distributions e-commerce, au problème de délais et à l'absence de contrôle de la communication sur la marque en Chine ne peuvent pas être retenus comme des manquements par le concédant à ses obligations contractuelles ou comme caractérisant de sa part une exécution de mauvaise foi du contrat. Le licencié ne peut pas non plus invoquer le rejet du prototype de rouge à lèvre qu'il avait soumis au concédant, alors que ce dernier, après analyse de l'échantillon, a considéré qu’il n'était pas assez qualitatif. En effet, le contrat prévoyait que le licencié s'engageait à réaliser des produits qui respectent des critères de haute qualité et que les produits seraient approuvés par écrit par le concédant ou refusés à son entière discrétion.

Toutefois, la marque chinoise CHRISTIAN LACROIX n'était plus en vigueur suite à la décision du tribunal de Pékin statuant sur le recours formé contre la décision de l'office chinois. Aussi, il existait, compte tenu des procédures en cours, une incertitude quant aux droits du concédant sur la marque en Chine. Celui-ci n'en a pas informé son licencié alors que ce dernier s'inquiétait du renouvellement de la marque. Il en résulte que le concédant n'a pas assuré une jouissance paisible de la marque concédée au licencié, en contravention des dispositions du contrat de licence qui disposait que « le concédant déclare et garantit expressément bénéficier des droits nécessaires pour consentir au licencié les droits de licence au titre des présentes ».

Il ne peut donc être reproché au licencié de ne pas avoir respecté la date de première mise en circulation des produits. De plus, le manquement du concédant, qui porte sur la marque objet du contrat de licence, est suffisamment grave pour justifier l'absence d'exécution par le licencié de son obligation de paiement du minimum garanti prévu au contrat.

Les prestations échangées ayant trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution des minimums garantis déjà versés en exécution du contrat de licence et qui sont stipulés comme définitivement acquis. En revanche, le manquement du concédant cause au licencié un préjudice moral, celui-ci ayant noué en vain des accords avec des partenaires en Chine en vue de la commercialisation des produits cosmétiques sous licence.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, 22/00631 (M20230119 ; LEPI, 9, oct. 2023, p. 5, J.-P. Clavier)
CLC Group SAS c. Christian Lacroix SNC
(Infirmation T. com. Paris, 19e ch., 10 nov. 2021, 2019071660)

[1] Art. L. 442-1, I, 2° du Code du commerce.