Doctrine et analyses
Comptes rendus

Rien à déclarer ?

PIBD 1167-II-1
Déclaration d'un brevet essentiel à une norme au Royaume-Uni

d’après l’article de Richard Fawcett* : Anything to declare?, in IPM, septembre 2021, p. 56-57

Texte

Le titulaire d’un brevet essentiel à une norme (BEN) a-t-il tardé à déclarer son brevet au groupe de normalisation ? Une cour anglaise juge que non.

Apple a été accusé de contrefaire un brevet essentiel à une norme (affaire Optis c. Apple). À l’origine, ce brevet avait été obtenu par Ericsson qui avait participé, en 2008, à l’élaboration de la norme LTE, dans le cadre des travaux de normalisation de l’ETSI1, et plus particulièrement du 3GPP2. Lors d’une action en justice contre Huawei, le brevet avait été reconnu essentiel à la norme LTE par la High Court.

Apple a fait valoir que lors de l’élaboration de la norme LTE, Ericsson n’avait pas déclaré à l’ETSI qu’il avait déposé une demande de brevet portant sur la solution technique qu’il proposait au groupe de normalisation. Ericsson n’a fait cette déclaration que près de 18 mois après le gel de la release de la norme LTE.

Apple a invoqué le moyen de défense de l’estoppel de propriété (proprietary estoppel3) au motif qu’Ericsson n’avait pas respecté les règles de l’ETSI relatives aux déclarations de DPI et que les autres membres du groupe de normalisation pouvaient présumer l'absence de demande de brevet. Selon lui, les participants au groupe de normalisation avaient été privés de l’occasion de proposer une autre solution technique qui aurait été libre de droits. On leur a assuré qu’aucune demande de brevet n’était pendante et qu’il n’y avait donc pas de raison de refuser la solution technique proposée par Ericsson.

Pour que le moyen de défense de l’estoppel de propriété soit accepté, il fallait qu’Apple démontre qu’Ericsson avait fait une promesse, que l’autre partie comptait sur cette promesse et que cette confiance avait eu des conséquences préjudiciables. Le juge Meade a rejeté ce moyen de défense.

Selon le juge, les participants au groupe de normalisation souhaitaient avant tout adopter la meilleure solution technique, indépendamment de l’existence d’un brevet. Même si Ericsson avait déclaré sa demande de brevet très tôt, les participants n'auraient probablement pas refusé d'adopter sa solution technique.

D’autre part, le juge a estimé que bien qu’Ericsson ait tardé à faire sa déclaration, son comportement n’était pas différent de celui de la plupart des participants aux groupes de normalisation de l’ETSI. En effet, il est d’usage pour les participants d’attendre la version gelée pour faire leur déclaration. Ce retard s’explique notamment par le fait que les demandes de brevet sont souvent sujettes à des modifications durant la procédure de délivrance. Parallèlement, les normes continuent d’évoluer jusqu’à ce qu’elles soient gelées. Il est donc difficile pour les déposants de juger de manière définitive du caractère essentiel de leur brevet vis-à-vis de la norme en préparation.

Le retard de déclaration étant l’usage, le juge a considéré que les participants devaient partir du principe que toutes les solutions techniques proposées étaient susceptibles d’être couvertes par une demande de brevet non déclarée. Selon cette logique, Ericsson n’a fait aucune promesse relative à la non-existence d’une demande de brevet.

Par ailleurs, le juge a examiné les exigences de l’ETSI en matière de déclaration des DPI. S’il est demandé aux participants de déclarer leurs brevets de façon précoce, cette exigence doit être interprétée dans le contexte de la politique de l’ETSI, a conclu le juge.

Ce jugement peut sembler une bonne nouvelle pour les titulaires de BEN. Cependant, les déclarations tardives de BEN ne sont pas sans conséquences. À cet égard, l’auteur relaie les recommandations de la Commission européenne4 visant à assurer davantage de transparence en la matière.

* Powell Gilbert.

1 Institut européen des normes de télécommunication.

2 3rd Generation Partnership Project.

3 « [...] l'estoppel de propriété (proprietary estoppel) empêche une des parties de revenir sur une promesse ou une déclaration et la force à s’y conformer, ce qui revient à donner à celui qui a agi sur la foi de cette promesse, un droit réel, alors même qu’aucun contrat n’a été conclu, et qu’aucun transfert n’a eu lieu » (Gérard CHOUQUER, Termes et expressions du droit foncier anglais (common law et equity), France Internationale pour l’Expertise Foncière (FIEF), 3e édition revue et augmentée, mai 2018) http://serveur.publi-topex.com/EDITION.pdf

4 Définition de l'approche de l'Union en ce qui concerne les brevets essentiels à des normes.

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