d’après l’article de Sukanya Sarkar : Counsel split after Delhi court says patent law trumps antitrust statute, in MIP, 19 juillet 2023
Cet article relate l’accueil contrasté que les conseils ont réservé à une décision de la High Court de Delhi concernant la compétence de la Commission indienne de la concurrence (CCI).
La CCI a examiné les pratiques d’Ericsson et de Monsanto, le premier étant accusé d’accorder des licences non FRAND, le second d’imposer des redevances trop élevées et de ne pas donner accès à ses brevets à des conditions raisonnables. Monsanto et Ericsson ont contesté la compétence de la CCI en matière de brevets.
La High Court de Delhi leur a donné raison en jugeant que la loi sur les brevets primait sur la loi sur la concurrence, la loi sur les brevets étant une loi dite « spéciale ». Selon la Cour, la primauté de la loi sur les brevets vient également du fait que les dispositions qu’elle contient sur les conditions non raisonnables d’octroi de licence et sur l’abus de la position de breveté sont entrées en vigueur après la loi sur la concurrence.
Cette décision signifie que la CCI ne peut plus examiner d’éventuels comportements anticoncurrentiels de la part de titulaires de brevets. Les parties s’estimant victimes de pratiques anticoncurrentielles n’ont désormais plus que le recours à la licence obligatoire, dont la demande s’effectue auprès de l’Office de la propriété intellectuelle.
Si les titulaires de brevets se félicitent de cette décision, les avis parmi les conseils sont plus partagés.
Ceux qui accueillent favorablement la décision de la High Court rappellent que la procédure devant la CCI était souvent utilisée comme un moyen de pression pour contrer une action en contrefaçon. Cette pression était d’ailleurs double puisque la technologie brevetée pouvait continuer à être utilisée sans qu’aucune redevance ne soit versée, dans l’attente de l’issue de la procédure sur le comportement anticoncurrentiel présumé.
De plus, les procédures devant la CCI étaient généralement longues. Certains rapportent que dans le secteur des télécommunications, la CCI n’a jamais été capable de rendre une décision avant que les parties ne passent un accord amiable mettant fin au litige.
Certains conseils jugent au contraire irréaliste que la licence obligatoire soit désormais la seule option. En effet, l’histoire montre que les licences obligatoires sont difficiles à obtenir. La seule licence obligatoire accordée en Inde l’a été en 2012.
Selon la loi sur les brevets, le demandeur de la licence obligatoire doit démontrer que les besoins raisonnables du public ne sont pas satisfaits, ou que le brevet n’est pas exploité en Inde, ou que le produit breveté n’est pas disponible à un prix raisonnable. Les brevets essentiels étant soumis à des conditions FRAND, il est difficile de démontrer que l’invention n’est pas disponible à un prix raisonnable. De plus, si des concurrents du demandeur ont pris des licences et qu’ils utilisent le produit breveté, le demandeur aura du mal à faire valoir que les besoins raisonnables du public ne sont pas satisfaits.
Pour un autre conseil, le conflit entre la loi sur les brevets et la loi sur la concurrence n’est pas aussi tranché. Les procédures de concurrence ne reposent jamais exclusivement sur des brevets. Les brevets sont une des armes utilisées dans les pratiques anticoncurrentielles. Selon ce conseil, la décision de la High Court n’empêchera pas les parties de saisir la CCI pour pratiques anticoncurrentielles dans des affaires de brevets. Il faudra simplement que le demandeur s’efforce de séparer les questions de concurrence de celles concernant les brevets.
D’autres sont plus sévères et considèrent que la Cour s’est contentée d’une interprétation littérale des lois sans tenir compte de l’intention du législateur.
Un conseil rappelle que la CCI n’examine pas la relation entre le concédant et le preneur de licence mais plutôt les effets que cette relation a sur le marché. L’évaluation du besoin de la disponibilité du brevet contre la volonté du titulaire diffère entre la loi sur les brevets et la loi sur la concurrence. On pouvait donc laisser les choses en l’état.
Ce conseil renvoie à la jurisprudence de la Cour suprême indienne qui a opté pour une interprétation harmonieuse en cas de conflit de compétence entre deux autorités, comme le montre sa décision dans l’affaire CCI c. Bharti Airtel. Dans la présente affaire, la compétence de la CCI est complètement exclue, ce que le conseil juge déraisonnable et pas tenable. Il pense que cette décision serait infirmée si l’affaire était portée devant la Cour suprême.
Si cela était, la victoire des titulaires de brevets pourrait bien être éphémère.
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