Jurisprudence
Marques

Validité de la marque verbale ST BARTH’ qui n’est pas descriptive de la provenance géographique des produits désignés - Contrefaçon par la marque semi-figurative FEEL SAINT BARTH COSMETICS FROM PARADISE

PIBD 1212-III-5
CA Paris, 16 juin 2023

Validité de la marque (oui) - Nom géographique - Abréviation - Caractère distinctif - Désignation nécessaire ou générique - Caractère descriptif - Caractère déceptif - Provenance géographique

Déchéance partielle de la marque (oui) - Usage sérieux - Preuve non pertinente - Revue en langue étrangère

Action en contrefaçon - Recevabilité du licencié exclusif (non)

Contrefaçon de la marque (oui) - Faits antérieurs à la déchéance - Similarité des produits - Clientèle - Circuits de distribution - Imitation - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Adjonction de mots et d’une partie figurative - Nom géographique - Abréviation - Élément distinctif et dominant - Impression d’ensemble - Risque de confusion ou d’association - Annulation partielle de la marque postérieure

Action en concurrence déloyale - Recevabilité du titulaire de la marque (non) - Intérêt à agir - Absence d’exploitation commerciale - Recevabilité du licencié exclusif (oui)

Concurrence déloyale à l'égard du licencié exclusif (oui) - Actes de contrefaçon constituant des actes de concurrence déloyale - Dépôt de marque non fautif

Texte
Marque n° 1 287 817 de M. [S]
Marque n° 4 095 847 de la société Feel
Texte

La marque verbale ST BARTH’, déposée en 1984, est valable pour désigner les savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices, tabac et articles pour fumeurs. Il convient de se placer au jour du dépôt pour apprécier la validité de la marque. La loi applicable au litige est donc celle du 31 décembre 1964. La seule pièce versée aux débats retenue comme pertinente au regard de sa date est constituée de plusieurs articles de presse qui nomment les anciens marins bretons et normands habitant l’île de Saint-Barthélemy, les « Saint Barths », et très exceptionnellement l’île elle-même, « Saint Barth ». Elle ne peut donc pas suffire à justifier, à la date de dépôt de la marque, d'un usage de ce signe qui serait usuel et connu des consommateurs des produits visés.

Le signe litigieux n’est pas la désignation nécessaire ou générique de ces produits. Les termes « ST BARTH » n'indiquent pas davantage une quelconque qualité des produits, telle leur provenance géographique, aucun élément ne venant établir que l’île de Saint-Barthélemy est connue du public pour des produits d'hygiène ou de beauté ou des produits du tabac, ou pour la composition de ces produits. De plus, le signe litigieux n’a pas pour objet ou effet de tromper le public sur leur provenance, les produits étant commercialisés par une société dont l'activité se situe sur l'île de Saint-Barthélemy.

En vertu de l'article L. 716-4-2 du Code de la propriété intellectuelle[1], la société demanderesse peut, en sa qualité de licenciée exclusive, agir en contrefaçon avec l'accord du titulaire de la marque ou dans le cas de l’inaction de ce dernier, préalablement mis en demeure d’agir. Cependant, elle n'est pas recevable à agir et à demander réparation pour son compte lorsque le titulaire agit par lui-même, comme c’est le cas en l’espèce.

L’usage de la marque semi-figurative FEEL SAINT BARTH COSMETICS FROM PARADISE constitue un acte de contrefaçon de la marque verbale ST BARTH’. Les trois termes « FEEL SAINT BARTH » du signe contesté apparaissent comme très visibles – écrits en gros caractères et encadrés par un carré noir – alors que l'élément figuratif et les termes « COSMETICS FROM PARADISE » écrits au-dessous en petits caractères n'attirent pas l'attention. Les termes « SAINT BARTH » sont distinctifs pour les produits visés. Si le signe contesté est plus long que la marque invoquée, les termes « SAINT BARTH » sont communs et l'accent sera mis sur ces termes, dés lors que le mot « FEEL » (« sentir » en anglais) ne retiendra pas l'attention et que les termes « COSMETICS FROM PARADISE », peu signifiants, seront omis. Conceptuellement, les éléments communs renvoient désormais, et en tout cas depuis la date des faits litigieux, à l'île de Saint-Barthélemy. Ils constituent les termes dominants des deux signes concernés car inscrits dans le signe contesté en lettres très importantes, et apparaissent comme arbitraires au regard des produits visés.

L'élément graphique et les termes « FEEL » et « COSMETICS FROM PARADISE » du signe contesté ne font pas perdre aux éléments communs leur caractère dominant. De même, la présence d'une apostrophe dans la marque invoquée n'est pas de nature à différencier les signes en présence, ni à éviter leur confusion. Par conséquent, le public pertinent sera amené à confondre les signes ou à les associer en pensant que la marque seconde constitue une déclinaison de la marque antérieure. Ainsi, le risque de confusion, au regard de l’impression d’ensemble produite par les signes en présence, doit être retenu. En conséquence, la nullité partielle de la marque FEEL SAINT BARTH COSMETICS FROM PARADISE est prononcée pour les produits identiques ou similaires à ceux de la marque ST BARTH’.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 16 juin 2023, 21/04467 (M20230086)
Feel SAS (anciennement dénommée Feel Saint Barth) c. Ligne St Barth SAS et M. [K] [S]
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 4 déc. 2020, 19/06315)

[1] Concernant cette nouvelle disposition relative, notamment, à la recevabilité des licenciés à agir en contrefaçon d’une marque et qui a été introduite dans le Code de la propriété intellectuelle suite à la réforme du Paquet Marques, se reporter à la note de Madeleine Bigoy publiée au PIBD 2022, 1186, III-5.