Jurisprudence
Marques

Commercialisation d’une gamme de bijoux, reprenant le motif de trèfle à 4 feuilles emblématique d’un joaillier de luxe, non constitutive de concurrence parasitaire - Exploitation d’une marque selon les usages loyaux du commerce

PIBD 1212-III-4
CA Paris, 23 juin 2023

Concurrence parasitaire (non) - Risque d’association - Preuve - Réseau social - Volonté de s'inscrire dans le sillage d'autrui - Volonté de profiter des investissements d’autrui - 1°) Imitation du produit et de la gamme - Produit phare - Luxe - Notoriété - Commercialisation des produits litigieux - Dépôt d’une marque figurative - Exploitation conforme aux usages loyaux du commerce - Banalité - Tendance de la mode - Couleur, matière et dimension des produits - Prix de vente inférieur - 2°) Imitation de la publicité - Thème commun 

Texte

Le modèle de bijou invoqué, créé en 1968 et exploité de manière continue depuis 1969, est constitué d'un trèfle à quatre feuilles, parfaitement symétrique, en pierre dure semi-précieuse, entouré d'un contour en métal précieux perlé ou lisse. Ce modèle est un produit emblématique et notoire de la marque VAN CLEEF & ARPELS, tout comme la collection dans laquelle il est décliné, composée de divers bijoux, tels des colliers, bagues, bracelets ou boucles d'oreilles portés par de nombreuses personnalités et rencontrant un grand succès commercial.

Les sociétés en charge de la commercialisation en France et de la communication relative à cette gamme de bijoux de luxe font grief aux sociétés défenderesses d’avoir commis des actes de concurrence parasitaire en commercialisant une collection de bijoux dont certains utilisent un même motif de trèfle quadrilobé. Elles leur reprochent également d’avoir repris les mêmes codes de communication publicitaires[1] et la même politique
de prix.

Les sociétés défenderesses ont acquis leur notoriété dans le domaine des malles de voyage et de la maroquinerie de luxe depuis la fin du XIXe siècle. La toile monogrammée qu'elles utilisent pour confectionner ces articles, composée de sigles LV entrelacés et de motifs floraux à quatre pétales, est devenue un véritable signe de reconnaissance. Elles ont diversifié leur activité de la maroquinerie vers l'habillement, puis la joaillerie et enfin le parfum. Dans le cadre de ces nouvelles activités, elles reprennent les dessins de la toile monogrammée, notamment dans leurs collections de bijouterie, depuis de nombreuses années.

L’une des sociétés défenderesses fait valoir qu’elle est titulaire d’une marque figurative déposée en 1996 et enregistrée pour désigner des bijoux, constituée du dessin d’une fleur à quatre pétales, insérée dans un cercle, correspondant au motif décoratif emblématique de la société. Elle considère être légitime à utiliser, non seulement cette marque, mais aussi ce motif emblématique au regard de son propre patrimoine et des tendances du marché, et à utiliser ses propres codes qui étaient historiques lors de son entrée sur le marché de la joaillerie.

L'enregistrement de la marque figurative confère à sa titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits désignés. L'usage de ce signe doit néanmoins respecter les usages loyaux du commerce et ne pas se faire dans des conditions fautives. L'interdiction des actes parasitaires, à les supposer caractérisés, ne revient nullement à exproprier la société titulaire de ses droits sur sa marque, qu'elle peut continuer à exploiter dans des conditions qui ne seraient pas fautives, comme elle l'a fait pendant plusieurs années auparavant sans encourir de reproches de la part des sociétés demanderesses. Ainsi, l'existence de cette marque ne rend pas l'action en concurrence parasitaire dénuée de tout fondement.

Il résulte des éléments fournis aux débats que les sociétés défenderesses ont fait évoluer leurs lignes de bijoux depuis leurs lancements vers une ligne utilisant des pierres semi-précieuses pour représenter la fleur insérée dans le cercle, comme la collection de montres ayant fait l’objet d’une proposition d’accord avec la demanderesse et comme la ligne de bijoux concernée par le présent litige. La forme adoptée correspond bien à la forme de fleur quadrilobée présente sur leur toile monogrammée emblématique, la fleur qui comporte un cœur étant bien enchâssée dans un cercle, et non détourée.

Bien que la fleur quadrilobée du bijou incriminé soit de dimension identique à celle du modèle de bijou invoqué, elle n’en reprend pas l'ensemble des caractéristiques en ce que la forme quadrilobée litigieuse n'est pas détourée, ne comporte ni sertissage perlé, ni caractère double face, et en ce que la pierre n'est pas lisse et comporte un élément central.

La seule reprise de la forme quadrilobée non ajourée en pierre semi-précieuse cerclée par un contour en métal précieux ne caractérise pas une volonté des sociétés défenderesses de s'inscrire dans le sillage du modèle emblématique invoqué. En effet, l'utilisation de la forme quadrilobée (quatre arcs de cercle égaux disposés autour d’un centre de symétrie composant le quadrilobe) est un élément connu et usuel dans le domaine des arts appliqués et particulièrement de la joaillerie. Par ailleurs, l'usage des pierres précieuses ou semi-précieuses de couleur serties de métal précieux s'inscrit dans les tendances de la mode, comme le démontrent les pièces versées aux débats portant sur des collections concurrentes. Ainsi, les sociétés défenderesses se sont d'abord inspirées, pour leur modèle, de la forme de la fleur quadrilobée de leur toile emblématique, pour l'adapter aux tendances du moment.

Les sociétés demanderesses ajoutent qu'au-delà de la seule inspiration du motif invoqué, les sociétés défenderesses ont procédé à la captation minutieuse de la structure particulière de leur collection pour constituer un ensemble cohérent de 31 bijoux quadrilobés.

Le fait de commercialiser une collection composée de colliers, bracelets, bagues et boucles d'oreilles, qui sont des produits usuels dans le domaine de la joaillerie, ne caractérise pas plus une volonté de leur part de se placer dans le sillage des sociétés demanderesses. En outre, si la collection incriminée comporte des bijoux au seul motif quadrilobé, ceux-ci ne sont jamais présentés seuls ou comme une sous-collection mais sont toujours associés à d’autres motifs floraux (fleurs pointues) également déclinés en bracelets, boucles et puces d'oreille, colliers, sautoirs. Il n'est donc pas démontré que les sociétés défenderesses ont choisi les pièces emblématiques de la collection des sociétés demanderesses pour composer et développer, sans effort, leur propre gamme de produits.

S’agissant des couleurs, à la différence de la collection invoquée où la même pierre peut être associée à des ors différents (jaune, blanc ou rose), la pierre semi-précieuse est, dans la collection incriminée, toujours associée à un seul type d'or. En outre, seules sept pierres semi-précieuses de couleur sont communes aux deux collections (cornaline, nacre grise, nacre blanche, œil de tigre, onyx, malachite et lapis lazuli), ces choix n'apparaissant pas s'inspirer directement de la collection invoquée. La pratique consistant à décliner en deux ou trois tailles un même bijou n'apparaît pas être propre aux demandeurs, d'autres joaillers concurrents faisant de même avec des dimensions très similaires, ainsi que le démontrent les sociétés poursuivies.

En ce qui concerne la pratique de tarification des sociétés défenderesses, les sociétés demanderesses font valoir que celles-ci ont, dans un premier temps, fixé la grille de leurs prix des 31 bijoux critiqués en retenant systématiquement des prix légèrement inférieurs à ceux de leur propre collection, puis les ont augmentés pour réduire l'écart tout en restant en-dessous. Il ressort toutefois des tableaux de comparaison de prix fournis par les parties que la politique de prix critiquée n'est pas établie en fonction des prix de la collection des sociétés demanderesses, les écarts de prix apparaissant hétérogènes, ceux-ci pouvant être largement inférieurs, identiques ou supérieurs selon les produits.

Enfin, si le thème de la nature est le point commun des campagnes de communication des parties qui portent sur un bijou en forme de trèfle ou de fleur, la manière de traiter ce thème est différente, la couleur rose pâle, présente dans la collection incriminée, n'apparaissant pas dominante dans la collection invoquée, qui utilise surtout le vert. Par ailleurs, le thème de la nature ou la couleur rose pâle sont utilisés par les sociétés défenderesses pour promouvoir des produits tels les chaussures ou d'autres collections de bijoux. Elles démontrent également qu'elles ont mis en avant depuis de nombreuses années leurs ateliers et leur savoir-faire. Aucune rupture dans leur stratégie de communication dans le but de se placer dans le sillage des sociétés demanderesses n'est donc établie.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les divers griefs avancés, même pris en combinaison, sont insuffisants à établir un comportement fautif de la part des sociétés défenderesses. Le risque d'association, déduit de commentaires de quelques internautes sur les réseaux sociaux qui indiquent que la collection incriminée s'inspire de la collection emblématique, est, à cet égard, insuffisant à démontrer un comportement déloyal. En conséquence, Il n’est pas établi que les sociétés défenderesses ont cherché, sans bourse délier, à tirer profit de la valeur économique que constitue le modèle et la collection invoqués par les sociétés demanderesses, fruits de leurs investissements, ainsi que de la notoriété qui y est attachée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 23 juin 2023, 21/19404 (M20230087 ; Les MÀJ Irpi, 50, juill. 2023, p. 28, A. G. Madinda)
Louis Vuitton Malletier SAS et Société des Magasins Louis Vuitton - France SNC c. Société Cartier SAS et Richemont International SA
(Infirmation partielle T. com. Paris,  4 oct. 2021, J2021000388)

[1] Sur la question de la reproduction des codes de communication, voir la note de Cécile Martin sous : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 1er mars 2023, La Phocéenne de Cosmétique SAS c. L'Oréal SA21/05308 (M20230031 ; PIBD 2023 ,1204, III-4, Propr. industr., mai 2023, comm. 33, J. Larrieu).