Recevabilité de la demande en nullité de marques (oui) - 1) Demande nouvelle en appel - Défense au fond - 2) Autorité de la chose jugée (non) - Décision antérieure sur la déchéance d’une des marques - Décision administrative
Validité des marques verbales (oui) - Caractère distinctif - Caractère évocateur - Désignation nécessaire - Caractère descriptif
Cession de marque et noms de domaine - Opposabilité - Acquisition frauduleuse (non) - Intention de nuire
Recevabilité de la demande en déchéance de la marque (oui) - 1) Principe de l’estoppel - 2) Autorité de la chose jugée - Décision antérieure sur la déchéance - Différence d’objet
Déchéance partielle de la marque - Usage sérieux - Preuve - Exploitation sous une forme modifiée - Adjonction d’un logo - Élément dominant - Usage à titre de marque
Recevabilité de l’action en contrefaçon de marques (oui) - Application de la loi dans le temps - Distinctivité des marques invoquées à la date de dépôt des marques litigieuses
Contrefaçon des marques verbales (oui) - 1) Dépôt de marques de l’UE - 2) Imitation (oui) - Usage dans la vie des affaires - Identité ou similarité des services - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Élément dominant - Risque de confusion ou d’association
Préjudice - Indemnisation forfaitaire - Chiffre d’affaires du défendeur - Préjudice moral
Concurrence déloyale (non) - Imitation du nom de domaine et de la présentation d’un site internet - Dénigrement (non)
Dénigrement (oui) - Article de presse - Publicité donnée à la procédure - Atteinte à l’image commerciale de la société
Les marques verbales MONKIOSQUE.FR MONKIOSQUE.NET et MONKIOSQUE, invoquées au titre de la contrefaçon, n’encourent pas la nullité pour défaut de caractère distinctif. Le mot « kiosque » renvoie le public à l'abri édifié sur la voie publique dans lequel il peut acheter des journaux et magazines. Il n'est toutefois pas établi qu'à la date de dépôt des marques en cause, ce terme, employé en association avec le pronom possessif « mon », permettait au public concerné d'établir un rapport immédiat et concret avec les services d'abonnement et de distribution de journaux et périodiques en ligne. En effet, l'ensemble des articles de presse évoquant l'essor de ces nouvelles plateformes interactives pour lire et acheter des magazines en ligne utilisent tous les termes de « kiosque numérique » ou « kiosque électronique ». Ainsi, l'expression « Monkiosque », certes évocatrice, n’est pas nécessaire pour désigner de tels services ou en décrire les caractéristiques.
Il n’est pas démontré que la société demanderesse en contrefaçon a acquis la marque MONKIOSQUE.FR MONKIOSQUE.NET et les noms de domaine éponymes, en méconnaissance des intérêts de la société défenderesse et aux fins de nuire à son activité. Cette acquisition, à l’occasion de la liquidation judiciaire d’une société tierce, s’est faite dans le cadre du projet de développement d'une activité de diffusion de presse digitale, raison pour laquelle elle avait dans le même temps contacté la société défenderesse en vue d'un partenariat. Elle n’a pas dissimulé, au cours de ces discussions, l'acquisition qu'elle avait faite de la marque en cause et son éventuelle intention d'exploiter son site de presse en ligne sous ce nom.
La déchéance de la marque MONKIOSQUE est prononcée pour l’ensemble des services des classes 38 et 41 et certains de la classe 35. En revanche, à l’égard d’autres services de la classe 35, les pièces versées aux débats établissent un usage du signe « Monkiosque.fr Monkiosque.net » accompagné d'un sigle représentant un M stylisé placé sur la gauche, annonçant le nouveau catalogue numérique de la société titulaire. ll s’agit d’un usage sous une forme modifiée de la marque en cause. Les adjonctions d'un signe figuratif ou des couleurs comme la répétition de l'expression « Monkiosque » ou l'adjonction des extensions « .fr » ou « .net », usuelles dans le domaine de l'Internet, n'altèrent pas le caractère distinctif du signe « Monkiosque » dès lors qu'il apparaît et se lit en une seule fois. L'usage de ce signe figure en en-tête de chaque page du site internet exploité par la société titulaire pour désigner le catalogue de presse numérique. Il constitue ainsi un usage à titre de marque ne pouvant être réduit à un usage à titre de nom de domaine.
Dans le cadre de l’action en contrefaçon à l’encontre de ses marques, la société poursuivie se fonde sur les dispositions de l'article L. 716-4-5 2° du CPI dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui sont applicables aux instances introduites à compter du 15 décembre 2019 [1]. L'appel engage une nouvelle instance. Dès lors, ces dispositions sont applicables à la présente procédure, la déclaration d'appel ayant été faite postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. En l’espèce, il n’est pas démontré qu’aux dates de dépôt des marques contestées, les marques invoquées à l’appui de l’action en contrefaçon étaient dépourvues de toute distinctivité. Il n'est pas davantage établi que l'expression « monkiosque » était devenue usuelle dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce. L’action en contrefaçon est donc recevable.
La contrefaçon des marques MONKIOSQUE.FR MONKIOSQUE.NET et MONKIOSQUE, en raison de l'usage du signe « LeKiosk », est caractérisée. Si les demandes d'enregistrement du signe « lekiosk » en tant que marques ne constituent pas des actes de contrefaçon, il est établi que la société défenderesse utilise la dénomination « LeKiosk » dans la vie des affaires pour offrir des services permettant au public de lire sur un support numérique ses revues, magazines et journaux. Visuellement, les signes en cause ont en commun d’être constitués d’un déterminant (mon/ le) et du mot « Kiosque » ou « Kiosk » Si ce terme appliqué à des services ayant trait à l'édition, à l'abonnement ou à la vente de journaux et périodiques apparaît allusif et a donc un pouvoir faiblement distinctif, il ne peut en être déduit que la portée des marques opposées est limitée à leur reprise à l'identique. Ainsi, les similitudes visuelles, phonétiques et conceptuelles entre les signes en présence sont suffisantes à caractériser un risque de confusion ou d'association dans l'esprit du public, ce d'autant qu’ils sont utilisés pour désigner des services identiques ou fortement similaires.
Les propos tenus dans un courriel adressé par la société demanderesse en contrefaçon à l’un de ses clients, qui dénoncent le fonctionnement de la société poursuivie elle-même, l'accusent de pratiques déloyales et remettent en cause la qualité des prestations fournies par celle-ci, portent atteinte à l'image commerciale de cette dernière auprès de ses partenaires dans le but de les détourner de celle-ci. Ils constituent un dénigrement.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 28 janvier 2022, 20/09046 (M20220034)
Lekiosque.fr SAS c. Toutabo SA
(Confirmation partielle TJ Paris, 7 févr. 2020, 13/00061)
[1] Il s’agit, à notre connaissance, de la première décision de justice statuant sur la recevabilité d’une action en contrefaçon, en application de l'article L. 716-4-5 2° du CPI, introduit par l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. Cet article constitue la transposition de l’article 18 de la directive (UE) 2015/2436 intitulé « droit d'intervention du titulaire d'une marque enregistrée postérieurement comme moyen de défense ». Ce droit constitue une sécurité juridique pour le titulaire d’une marque postérieure, défendeur à une action en contrefaçon, puisqu’à sa requête, le demandeur devra prouver, sous peine d’irrecevabilité de son action, qu'à la date de dépôt ou de priorité de la marque postérieure, sa marque antérieure avait acquis un caractère distinctif.