Jurisprudence
Brevets

Validité d’un brevet portant sur un dispositif de doublage d’une paroi - Absence de contrefaçon par reproduction, par équivalence ou par fourniture de moyens

PIBD 1204-III-1
CA Paris, 8 février 2023

Portée du brevet européen - Dispositif - Combinaison de moyens - Interprétation de la revendication - Description - Dessin

Validité du brevet (oui) - Homme du métier - État de la technique - 1) Description suffisante (oui) - Exécution par l'homme du métier - 2) Nouveauté (oui) - Combinaison de caractéristiques - Antériorité de toutes pièces - 3) Activité inventive (oui) - Évidence - Problème à résoudre différent - Préjugé à vaincre - Domaine technique différent

Contrefaçon du brevet (non) - Preuve - Recevabilité du rapport d’expertise non contradictoire - Combinaison de caractéristiques - Reproduction d’une caractéristique essentielle - Contrefaçon par équivalence (non) - Fonction différente - Contrefaçon par fourniture de moyens (non)

Texte

Le brevet européen en cause porte sur un dispositif de doublage d’une paroi comportant au moins un accessoire d'entretoisement placé transversalement entre la paroi à doubler et une cloison de doublage ainsi maintenue à distance de cette paroi. Il résulte de la partie descriptive du brevet, des revendications ainsi que d’une figure, qu’il concerne l’isolation par l’intérieur d’un bâtiment. Par ailleurs, l’accessoire d’entretoisement décrit est composé de trois pièces distinctes, soit une tige et deux mâchoires. Les mâchoires, indépendantes de la tige, pincent entre elles, après verrouillage, une membrane pare-vapeur ou freine-vapeur. Les objectifs du brevet sont de prévenir la propagation de déchirure et d’assurer la préservation de l’intégrité de la membrane, ainsi que l’aménagement d'un espace entre celle-ci et la cloison de doublage pour le passage des câbles.

L'homme du métier à prendre en considération est un concepteur de dispositifs et matériels destinés à l'isolation de parois ou de toitures, qu'il s'agisse de solutions d'isolation par l'intérieur ou par l'extérieur. Il n'y a donc pas lieu d'écarter de l’état de la technique, a priori, l'ensemble des antériorités revendiquées envisageant une solution d'isolation par l'extérieur, outre que les matériaux, structures et problématiques d'isolation sont souvent très proches.

La demande en nullité du brevet est rejetée.

L’invention en cause est suffisamment décrite. D’une part, sa réalisation n'est pas compromise par l'absence de définition donnée aux expressions « pare-vapeur » et « freine-vapeur » qualifiant la membrane, celles-ci étant parfaitement courantes dans le domaine concerné. En outre, il fait partie des compétences évidentes de l'homme du métier de choisir la membrane adaptée en fonction du type d'espace à isoler et de son humidité atmosphérique. Enfin, la caractéristique de la perméabilité de la membrane ne conditionne pas la portée de la revendication principale et n'a pas d'incidence sur l'effet recherché par l'invention, qui peut être mise en œuvre avec toute membrane pare-vapeur ou freine-vapeur susceptible d'être percée. D’autre part, le brevet décrit au moins un mode de réalisation. La question de la suffisance de description suppose seulement qu'à l'examen des revendications, des dessins et de la partie descriptive du titre, l'homme du métier soit en mesure de réaliser l'invention telle que décrite et non d'en déduire toutes les variantes envisageables, à l'aide de son expérience et de ses connaissances professionnelles.

Les brevets et avis techniques antérieurs cités ne divulguent pas toutes les caractéristiques de la revendication principale. Ainsi, faute de constituer des antériorités de toutes pièces, ils ne sont pas susceptibles d’en détruire la nouveauté.

La revendication principale présente une activité inventive. L’état de la technique le plus proche est constitué par un premier brevet européen qui concerne un dispositif pouvant être utilisé pour le doublage d'une paroi et portant sur la construction d'un toit avec des éléments portants. Il n’est pas démontré en quoi l'homme du métier, en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations, aurait, en partant de ce brevet, obtenu la solution revendiquée dans le brevet litigieux. En effet, il existe une différence structurelle fondamentale entre la tige évoquée dans le brevet litigieux qui constitue un tout et le système du brevet antérieur composé de deux éléments distincts, soit une tige et une vis, supportant chacun distinctement un moyen de serrage et de maintien qualifié de mâchoire. En outre, le brevet antérieur décrit une membrane percée, sans que ne soit évoqué le risque de déchirure, qui est pourtant l'un des deux problèmes que cherche à résoudre le brevet litigieux. Par ailleurs, il n’est pas établi que l'homme du métier aurait été incité à placer la membrane pare-vent entre les points de fixation et à modifier le moyen de fixation et la vis pour qu'ils ne constituent plus qu'une seule tige, sauf à procéder par un raisonnement a posteriori, en connaissant déjà le résultat de l'invention revendiquée. Par conséquent, l'homme du métier ne tire pas d'enseignement du brevet antérieur lui permettant d'atteindre les objectifs du brevet litigieux.

La société poursuivie n’explique pas davantage en quoi l’homme du métier serait amené à combiner les enseignements de ce brevet antérieur avec ceux d’autres brevets ou documents cités à titre d’antériorités. Ainsi, dans un avis technique, le pare-vapeur est accolé au matériau isolant et embroché sur l'accessoire d'entretoisement en même temps que celui-ci, sans que le problème de l'intégrité de la membrane ne soit évoqué comme remettant potentiellement en cause le dispositif d'isolation, ce qui est pourtant au cœur de l'invention objet du brevet litigieux. Un second brevet européen antérieur traitant d’isolation de parois envisage la pose uniquement d'une membrane comprimée entre des plaques pour assurer l'étanchéité d'une toiture et la résistance au vent, soit dans un cadre technique et à des fins différentes de celles décrites dans le brevet en cause. Enfin, une demande de brevet français antérieure concerne un dispositif très similaire au brevet litigieux, mais qui n'inclut nullement la présence d'une membrane pare-vapeur, au cœur de l'invention invoquée. En conséquence, aucune des antériorités citées, envisagée seule ou selon les combinaisons proposées par la société poursuivie, n’est susceptible de remettre en cause l’activité inventive. Les revendications placées sous la dépendance de la revendication principale doivent être déclarées valides.

La contrefaçon par reproduction n’est pas établie. Les produits incriminés sont des suspentes permettant de maintenir la garniture d’isolation contre un mur ou un toit devant être isolé. Le fait que ces produits soient constitués seulement de deux éléments structurels - à savoir une tige et une tête de verrouillage - exclut la contrefaçon littérale de la revendication principale du brevet, celui-ci devant être interprété comme protégeant un accessoire d'entretoisement composé de trois pièces. Le nombre de pièces de l’invention, et en particulier la présence de deux mâchoires amovibles, est une caractéristique essentielle de la solution revendiquée puisqu’elle relève de la partie caractérisante de la revendication principale du brevet le distinguant de l’art antérieur. En outre, le pincement de la membrane par ces deux mâchoires est un moyen essentiel enseigné pour atteindre un des objectifs revendiqués, à savoir assurer l'intégrité et l'étanchéité de cette membrane à la périphérie de son ouverture d'embrochement.

La contrefaçon par équivalence de la revendication principale n’est pas plus caractérisée. Elle est réalisée à partir du moment où, bien que les moyens du produit contrefaisant soient de forme différente par rapport à ceux décrits par l'invention, ils exercent la même fonction, c'est-à-dire le même effet technique, et procurent ainsi un résultat semblable à celui décrit par l'invention. En l’espèce, la butée du produit incriminé ne produit absolument pas le même effet technique que la seconde mâchoire décrite dans le brevet en cause, à savoir celui de comprimer la membrane entre les deux mâchoires pour limiter la zone possible d'altération ou de déchirure et de garantir ainsi son étanchéité. Si la butée contribue au maintien et à la stabilité de la membrane et en partie à son étanchéité, il n'est pas établi qu'elle assure la fonction décrite dans le brevet qui est, non seulement, de comprimer la zone périphérique du percement pour empêcher tout passage d'air, mais également de limiter la surface de propagation des déchirures.

La contrefaçon par fourniture de moyens n’est pas davantage établie. Le caractère spécial et dérogatoire de l’article L. 613-4 du CPI, qui étend la protection conférée par le brevet au-delà des revendications, impose une interprétation stricte de chacune de ses conditions d'application. À cet égard, le moyen doit se rapporter à un élément essentiel du brevet, soit un élément constitutif de l'invention et qui participe à son résultat, dès lors qu'il est apte et destiné à la mise en œuvre de l'invention brevetée. Dans la mesure où les produits incriminés ne constituent pas une contrefaçon du brevet, ils ne peuvent être considérés comme des moyens de mise en œuvre en France d'un élément essentiel de celui-ci, ni davantage les pare-vapeur et couches isolantes également proposés à la vente, qui constituent des produits qui se trouvent couramment dans le commerce, la société poursuivie n'incitant pas ses clients à commettre des actes interdits au sens des articles L. 613-3 et L. 613-4 du CPI. 

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 8 février 2023, 20/10389 (B20230014)
Saint Gobain Isover SA c. Knauf Insulation SAS

(Confirmation TGI Paris, 3e ch., 4e sect., ord. juge de la mise en état, 21 mars 2019, 18/00783 et TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 7 févr. 2020, 18/00783)