Jurisprudence
Dessins et modèles

Validité d’un modèle de maillon pour un rideau transparent enroulable possédant des caractéristiques esthétiques non exclusivement fonctionnelles

PIBD 1206-III-7
CA Paris, 24 février 2023

Validité du modèle (oui) - Caractère exclusivement fonctionnel (non) - Brevets antérieurs - Recherche esthétique - Nouveauté (oui) - Caractère propre (oui) - Impression visuelle d'ensemble différente - Observateur averti

Nullité partielle de la saisie-contrefaçon (oui) - Personne assistant l’huissier - Expert informatique - Transcription des constatations - Mission outrepassée

Contrefaçon (non) - Portée du modèle - Identification du modèle incriminé - Liberté laissée au créateur - Impression visuelle d’ensemble différente

Concurrence déloyale - Multiplicité des titres déposés par le titulaire du modèle - Faute (non) - Usurpation de la qualité de breveté (non) - Atteinte à la dénomination sociale de la société poursuivie (oui)

Texte
Modèle n° 094 562-009 (Fig. 9.1) de la société Ventiss
Modèle n° 094 562-009 (Fig. 9.3) de la société Ventiss
Texte

Le modèle déposé invoqué est un maillon pour un rideau transparent enroulable destiné à protéger, par exemple, la devanture d’un magasin. Des figures présentent aussi trois variantes d'assemblage de neuf ou douze maillons identiques, formant une portion de rideau, pour donner une idée de l'esthétique finale de celui-ci.

La société poursuivie en contrefaçon soutient que ce modèle a pour unique objet de servir d'élément constitutif du rideau de protection, en assurant une certaine sécurité ainsi que la transparence du rideau. Cependant, les caractéristiques de l'apparence du maillon ne sont pas exclusivement imposées par sa fonction technique. À cet égard, l'existence de brevets antérieurs reprenant les caractéristiques du modèle n'est pas exclusive de la protection de celui-ci, sauf si la forme revendiquée est exclusivement imposée par le résultat technique. Or, si les résultats techniques décrits par la société défenderesse (transparence pour assurer la visibilité de la devanture et une meilleure sécurité, caractère lisse afin de ne pas laisser des points d'effraction possibles...) ont bien été voulus lors de la conception du modèle, des choix non guidés par la seule finalité technique (transparence, positionnement de huit charnières à l'arrière, surface parfaitement plane et lisse à l’avant, présence de bourrelets arrondis sur les petits côtés) ont également conduit à son dépôt qui revendique un parti pris esthétique en proposant un maillon d'apparence à la fois « épurée et douce ».

Aucune des antériorités citées, parmi lesquelles figurent un modèle déposé et des brevets, ne permet de détruire la nouveauté du modèle invoqué, celles-ci présentant une impression visuelle d'ensemble différente. La société poursuivie fait également mention d’une vidéo apparaissant sur le site internet d’une société néerlandaise et présentant un « crash test » d’un rideau transparent. Ce test de sécurité, qui a été effectué dans un entrepôt, avant la date de dépôt du modèle, en présence notamment d'un notaire et qui a été supervisé par un organisme de recherche et de tests néerlandais, consiste en une voiture lancée sur un rideau de sécurité pour démontrer sa résistance. Cependant, il n'est pas établi que la vidéo a été diffusée avant la date de sa publication sur Youtube, qui est postérieure à la date de dépôt, ni que la présence de personnes non identifiées lors de ce test équivaudrait à une divulgation au sens de l'article L. 511-3 du CPI.

Pour l'appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur, restreinte par les contingences techniques, ce qui implique que des différences, même mineures, entre les modèles suffisent à produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti. En l'espèce, celui-ci est le propriétaire, le gérant ou le responsable d'un magasin ou de tout établissement qui souhaite en protéger la devanture par la mise en place d'un volet roulant. Le modèle revendiqué, qui se caractérise par sa forme rectangulaire, sa surface parfaitement plane et lisse, sa transparence, ainsi que par la forme ronde de ses charnières et leur agencement, outre ses petits côtés arrondis, se différencie nettement des antériorités produites.

La nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon doit être prononcée pour la partie des opérations relative aux constatations et copies opérées par l'expert informatique assistant l'huissier. Il n'est pas établi que ce dernier a, de quelque manière que ce soit, réalisé un contrôle des opérations techniques effectuées par l'expert. Une inversion des rôles s'est produite, l'expert transcrivant lui-même dans son rapport les recherches qu'il a effectuées, les résultats obtenus par mots-clés et l'ensemble des informations citées sur un CD-Rom, remis à l'huissier. S’il résulte de l'ordonnance aux fins de saisie-contrefaçon que l'huissier était autorisé à faire réaliser, par l'expert, toutes constatations utiles en vue d'établir l'origine, la consistance et l'étendue des faits de contrefaçon allégués, il était précisé que cela devait être réalisé sous sa supervision. En outre, les supports sur lesquels les copies ont été effectuées ont été amenés par l'expert informatique, alors que seul l'huissier était autorisé à apporter le matériel nécessaire à ses opérations sur les lieux de la saisie, sauf à utiliser des supports se trouvant sur place. De plus, les investigations menées par l'expert ont outrepassé les termes de l'ordonnance. En effet, l'huissier était autorisé à décrire, copier et faire reproduire les informations relatives aux produits incriminés à partir d’une certaine date, mais l'expert indique avoir effectué ses recherches dix jours auparavant.

La contrefaçon du modèle déposé n’est pas établie. La protection accordée par la figure 9-1 porte sur un maillon, présenté en vue arrière, destiné à constituer un rideau transparent enroulable. La figure 9-3, également invoquée, vise à présenter différentes manières d'assembler douze maillons identiques à celui de la figure 9-1, vus de face, pour donner une idée de l'esthétique finale selon le mode de montage choisi. C'est dès lors à juste titre que les premiers juges se sont d'abord attachés à caractériser une éventuelle contrefaçon au regard de la figure 9-1, avant d'avoir, le cas échéant, à se positionner sur l'aspect esthétique et la contrefaçon des maillons assemblés de la figure 9-3.

Il ressort d’un constat effectué sur le site internet de la société défenderesse et des éléments non annulés des opérations de saisie-contrefaçon qu’à la différence du modèle invoqué, le maillon incriminé ne présente aucune charnière oblongue mais uniquement des charnières rondes. Les sociétés demanderesses ne contestent pas cette différence, mais indiquent que la forme des charnières est indifférente au sein du produit incriminé, n’étant que très peu visible, à l’arrière. Pour autant, la protection revendiquée par la figure 9-1 du modèle déposé est précisément une vue arrière du maillon, décrite comme présentant des charnières de section oblongue sur l’un des grands côtés et donnant ainsi au modèle un aspect spécifique.

Les sociétés demanderesses soutiennent encore que la présence de lèvres sur les petits côtés du maillon incriminé n'aboutit pas à une impression visuelle différente, alors que le modèle invoqué comporte un bourrelet sur l'un de ses petits côtés et que la surface lisse et plane du rideau incriminé, avec un décalage de 50 % une fois monté, reste parfaitement identique au modèle et constitue ainsi une contrefaçon. Toutefois, ce qui est protégé est la face arrière d'un maillon, et non un rideau. Dès lors, il résulte de la comparaison entre les maillons en litige que l'impression visuelle d'ensemble produite par le maillon incriminé diffère de celle du modèle, sachant que la liberté laissée au créateur, restreinte par les contingences techniques, implique que des différences, même mineures, suffisent à produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 24 février 2023, 21/03861 (D20230007)
Eurolook International SAS et Ventiss SARL c. Profilmar SASU et Asytec SAS

(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 21 janv. 2021, 18/06156)