Rejet d’une marque figurative - Motif de surface - Caractère distinctif (non) - Aspect des produits - Normes du secteur - Droit de l'UE - Fonction d'indication d'origine - Public pertinent - Acquisition du caractère distinctif par l'usage (non) - Sondage
Le signe en cause, composé de lignes ondulées entrecroisées de façon répétée et positionnées de manière telle qu'elles laissent apparaître une succession infinie et régulière de motifs identiques, sans délimitation quant à son contour, sera appréhendé par le public moyen dont le niveau d'attention est peu élevé, ou même par un consommateur plus avisé, comme un simple motif de surface qui se confond avec l'aspect des produits désignés (articles chaussants notamment orthopédiques, produits de la maroquinerie, articles d’habillement…) et non comme une indication d'origine commerciale particulière.
Par ailleurs, la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage ne peut être apportée par un sondage dont seuls quelques extraits sont versés et qui rendent impossible la vérification des conditions dans lesquelles les personnes ont été interrogées et la manière dont elles ont été sélectionnées.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 8 janvier 2021, 19/14730 (M20210001)
Birkenstock Sales GmbH c. INPI et al.
(Rejet recours c. décision INPI, 20 mai 2019)
En l’espèce, l’INPI avait refusé partiellement la protection en France de l’enregistrement international n° 1 132 742 portant sur le signe figuratif ci-dessus reproduit, pour un certain nombre de produits, notamment des articles de maroquinerie, tels que sacs, valises, porte-monnaie, parapluie…, des articles d’habillement et des articles chaussants (y compris les articles chaussants orthopédiques relevant de la classe 10).
L'Institut considérait en effet que le signe en cause représentait un motif de surface qui ne divergeait pas suffisamment de la norme et des habitudes du secteur pour permettre au consommateur de le percevoir comme une indication de l’origine commerciale des produits visés. En outre, il estimait que les quelques extraits d’un sondage que la société déposante avait versés au cours de la procédure d’examen, ne suffisaient pas à démontrer que le signe aurait acquis un caractère distinctif par l’usage.
Dans son recours formé devant la cour d’appel de Paris, la société requérante fondait une grande partie de son argumentation sur un arrêt rendu par la même cour, le 6 avril 2018, dont elle prétendait qu’il était entièrement transposable au cas d’espèce. Pour rappel, cet arrêt avait annulé une décision de l’INPI ayant rejeté, à tort selon la Cour, l’enregistrement de la marque n° 4 116 654 (ci-dessous reproduite) pour des articles chaussants orthopédiques relevant de la classe 10 et des articles chaussants « classiques » relevant de la classe 25 (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 17/01742 ; M20180144, PIBD 2018, 1095, III-381, avec une note).
Dans son arrêt du 8 janvier 2021, la cour de Paris rejette néanmoins le recours de la société déposante, considérant, tout comme l’INPI, que le signe en cause n’est pas apte à distinguer les produits précités de ceux d’autres entreprises et rappelant expressément qu’elle n’est « pas liée par ce précédent [arrêt du 6 avril 2018] qui porte au demeurant sur un signe différent montrant une semelle de chaussure ».
Plusieurs points intéressants sont à relever en matière de protection des marques tridimensionnelles dans cet arrêt.
Condition de distinctivité intrinsèque des signes. Si les dispositions actuelles du Code de la propriété intellectuelle (CPI), telles qu’elles ont été modifiées par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, disposent clairement qu’un signe peut être en soi dépourvu de caractère distinctif (art. 711-2, 2°), cette exigence de distinctivité autonome ne ressortait pas expressément des textes dans leur ancienne version.
Toutefois, depuis une dizaine d’années, la jurisprudence constante considérait que l’article L.711-1 du CPI devait être interprété à la lumière de l’article 3 de la directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008. Avait ainsi été consacré par voie prétorienne, le principe selon lequel le caractère distinctif auquel doit satisfaire un signe pour pouvoir être enregistré, est une « exigence autonome qui ne se déduit pas seulement du fait que ce signe ne serait ni générique ni descriptif des qualités des produits et services visés à son enregistrement ». Force est de constater que les exemples de cette jurisprudence sont nombreux dans le domaine des marques tridimensionnelles (voir notamment CA Paris, pôle 5, 2e ch., 19 juin 2009, Unilever NV c. Rolland SAS, 07/17988 , M2009030, PIBD 2009, 902, III-1315, Gaz. Pal., 169, 18 juin 2010, p. 40, note de J. Azéma ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 12 mai 2015, Palladium SAS c. Euromatex Diffusion 2000 SAS et al., 14/00702, M20150177, PIBD 2015, 1030, III-462 ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 18 déc. 2018, Hermès International c. INPI, M20180494, PIBD 2019, 1112, III-144).
L’arrêt commenté ne fait pas exception, la Cour de céans y rappelant que « pour constituer une marque valable, un signe doit en lui-même être apte à distinguer les produits et services d'une entité de ceux de ses concurrents c'est-à-dire permettre au consommateur d'identifier l'origine des produits et services qu'il désigne en les différenciant de ceux qui ont une autre provenance ».
Qualification du signe en « motif de surface ». L’un des principaux arguments de la société requérante consistait à soutenir que le signe dont elle sollicitait la protection n’était pas un motif de surface qui se confond avec l’aspect des produits désignés dans l’enregistrement.
Toutefois, tout comme l’INPI, la cour d’appel de Paris relève que le signe en cause possède un certain nombre de caractéristiques intrinsèques qui permettent de conclure qu’il a vocation à revêtir la surface des produits en cause ou de leurs emballages. En effet, il « est composé de lignes ondulées entrecroisées de façon répétées et positionnées de manière telle qu'elles laissent apparaître une succession infinie et régulière de motifs identiques, sans délimitation quant à son contour ». Or, au regard des produits en cause, à savoir des articles d’habillement, articles de maroquinerie et les articles chaussants, compte tenu de « l’expérience générale », la cour considère que ce signe sera perçu comme un motif de surface apposé sur les produits « pour des raisons esthétiques ou techniques ».
Cette position est d’ailleurs celle retenue par la Cour de justice au sujet de la même marque internationale (CJUE, 10e ch., 13 sept. 2018, Birkenstock Sales GmBH c. EUIPO, C-26/17 P ; M20180447 ; PIBD 2018, 1105, III-726 ; L'Essentiel, nov. 2018, p. 5, note d'A. Kahn) confirmant l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, 5e ch., du 9 novembre 2016 (T-579/14 ).
Public pertinent. La Cour relève que « le signe dont la protection est sollicitée désigne majoritairement des produits de consommation courante » et que le public pertinent à prendre en considération est donc « un consommateur d'attention moyenne, normalement informé, ce quand bien même un public de professionnel plus avisé peut être également pris en considération pour le matériel médical voire les articles orthopédiques également revendiqués ».
Il s’agit là d’un des points de divergence majeurs avec le précédent arrêt de la cour d’appel du 6 mai 2018. Dans ce dernier, la Cour avait fait le choix d’examiner la distinctivité du signe au regard d’un « public attentif à la qualité des chaussures » dont le « niveau d’attention sera nécessairement élevé et [qui] prendra en compte tous les éléments de la chaussure dont la semelle y compris la face en contact avec le sol qui aura un impact notamment pour l'adhérence au sol ». Or, le libellé de la demande d’enregistrement, s’il couvrait les articles chaussants orthopédiques de la classe 10, visait également en classe 25, les « articles chaussants, à savoir les chaussures, sandales et mules ; chaussons ; bottes, chaussures, sandales et mules » sans précision quant à leur niveau de confort.
Principes d’appréciation de la distinctivité des marques tridimensionnelles. La Cour rappelle que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques. Néanmoins, elle précise que, « comme l'a déjà considéré à plusieurs reprises la jurisprudence européenne, il convient de tenir compte du fait que "les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel ; dès lors il peut s'avérer plus difficile d'établir le caractère distinctif d'une telle marque ..." et que ces marques n'ont un caractère distinctif que si elles divergent de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur et de ce fait sont susceptibles de remplir leur fonction essentielle d'origine commerciale » (cf. notamment CJCE, 6e ch., 29 avr. 2004, Henkel KGaA c. OHMI, C-456/01, points 38 et 39).
Sur l’absence de divergence suffisante par rapport aux normes du secteur. La Cour considère que le signe en cause est « d'apparence simple et banale, le motif en forme d'os stylisé invoqué par la requérante, à le supposer caractérisé, ne présentant pas de particularité notable » et souligne que « la requérante n'a pas fourni durant la procédure d'examen, d'élément tendant à démontrer que ce signe diverge des normes du secteur ».
À cet égard, la cour d’appel revient sur une formulation qui avait pu susciter une certaine interrogation dans son précédent arrêt du 6 mai 2018. En effet, elle relevait que l’INPI n’avait présenté au cours de la procédure « aucune semelle reproduisant le motif particulier de la semelle en cause donnant l'impression visuelle sur toute sa surface de l'assemblage de petits os » et en concluait que le signe dont l’enregistrement était sollicité se différenciait nettement des normes du secteur. La formulation apparaissait regrettable dès lors qu’elle pouvait laisser entendre d’une part, que l’absence de modèle strictement identique suffisait à caractériser une différence substantielle par rapport aux normes du secteur et d’autre part, qu’il appartenait à l’INPI d’apporter la preuve que la forme ne se distinguait pas significativement des habitudes du marché.
L’arrêt commenté nous semble remettre de manière plus orthodoxe au déposant la charge d’apporter la preuve que le signe dont il entend obtenir une protection se distingue des habitudes du secteur. Sur cette question, on peut également citer un arrêt de la cour d’appel de Paris qui approuve l’INPI d’avoir rejeté la demande de marque n° 4 076 338 portant sur un modèle de fermoir pour des chaussures, en relevant notamment que la déposante n’avait « …pas rapport(é) la preuve de la distinctivité per se du signe tridimensionnel de la demande d'enregistrement… », cette dernière n’ayant « …pas fourni au cours de la procédure d’examen (…) d’éléments permettant d’établir que le fermoir objet de cette demande diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur …» (CA Paris du 18 décembre 2018, voir supra).
Sur l’acquisition du caractère distinctif par l’usage et la force probante des sondages. Un dernier point particulièrement intéressant dans cet arrêt porte sur les conditions d’acceptabilité des sondages en tant que preuve de l’acquisition du caractère distinctif d’un signe. En effet, à titre subsidiaire, la société requérante soutenait que sa marque avait acquis un caractère distinctif par l'usage et versait au soutien de cet argument quelques extraits d’un sondage réalisé en mai 2014. En particulier, elle produisait la page 106 de ce sondage, sur laquelle figurait la question n° 25 : « À votre avis quelle caractéristique décrit le mieux une sandale ou une chaussure Birkenstock ? » et un tableau au sein duquel il était mentionné que 53% des personnes interrogées répondaient notamment « le motif spécifique de la semelle ».
Toutefois, la Cour tout comme l’INPI considère qu’il n’est pas possible de tenir compte de ce document très lacunaire. En effet, seules cinq pages sur un sondage qui en comportait au minimum cent six avaient été versées par la société Birkenstock et le signe litigieux n’apparaissait sur aucune d’entre elles.
Il était dès lors impossible de déterminer si les personnes avaient été interrogées sur le signe tel que déposé et d’apprécier les conditions dans lesquelles les personnes répondant à la question 25 avaient été sélectionnées et interrogées. Les extrait versés ne permettaient notamment pas de vérifier si les réponses à la question 25 découlaient d’un processus objectif reposant sur des questions ouvertes, non assistées ou si, au contraire, elles étaient l’aboutissement de questions orientées.
La Cour tout comme l’INPI refuse donc de tenir compte de ce document dont elle relève le caractère lacunaire pour se prononcer sur l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.
Il s’agit là également d’une différence notable avec l’arrêt du 6 mai 2018 dans lequel la Cour, au vu des mêmes documents, avait conclu que « la représentativité de l'échantillon retenu ne saurait être critiquée » et avait ainsi considéré que 53% des consommateurs pertinents identifiaient la semelle en cause comme provenant de la société Birkenstock.
Marianne Cantet
Chargée de missions juridiques au service contentieux de l’INPI