Validité de la marque verbale - Caractère distinctif intrinsèque - Langue étrangère - Traduction évidente - Caractère descriptif - Caractère évocateur - Acquisition du caractère distinctif par l'usage - Connaissance de la marque - Fonction d'indication d'origine - Exploitation sous une forme modifiée - Exploitation d’une marque semi-figurative - Droit de l'UE - Appréciation globale - Usage à titre de dénomination sociale, nom commercial et enseigne - Renommée de la dénomination sociale et de l’enseigne - Usage intensif du nom commercial et du logo
Concurrence déloyale - 1) Atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial, à l'enseigne et au nom de domaine - Renommée de la dénomination sociale - Public pertinent - Risque de confusion - Preuve - 2) Pratique commerciale trompeuse - Altération du comportement économique du consommateur
Validité de la marque - Droits antérieurs - Dénomination sociale, nom commercial et nom de domaine - Faible degré de similitude des signes - Renommée de la dénomination sociale - Identité des services - Risque de confusion - Appréciation globale
Pour retenir que la marque verbale RENT A CAR était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque à l'égard des véhicules, la cour d’appel a considéré que les termes la composant correspondaient à la simple traduction, en langue anglaise, de l'expression « louer une voiture », laquelle, comprise du consommateur moyen, constituait la description de ces produits ou les évoquait directement. Elle s’est déterminée par des motifs impropres à établir que la marque était descriptive, et non simplement évocatrice, de ces produits ou de leurs caractéristiques.
La cour d’appel a ensuite jugé que la marque verbale RENT A CAR n'avait pas acquis de caractère distinctif par l'usage pour désigner des services de location de véhicules. Après avoir relevé qu’un sondage relatif à la connaissance de cette marque montrait qu’elle était clairement identifiée par les Français titulaires du permis de conduire comme une marque de location de voiture et faisait partie des marques de location de voitures les plus connues de ces derniers, elle a retenu qu'il n'était pas démontré qu'elle soit devenue apte, pour le consommateur moyen, à identifier les services concernés comme provenant de la société titulaire, en les distinguant de ceux proposés par d'autres entreprises. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L. 711-2, dernier alinéa, du CPI, dans sa rédaction applicable aux faits incriminés.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le caractère distinctif d'une marque peut être acquis par l'usage de cette marque en tant que partie d'une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci. La cour d’appel a jugé que la marque verbale RENT A CAR n'avait pas acquis de caractère distinctif par l'usage de la marque semi-figurative RENT@CAR qui englobe cet élément verbal. Elle a retenu que, compte tenu de l'usage intensif qui avait été fait de cette dernière, les personnes interrogées dans le sondage précité avaient eu à l'esprit cette seule marque semi-figurative. Or, le fait que, pour les personnes sondées, la marque verbale évoquait la marque semi-figurative, dont l'intensité de l'usage et le caractère distinctif n'étaient pas contestés, était au contraire de nature à démontrer que le public pertinent percevait la marque verbale comme une partie de la marque semi-figurative. La cour d'appel a donc violé l’article L. 711-2, dernier alinéa, du CPI, tel qu'interprété à la lumière de l'article 3, §3, de la directive 2008/95/CE.
Pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif par l'usage, l'autorité compétente doit apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le service concerné comme provenant d'une entreprise déterminée et donc à distinguer ce service de ceux d'autres entreprises. La cour d’appel n’a pas recherché si, pris ensemble, l'usage intensif de la marque semi-figurative, la renommée de la dénomination sociale et de l'enseigne Rent A Car et l'usage intensif du nom commercial et du logo éponymes pour désigner l'activité de location de véhicules de la société titulaire, qu'elle avait constatés, ainsi que le sondage relatif à la connaissance de la marque verbale RENT A CAR, ne démontraient pas que le consommateur moyen établissait un lien entre les termes « rent a car » et les services fournis par cette société. Elle a privé sa décision de base légale.
La demande d’annulation de la marque verbale est rejetée, dès lors que les termes qui la composent ne sont qu’évocateurs des véhicules visés à l’enregistrement et que la marque a acquis un caractère distinctif pour les services de location de ces produits du fait de l’usage intensif de la marque semi-figurative et des dénomination sociale, nom commercial et enseigne.
Cour de cassation, ch. com., 7 Juillet 2021, Q 19-16.028 (M20210166)[1]
Rent A Car SA c. Enterprise Holdings France SAS et Enterprise Holdings Inc.
(Cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 15 janv. 2019, 17/16677, M20190010, PIBD 2019, 1111, III-118, L'Essentiel, mai 2019, p. 4, note de F. Herpe et infirmation TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 22 nov. 2013, 13/08844, M20130760 ; arrêt d’appel rendu sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 2e ch., 22 mai 2015, 14/06298, M20150285, PIBD 2015, 1035, III-636 ; Cass. com., 8 juin 2017, J 15-22.792, M20170307, PIBD 2017, 1077, III-569, Légipresse, 354, nov. 2017, p. 575, note de Y. Basire)
[1] Cet arrêt de la Cour de cassation met un terme à une longue bataille judiciaire menée par la société Rent A Car pour faire valoir ses droits sur la marque verbale RENT A CAR qui désigne des véhicules et des services de location de véhicules. Ayant appris que la société de droit américain Enterprise Holdings proposait des services de location de véhicules sous sa marque semi-figurative enterprise rent-a-car, la société Rent A Car avait assigné les sociétés française et américaine du groupe Enterprise devant le tribunal de grande instance de Paris pour contrefaçon de sa marque verbale RENT A CAR ainsi qu’en réparation de l’atteinte portée à sa dénomination sociale, son nom commercial, son enseigne et son nom de domaine.
Après un jugement du 22 novembre 2013 du tribunal de grande instance de Paris ayant notamment annulé la marque en cause, confirmé en appel par la première chambre de la cour d’appel de Paris le 22 mai 2015, la Cour de cassation avait finalement cassé l’arrêt, le 8 juin 2017, et renvoyé les parties devant la même cour, autrement composée. Par un arrêt du 15 janvier 2019, la deuxième chambre de la cour d’appel de Paris maintenait l'annulation de la marque verbale RENT A CAR pour absence de caractère distinctif, tout en reconnaissant que la société Rent A Car démontrait « à suffisance » qu'elle avait fait un usage intensif de sa marque semi-figurative RENT@CAR ainsi que de sa dénomination sociale, son nom commercial, son enseigne et son logo.
Dans l’arrêt ici commenté, la Cour suprême décide, sur la base de l’article L. 411-3 al. 2 du Code de l’organisation judiciaire, qui lui permet de statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie, de trancher cette question en rejetant définitivement la demande d’annulation de la marque. Le recours au second alinéa de cet article est très rare. Il a été mis en œuvre à une autre occasion dans le cadre d’une demande de dommages-intérêts pour procédure abusive en contrefaçon de brevets (Cass. com., 3 mars 2021, Technofirst SA et al. c. Alfacoustic SA et al., B 18-15.207, B20210017 ; PIBD 2021, 1158, III-1).